Page images
PDF
EPUB

« pluralité des magistrats choisis parmi les meilleurs citoyens; et la « démocratie ou la puissance populaire manifestée par l'élection de « ces magistrats qui se ferait dans les rangs du peuple et par sa « voix (1). » Le gouvernement de la Grande-Bretagne est fait sur ce modèle; fille du xur siècle, la liberté anglaise est née catholique.

Le protestantisme vint qui troubla ce bel ordre. Sa confusion de la puissance temporelle et de la puissance spirituelle entre les mains du roi devait tourner en un despotisme sans frein qui s'attaquerait même aux consciences; et, en même temps qu'il enflait le pouvoir royal, il rendait par le mépris de l'autorité de l'Eglise chaque homme maître de sa doctrine et développait dans les âmes un esprit d'indépendance, funeste aux gouvernements comme aux croyances. De ces luttes éclata la révolution politique; la constitution anglaise fut violée, le pouvoir monarchique se donna toute licence, et le parlement de Henri VIII, parlement réformé d'hier et vil comme un sénat de bas-empire, décréta que la volonté du tyran faisait loi. La royauté, énervée par ses excès, périt à son tour, un roi est jugé, déposé, condamné à perdre la tête comme un criminel de la lie du peuple (Fénelon), l'Angleterre est en proie à mille sectes et ne sait où se fixer dans ses propres erreurs, et tout cela finit par le despotisme de Cromwell. Le catholicisme était hors de cause dans ces démêlés; le protestantisme avait tout fait, et, pendant que le peuple, imbu de ses maximes, se livrait à ces désordres, les docteurs, élevés dans ses écoles, formulaient la théorie de l'anarchie ou de la servitude. Bacon et Locke, en ramenant tout aux sens, ruinaient avec les principes immuables la notion même du droit, et Hobbes, entraîné sur cette pente, disait que la meilleure forme de gouvernement est celle où <«<les sujets sont le patrimoine du souverain (2). »

Ce n'était pas là d'ailleurs un résultat particulier à l'anglicanisme; la réforme se ressemblait partout. M. Macaulay fait observer que << les révolutions continentales du xvir et du XIXe siècle eurent lieu << dans les pays où toute trace de la monarchie tempérée du moyen' « âge avait depuis longtemps disparu (3). » La monarchie tempérée du moyen-âge avait disparu sous l'action de la réforme. Le despotisme était dans l'esprit même du protestantisme; Jurieu disait qu'il doit y avoir en toute société une autorité qui ne soit pas tenue d'avoir raison, et le roi de Danemark, Frédéric III, écrivait dans sa constitution de 1665, art. 2: «Les rois sont au-dessus de toutes les lois hu<<maines et ne reconnaissent dans les affaires ecclésiastiques et civi« les d'autre juge que Dieu seul. » Là même où le protestantisme ne triompha pas, il avait jeté la division dans l'Etat et relâché les liens sociaux; et dès lors, par cette loi géométrique que M. Donoso-Cor

(1) Saint-Thomas, prima secunda part., quæstio 105. Conclusio. (2) Hobbes, de l'Empire, ch. IX, § 8.

(3) T. 11, Macaulay.

lès éclairait naguère de toutes les splendeurs de son éloquence, il devait se faire une réaction des forces vives de la société vers leur centre et un excès de l'autorité. La France arriva à travers les guerres de religion et les fureurs de la ligue au ministère de Richelieu qui acheva sa victoire de la Rochelle par la suspension des étals-généraux et par l'établissement de la monarchie absolue.

L'Angleterre du dix-septième siècle oubliait ces enseignements de l'histoire; elle disait le catholicisme inconciliable avec la liberté, et ce prétexte couvrait une intolérance sans bornes. Est-il besoin de rappeler ces lois de sang, en vertu desquelles tout jésuite qui mettait le pied sur le sol anglais, ou tout prêtre qui admettait un néophyle dans le sein de l'Eglise de Rome, s'exposait à être pendu et écartelé? Une récompense était offerte pour l'appréhension du délinquant, et, quand il était saisi, on lui déniait le bénéfice de cet axiome du droit public d'Angleterre qui ne permet pas à un accusé de s'incriminer fui-même s'il refusait de répondre, il pouvait être emprisonné pour la vie, Personne n'était aple à occuper des fonctions publiques, même à être avocat ou maître d'école, sans avoir prêté le serment de suprématie et ces rigueurs avaient lieu dans un pays où le protestant Sully venait de représenter le roi, fils aîné de l'Eglise !Enfin le jour approchait où seraient rendues contre les catholiques d'Ir lande ces lois de découverte, qui faisaient de toutes les basses convoitises de l'homme un instrument de propagande anglicane. On connaît ces lois : les catholiques sont déclarés incapables d'acquérir des terres; si un enfant abjure la religion catholique, il hérite de tout le bien de son père, quoiqu'il soit le plus jeune; si le fils abjure sa religion, le père n'a aucun pouvoir sur son propre bien, mais il perçoit une pension sur ce bien qui passe à son fils; les prètres qui célébreront la messe, seront déportés, et, s'ils reviennent, pendus; si un catholique possède un cheval valant plus de cinq livres sterling, il sera confisqué au profit du dénonciateur, etc.... Législation d'autant plus odieuse, que, née au commencement du dix-huitième siècle, elle ne devait pas avoir pour excuse les emportements de la guerre civile ! M. Macaulay appelle le Code irlandais un type d'injamie pour toutes les nations chrétiennes.

Tel était l'état moral de l'Angleterre quand les Stuarts furent rétablis le 26 mai 1660.

Le règne de Charles II se passa en exécutions et en fêtes. Prince insouciant et léger, venu après la fin tragique de son père et un demi-siècle de bouleversements, il fut soigneux avant tout de vivre en repos et de mourir dans son lit. La nation, fatiguée et avilie par la tyrannie du Protecteur, courait d'elle-même au-devant de ses désirs tout en le soupçonnant de pencher vers l'Eglise romaine, elle le redoutait peu, parce que le scepticisme de ses idées, entretenu par la mollesse de ses mœurs, le rendait incapable d'un parti violent.

Charles régnait au jour le jour : indécis à l'intérieur et faible à l'extérieur, gouvernant lantôt avec Clarendon et les constitutionnels, tantôt avec lord Danby et la cabale, tantôt avec lord Essex et les whigs, essayant même du régime absolu, il parvint à ne pas inter rompre ses plaisirs et à se faire un règne de vingt-cinq ans. Le gibet des régicides et l'échafaud de Sidney et de Russel s'élèvent aux extrémités opposées de ce règne; dans l'intervalle, une hostilité sourde contre le duc d'Yorck, l'acte du Test, les intrigues de Shaftesbury et des roués, les calomnies de Titus Oatès, flétries par Voltaire luimême, et le supplice de Jésuites innocents annoncent les maux de l'avenir.

Jacques II monta sur le trône en 1685; son règne dura quatre ans à peine. M. Macaulay est sévère pour ce prince; souvent même, à voir avec quelle vivacité il poursuit sa mémoire, il semble qu'un Prétendant trouble encore l'Angleterre, et que le tombeau du dernier des Stuarts ne l'ait pas affranchi de ses peurs. Examinons de sang-froid toute cette vie.

Déjà, sous le règne de Charles II, une grande opposition avait fermenté contre son frère; elle avait inspiré l'acte du Test, loi insensée et inique, qui fermait l'entrée du Parlement et de toutes les charges à quiconque n'abjurerait pas la présence réelle de JésusChrist dans l'Eucharistie, et même un bill, présenté deux fois à la Chambre des communes et repoussé par la Chambre des lords, avait demandé l'exclusion du duc d'Yorck de la succession à la couronne. Jacques, devenu roi, oublia ces inimitiés; il s'entoure de conseillers Whigs comme Halifax ou modérés comme Rochester, il réunit un Parlement, il veut arriver par les voies constitutionnelles à l'abolition de l'acte du Test et des lois pénales qui frappaient les catholiques. Ce fut en vain : Jacques Il ne tenta l'illégalité que le jour où la loi fit défaut à sa conscience; mais il la tenta et il eut tort.

Un grand parti conseillait au roi d'Angleterre de ne pas précipiter les événements et de les réduire peu à peu à sa volonté par un habile tempérament de fermeté et de patience. Le pape Innocent XI était à la tête de ce parti; on aime à retrouver dans toute cette affaire la sagesse du Pontife qui sauva l'Europe avec Sobieski et le duc de Lorraine. Son légat apostolique à Londres, le comte d'Adda, recommandait toujours la paix entre le Roi et les Chambres. « On l'a«vait fait prévenir, écrivait l'ambassadeur de France en parlant « d'Adda, que la sûreté et l'avantage des catholiques consistaient dans une réunion entière de Sa Majesté Britanniqne et de son << Parlement (1). » La lutte s'ouvrit enfin ; d'Adda l'appelle un grand malheur (gran disgrazia), il est d'avis que le Roi devait à accepter « un accommodement en abolissant les lois pénales et conservant

[ocr errors]

(1) 24 décembre 1685.

«<l'acte du Test; » il prévoit que cette querelle, engagée avec les passions d'un pays, aboutira à la chute du trône et à la persécution de l'Eglise. Les représentants de l'Autriche et de l'Espagne négociaient aussi en ce sens; il est vrai que tout le mystère de leur politique était de réconcilier Jacques et son Parlement et de les entraîner ensemble contre Louis XIV.

Jacques II ne comprit pas la prudence de ces conseils; il se rappela que des concessions n'avaient pu sauver son père, et il voulut tout oser. Il y a des hommes qui semblent par les accidents de leur destinée et par les besoins de leur nature voués au malheur : Jacques était de ce nombre; il devait voir tous ses projets déjoués par les événements et mourir sans expérience. La rigueur inflexible de ses convictions religieuses dégénéra en opiniâtreté et devint pour le Stuart une espèce de falalité volontaire qui le poussa aux abîmes.

:

Jacques se persuadait qu'il ne violait pas les lois. « Ce prince m'a «< dit, écrivait Barillon, ambassadeur de France, que Dieu avait per<< mis que toutes les lois qui ont été faites pour établir la religion << protestante et détruire la religion catholique, servent précisément « de fondement à ce qu'il veut faire pour l'établissement de la vraie << religion et le mettent en droit d'exercer un pouvoir encore plus a grand que celui qu'ont les rois catholiques sur les affaires ecclé<<siastiques dans les autres pays. » On voit de suite toute sa pensée chef de l'Eglise anglicane, autorisé par la loi à réformer tous les abus spirituels, ne devait-il pas réformer l'anglicanisme luimême comme le premier de ces abus? Vaines illusions de sa conscience! Une erreur de Jacques était de croire qu'il lui serait possible de procéder comme Henri VIII, et de changer violemment la religion de son royaume. La puissance d'Henri VIII était toute d'emprunt; il avait réussi, parce qu'il avait intéressé les passions à son œuvre, et, le fond de la nation ainsi soulevé, il avait vaincu les résistances par le droit des échafauds. Bossuet s'écriait à la vue des apôtres « Voyons par quels artifices ils se concilieront les esprits. << Venez, disent-ils, servir Jésus-Christ: quiconque se donne à lui << sera heureux quand il sera mort; en attendant, il faudra souffrir « les dernières extrémités. Voilà leurs doctrines et voilà leurs preu« ves; voilà leur fin, voilà leurs moyens (2). » Le protestantisme n'avait pas tenu ce langage; il avait montré au clergé l'abolition du célibat, aux religieux la remise des vœux, à l'aristocratie les dépouilles des couvents, au peuple entier le divorce et le relâchement de toutes les sévérités du christianisme : l'Angleterre, séduite et enrichie, échangea les freins de l'Eglise contre le joug des Tudors. Il n'en était pas de même du catholicisme; on ne pouvait rentrer dans son sein que par le sacrifice, et Jacques II se méprenait à cet égard. La vérité n'a pas ce que Massillon appelle le privilège de familiarité (2) Panégyrique de saint André.

de l'erreur; il ne lui est permis d'aspirer à la direction des âmes et au gouvernement des empires que par la douce autorité de sa doctrine! ST-H. MERCIER DE LACOMBE.

Le gouvernement piémontais vient de révoquer les dispositions des ordonnances du 23 décembre 1839 et du 14 novembre 1842, qui exemptaient du service militaire les Frères des écoles chrétiennes et les Frères de la Sainte-Famille.

Est-ce là l'esprit de sagesse et de modération qu'entendait encourager hier le Journal des Débats en consacrant son premier Paris à la Jouange des nouvelles institutions du Piémont et des actes du ministère?

Une correspondance de Turin, reproduite par divers journaux, parle d'une réunion prochaine des Evêques piémontais pour s'entendre entre eux et se concerter ensuite avec le ministre de l'Instruction publique au sujet de l'éducation qui se donne à la jeunesse. Si l'on en croit l'Echo dn Mont Blanc, cette réunion ne serait rien moins qu'un concile « dans lequel on rédigerait un mémoire contre tout ce qui se passe dans ce pays d'hostile à la Religion. »

Espérons que le gouvernement finira par comprendre que, dans l'intérêt même des libertés constitutionnelles qui subsistent en Piémont, il ne doit rien faire pour ravir à l'Eglise l'exercice de ses droits, l'indépendance de son zèle et la force de son autorité. Alfred DES ESSARTS.

Nous avons reçu des lettres de Rome qui portent la date du 13 août. M. Lightenvelt, ministre du culte catholique du roi des Pays-Eas, était encore à Rome, mais il devait partir incessamment de cette ville pour retourner à La Haye, en passant par Paris. Il se loue beaucoup de la manière dont il a été accueilli par le Pape et par le cardinal Antonelli. Du reste, le voyage à Rome de M. Lightenvelt n'a pas été infructueux. S. S., qui avait déjà fait une concession importante en consentant à modifier les formules du serment canonique des évêques, afin de rassurer le gouvernement du roi des Pays-Bas, par l'addition d'une clause qui réserve « la fidélité au roi et à ses successeurs au trône; » S. S. a consenti à deux autres concessions qui n'ont pas moins d'intérêt.

Premièrement, pour consacrer les nouvelles formules du serment canonique, le Pape admet que les serments déjà prêtés par les évêques néerlandais suivant les formules non modifiées seront considérés comme s'ils avaient été faits conformément à la nouvelle formule, et interprétés dans le sens de l'addition comprise dans cette nouvelle formule. Déjà l'internonce du Pape à La Haye, monsignor Belgrado, avait donné une déclaration analogue dans une Note qu'il a adressée le 30 juillet au ministre des affaires étrangères du roi des Pays-Bas. Cette déclaration est aujourd'hui confirmée et corroborée par la décision souveraine et irréfragable de la cour de Rome.

Deuxièmement, le Pape a décidé que les évêques pourront prêter le serment civil de fidélité au roi et aux lois du royaume.

Ces concessions témoignent hautement de l'esprit de conciliation et de sagesse qui anime la cour de Rome. (Armand Bertin.)

(Journal des Débats.)

« PreviousContinue »