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néral de Saint-Pétersbourg, lâchement et mortellement blessé le 14-20 décembre 1825. Dans une révolte dirigée contre Nicolas, ce général, si aimé des troupes depuis 1812 et que le roi Murat considérait comme un Bayard russe, avait découvert sa poitrine en disant aux soldats rebelles: Tuez votre général, qui vous à conduits tant de fois à la victoire.

« Mon ami, mon cher Michel-Andréévisch, que Dieu vous ré<< compense de ce que vous avez fait pour moi; ayez confiance en « Dieu comme je l'ai moi-même; il ne m'arrachera pas mon ami. Si je pouvais suivre l'impulsion de mon cœur, je serais déjà près « de vous; mais des affaires me retiennent. Cette journée est bien « pénible pour moi; mais j'ai une consolation que rien n'égale; <«< car je vois en vous et dans tout le peuple, mes amis et mes en<«<fants; que la bonté infinie de Dieu me donne des forces pour le << payer de retour, j'y consacrerai toute ma vie.

<< Votre ami intime,

» NICOLAS. »

On peut lire dans l'Ami de la Religion de 1825 et 1826 quelques détails très-intéressants sur la lutte de modestie entre Nicolas et Constantin, son frère aîné, chacun voulant céder à l'autre l'empire russe, et sur la fermeté qui s'est montrée tout à coup dans Nicolas, devenu empereur. Avant de passer à ce qui se rapporte plus directement à notre sujet, nous ajouterons ce que nous avons entendu de la bouche d'un ancien ambassadeur de France auprès de l'empereur Nicolas : « Je ne tiens pas à être empereur, mais ce à quoi je <«liens, disait Nicolas à M. de la Ferronnays, c'est de ne pas rece<< voir des conditions de mes sujets, et d'abandonner plutôt le trône « que de céder un iota du principe de l'autorité, sous prétexte du << bien du peuple, mais, en réalité, à son grand préjudice. »

Les événements qui ont suivi les premiers jours du règne de Nicolas n'ont pas été sans influence sur son caractère. La vie retirée qu'il menait auparavant, en étudiant avec succès la science du génie et des fortifications, devait faire place à une vie publique, où son amour naturel du travail, de l'ordre, de l'étude et de la paix allait se mêler aux emportements de la vengeance, à la haine de l'esprit de révolte, et à une tendance vers le protestantisme, tendance dissimulée par la crainte de compromettre son autorité vis à vis du clergé, et modifiée depuis par la conviction des dangers que fait courir à l'autorité le protestantisme.

Jusqu'en 1831, Nicolas n'attaquait le Catholicisme qu'en vertu de ses sympathies pour le Protestantisme. Depuis cette époque, ses persécutions ont d'autres motifs, dont le principal est la conviction que son empire repose sur ces trois fondements: l'Orthodoxie (schisme),, L'Autocratie et le Nationalisme.

Dans le prochain article nous donnerons d'autres détails sur l'empereur Nicolas. P. M. ETIENNE.

Bulletin Politique de l'Etranger.

Au Moniteur d'abord, la parole officielle :

Le Gouvernement a reçu de Bucharest, le 2 juillet, une dépêche télégraphique ainsi conçue :

« Aujourd'hui, 2 juillet, le corps d'armée qui doit occuper la Valachie passe le Pruth, par Léova. Il est commandé par le général Dannenberg. Le général Gortchakoff est attendu à Bucharest. Demain, le corps destiné à là Moldavie passera également le Pruth par Skouleni.

« M. Ozeroff se rend à Constantinople pour entamer de nouvelles négociations. On a donné aux hospodars l'assurance qu'aucune modification ne serait apportée aux gouvernements des principautés. >>

Le second de ces paragraphes est évidemment destiné à atténuer l'effet du premier. La médaille a ainsi son revers; à côté d'un commencement d'hostilités dans le présent, il reste des espérances d'arrangement pour l'avenir. D'une part, l'invasion des Principautés pour contraindre Constantinople à céder; de l'autre, le retour de l'ancien ambassadeur, dont le prince de Mentschikoff était venu, par sa mission extraordinaire, interrompre les travaux et les efforts moins bruyants.

Mais, si la politique russe se montre encore sous deux faces à l'Occident, elle se déclare et se manifeste avec un autre éclat aux peuples dont elle veut enflammer l'enthousiasme. Aujourd'hui, ce n'est plus un des grands dignitaires de l'Empire, c'est l'empereur Nicolas lui-même qui fait entendre à ses sujets sa voix souveraine. Les journaux n'ont fait connaître encore que des extraits fort incomplets et inexacts de ce manifeste. Nous don→ nons la traduction entière du texte qui a été publié officiellement à SaintPétersbourg:

Par la grâce de Dieu, nous, Nicolas Ier, empereur et autocrate de toutes les Russies, roi de Pologne, etc., etc., etc.

• Déclarons à tous nos peuples :

«Il est connu de tous nos bien-aimés et fidèles sujets que la défense de l'orthodoxie a été, de tout temps, le vœu de nos bienheureux ancêtres. De puis l'époque où il a plu à la toute-puissante Providence de nous confier le trône héréditaire, la conservation de ces saints devoirs qui en sont inséparables a été l'objet constant de notre sollicitude et de nos soins. Et ces devoirs ayant pour base le célèbre traité de Kainardji, confirmé par des traités solennels subséquents avec la Porte-Ottomane, ont toujours eu pour règle la garantie des devoirs de l'Eglise orthodoxe.

Mais, à notre extrême douleur, dans ces derniers temps, malgré tous nos efforts pour défendre l'inviolabilité des droits et priviléges de notre Eglise orthodoxe, plusieurs actes arbitraires de la Porte ont attenté à ces droits et menacé d'une complète destruction l'ordre consacré par les siècles et si cher à l'orthodoxie. Nos efforts pour empêcher la Porte de commettre.de pareils actes sont demeurés vais; et la parole solennelle qui nous a été donnée par le Sultan lui-même a été bientôt traîtreusement violée.

« Ayant épuisé tous les arguments et avec eux tous les moyens d'obtenir la satisfaction pacifique de nos justes demandes, nous avons jugé indispensable de faire entrer nos troupes dans les principautés du Danube, afin de montrer à la Porte où pouvait la conduire son opiniâtreté,

d'un seul. Celui qui met en mouvement cette machine doit se conformer à sa nature, crainte de la briser et de se briser avec elle, mais ses mouvements ne dépendent que de lui. Aussi, avant de trailer du gouvernement russe en lui-même, il faut parler d'abord de celui qui gouverne. L'un et l'autre offrent des chances et des obstacles pour le retour de la Russie à l'unité catholique. Nous avons l'intention de parler d'abord de l'empereur Nicolas et ensuite de sa famille, ce qui servira de transition aux détails sur le gouvernement russe, sous le rapport religieux.

L'empereur Nicolas, vu l'importance de l'influence qu'il exerce sur le monde depuis vingt-huit ans, est très-peu connu en Europe. 11 unit, avec l'énergie et la rudesse de Pierre I, l'éclat de Catherine II et les manières diplomatiques d'Alexandre. Sous le rapport religieux, il pratique tous les devoirs d'un russe pieux ; assiste à toutes les messes, souvent même fait deux retraites (govénié) par an, aime à bâtir des églises et des chapelles et à veiller à ce que tout s'y fasse avec ordre. Hors des devoirs extérieurs du culte, il est puséiste, croyant que le catholicisme est partagé en plusieurs églises; dans le cercle privé, il plaisante parfois des pratiques religieuses. Pour ce qui touche ses sentiments intimes, les Russes convertis sont de trois opinions; les uns doutent s'il est de bonne ou mauvaise foi en ses pratiques et en ses attaques contre le catholicisme; les autres croient qu'il est tout à fait de bonne foi; enfin plusieurs soutiennent le confraire. Le grand nombre de faits et d'anecdotes qu'on cite au sujet de l'empereur Nicolas pourront peut-être servir à former l'opinion qu'il faut avoir touchant ses véritables dispositions religieuses, et faire connaître les chances, si impossibles, au point de vue purement humain, de sa conversion.

Avant de monter au frône, Nicolas s'est montré tout différent de ce qu'il est devenu depuis. Modeste et retiré depuis son enfance, il vivait comme oublié à la cour d'Alexandre, et n'était connu que par une ode faite en son honneur à l'occasion de sa naissance par le premier poëte russe Derjavine, et par les honneurs que lui a rendus, presque dans son berceau, le fameux Souvarow, revenant de l'Italie en 1799 : les deux hommes les plus populaires en Russie à la fin du xvin siècle.

L'Ode de Derjavine et les prostrations de Souwarow qui apportait de son voyage le titre de prince d'Italie et de cousin du roi de Sardaigne, que lui avait conféré Charles-Emmanuel IV (prostrations faites spontanément et devant toute la cour aux pieds d'un enfant de quatre ans), sont devenues comme des prophéties de la grandeur de Nicolas, qui, troisième fils de l'empereur, n'avait alors aucune chance de régner. Son enfance s'est passée sous l'influence protestante de la baronne Lieven, qui, à la recommandation du comte Browne, gouverneur de la Livonie, fut placée auprès des enfants de

Paul I". L'influence de la baronne Lieven a été tellement grande à la cour, que Paul I lui a conféré le titre de comtesse, et l'empereur Nicolas, à son avénement au trône, le titre héréditaire de princesse et d'altesse (1). En 1815, Nicolas a visité la France et a passé aussi inaperçu à l'étranger qu'en Russie. Il n'a été remarqué en 1817 qu'à l'occasion de son mariage avec la fille du roi Frédéric-Guillaume III, de Prusse, mariage assez rare parmi les princes, à cause de la correspondance d'amitié qui l'a précédé, et qui a augmenté l'influence protestante que subissait déjà Nicolas, en vertu de son éducation première sous une gouvernante luthérienne, et à une époque où l'alliance anglaise portait la Russie plus que jamais vers le protestantisme. C'est en 1818 que le grand-duc Nicolas apparaît la première fois, et non sans un heureux éclat, aux yeux du peuple, par la lettre qu'il a écrite à Augustin, alors archevêque de Moscou, lettre rendue publique, dont voici la traduction :

<< Monseigneur,

« J'ai vu avec la crainte d'un faible mortel, mais avec l'espérance « d'un chrétien fidèle, approcher le moment le plus décisif de ma « vie; incertain de ce que la Providence m'avait réservé, j'avais << affermi mon âme par un vœu religieux, et j'attendais avec rési« gnation la volonté de Dieu.

all a plu à la divine Providence de me faire goûter le bonheur a d'être père; elle a bien voulu conserver et la mère et le fils. L'ex« pression de la reconnaissance, qui n'est pas nécessaire à celui qui « scrute les cœurs, devient indispensable pour un cœur qui en est pénétré. Le vœu que je m'empresserai de remplir, est d'ériger, << sous l'invocation d'Alexandre Nevsky, une chapelle dans l'église a de la Nouvelle Jérusalem. C'est l'humble offrande d'un père heu« reux qui confie au Tout-Puissant son bien le plus précieux, la des<tinée de sa femme et de son fils.

« Vous, Monseigneur, vous serez mon aide et mon guide dans « l'accomplissement d'un vœu si cher à mon cœur. Que de ferventes « prières pour la mère et le fils soient adressées au ciel, au pied de << cet autel élevé par la reconnaissance d'un père. Que le Tout-Puis<< sant prolonge leurs jours pour leur bonheur, pour le service du « souverain, pour l'honneur et le bien de la patrie! »

On pourrait regarder cette lettre comme une pure formalité en pensant à la conduite de Nicolas, devenu empereur, vis-à-vis des catholiques; mais peu d'années après, à peine monté au trône, il écrivait une autre lettre autographe qui ne pouvait qu'exprimer ses véritables sentiments et ses dispositions religieuses. Voici la traduction de cette lettre adressée au comte Miloradovitch, gouverneur gé

(1) C'est un des fils de cette princesse Lieven qui a été ambassadeur en Angleterre.

néral de Saint-Pétersbourg, lâchement et mortellement blessé le 14-20 décembre 1825. Dans une révolte dirigée contre Nicolas, ce général, si aimé des troupes depuis 1812 et que le roi Murat considérait comme un Bayard russe, avait découvert sa poitrine en disant aux soldats rebelles: Tuez votre général, qui vous à conduits tant de fois à la victoire.

<< Mon ami, mon cher Michel-Andréévisch, que Dieu vous ré<< compense de ce que vous avez fait pour moi; ayez confiance en « Dieu comme je l'ai moi-même; il ne m'arrachera pas mon ami. Si je pouvais suivre l'impulsion de mon cœur, je serais déjà près « de vous; mais des affaires me retiennent. Cette journée est bien < pénible pour moi; mais j'ai une consolation que rien n'égale; <«< car je vois en vous et dans tout le peuple, mes amis et mes en«<fants; que la bonté infinie de Dieu me donne des forces pour le << payer de retour, j'y consacrerai toute ma vie.

<< Votre ami intime,

» NICOLAS. >>

On peut lire dans l'Ami de la Religion de 1825 et 1826 quelques détails très-intéressants sur la lutte de modestie entre Nicolas et Constantin, son frère aîné, chacun voulant céder à l'autre l'empire russe, et sur la fermeté qui s'est montrée tout à coup dans Nicolas, devenu empereur. Avant de passer à ce qui se rapporte plus directement à notre sujet, nous ajouterons ce que nous avons entendu de la bouche d'un ancien ambassadeur de France auprès de l'empereur Nicolas : « Je ne tiens pas à être empereur, mais ce à quoi je «<tiens, disait Nicolas à M. de la Ferronnays, c'est de ne pas rece<< voir des conditions de mes sujets, et d'abandonner plutôt le trône « que de céder un iota du principe de l'autorité, sous prétexte du bien du peuple, mais, en réalité, à son grand préjudice. »>

Les événements qui ont suivi les premiers jours du règne de Nicolas n'ont pas été sans influence sur son caractère. La vie retirée qu'il menait auparavant, en étudiant avec succès la science du génie et des fortifications, devait faire place à une vie publique, où son amour naturel du travail, de l'ordre, de l'étude et de la paix allait se mêler aux emportements de la vengeance, à la haine de l'esprit de révolte, et à une tendance vers le protestantisme, tendance dissimulée par la crainte de compromettre son autorité vis à vis du clergé, et modifiée depuis par la conviction des dangers que fait courir à l'autorité le protestantisme.

Jusqu'en 1831, Nicolas n'attaquait le Catholicisme qu'en vertu de ses sympathies pour le Protestantisme. Depuis cette époque, ses persecutions ont d'autres motifs, dont le principal est la conviction que son empire repose sur ces trois fondements: l'Orthodoxie (schisme), L'Autocratie et le Nationalisme.

Dans le prochain article nous donnerons d'autres détails sur l'empereur Nicolas. P. M. ETIENNE.

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