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M. de S. Pons ne manque pas d'amis qui travaillent Indirectement à le servir. Il me semble qu'on pourrait raccommoder tout par des formalités qui maintlendraient l'autorité du S. Siége, sans donner d'ombrage au parlement. Ne serait-il pas de la bonté du Pape de condescendre à ces expédients pour le maintien de l'autorité même que les amis de M. de S. Pons tâchent d'éluder. Les fauteurs du parti ne désirent rien tant que d'augmenter la jalousie et Ja mésintelligence entre la puissance du pape et celle du roi. Leur but est de brouiller ces deux puissances, en sorte qu'elles n'agissent plus de concert contre eux, et que Rome rebutée du mauvais succès ne veuille plus envoyer en France aucune décision contre le Jansénisme. Pour moi je désire ardemment l'union intime des deux puissances pour l'extirpation de la nouveauté et pour le soutien de l'Eglise.

Permettez-mol, s'il vous plait, Monsieur, de vous faire souvenir que vous avez eu la bonté de me promettre que vous me manderiez comment et pourquoi le père Delbeque, dominicain docteur de Louvain, a quitté Rome, où il enseignait selon la fondation du cardinal Casanate.

Ne puis-je pas espérer que vous voudrez bien parler à M. le cardinal Gabrielli de mon respect, de ma vénération, et de mon attachement tendre pour sa personne ? J'ai vu passer ici un homme considérable qui m'a parlé des bontés que le cardinal conserve pour moi. J'en ai la plus sincère et la plus vive reconnaissance, qui durera autant que ma vie. Je lui écrirais quelquefois pour lui ouvrir mon cœur, si je croyais que mes lettres lui fissent quelque plaisir. Je ne m'en suis abstenu, qu'à cause que je n'ai point reçu de réponse. Pour M. le cardinal Fabroni, je vous supplierais de vouloir bien lui dire combien je le respecte, si je ne croyais pas qu'il est peu content de moi, et persuadé que j'aurais pu dire plus que je n'ai dit sur l'autorité du S. Slége.. Vous savez combien j'aurais été blámé des deux côtés, si je ne fusse pas demeuré dans les bornes, que je n'ai pas cru devoir passer.

Personne ne sera jamais avec une plus forte estime, un attachement plus vif, et une cordialité plus parfaite que moi, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

XII.

FÉSELON A ALAMANNI.

A Cambrai, 2 janvier 1711 .

Agréez, je vous supplie, Monsieur, que je vous renouvelle dans ce commencement d'année les assurances d'une estime et d'un attachement qui ne finiront qu'avec ma vie. Je n'ai pas eu l'honneur de vous voir long-temps, mais il me semble que je vous ai vù de bien près, et que j'ai trouvé en vous ce qu'on ne trouve guère dans la plupart des hommes. Vous m'avez para occupé de la religion, touché des maux que l'Eglise souffre, et plein de bons principes pour la servir avec courage et droiture. Ce pays est ravagé de toutes façons. Les armées détruisent tout dans la campagne. Les protestants vont opprimer l'Eglise. D'autres novateurs appuyés par eux ne sont pas moins à craindre. Je comprends en gros de loin les embarras de Rome, mais certainement elle est dans le plus pressant besoin de relever son autorité par les voies purement spirituelles. Il ne sagit point de faire des coups éclatants. Il ne faut qu'un dessein suivi avec patience et constance, avec courage et désintéressement. Il faut poser de nouveau les fondements de l'autorité, qui sont la confiance, l'amour, la vénération, la persuasion. Il ne faut que des changements insensibles. On peut sans contradiction former des sujets, établir des lieux pour les préparer, faire fleurir la science de la saine tradition contre la nouveauté qui veut paraître ancienne. Il faut mettre les meilleurs sujets sur le chandelier, écarter les hommes profanes, et ceux qui sont suspects pour la doctrine. A l'égard des nations, il suffit de les ménager avec douceur et patience. Il faut tenir ferme pour l'essentiel, et

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leur faire sentir cette fermeté pour leur oter l'espérance de gagner du ter rain à force de crier et de menacer. Je le dis pour toutes les nations, quoique j'aime tendrement la mienne. Sur la religion il n'y a en J.-C. ni juif, ni gentil, ni Scythe, ni Grec. Dieu vouille nous conserver long-temps le Pape. Il connaît les besoins de l'Eglise. Sa douceur, sa modération, son génie, ses connaissances acquises, sa piété et sa vie exemplaire lui ont mérité une grande autorité en tous lieux. Nul autre ne pourrait le remplacer dans ces temps malheureux. Vous avez su la mort de M. l'archevêque de Sébaste. On assure que M. With, auteur de l'horrible dénonciation de la bulle, est fort malade. Je souhaite qu'il se convertisse avant que de mourir. Je compte que vous avez déjà vu mes deux lettres, l'une sur cette dénonciation, et l'autre sur la relation du cardinal Rospigliosi. Le P. Daubenton vous en aura fait part. Je vous informerai, quand il vous plaira, des choses qui regardent la religion en ce pays. J'ose dire qu'elle y a fait une vraie perte en la personne de M. l'abbé de Langeron, qui est mort entre mes bras après une maladie de peu de jours. Vous connaissiez ses talents, son esprit, son savoir et sa grande piété. Il y avait trente-quatre ans que nous vivions dans l'amitié la plus intime. Il a fini sa vie dans une paix et dans une union à Dieu qui fait mon unique consolatioe dans une perte si irréparable pour moi. Je le recommande à vos prières. Vous l'aimiez, et il vous honorait infiniment. Personne sans exception ne sera jamais, Monsieur, plus fortement que moi, votre trèshumble et très-obéissant serviteur.

Fr. Ar. Duc de Cambrai.

Je vois avec douleur la naissance d'un schisme dans l'église de Tournai par les intrigues du parti Janséniste, et par les artifices du sieur Ernest, secrétaire de feu M. Arnaud. Rome ne voit pas avec quelle audace le parti se joue de son autorité. Il faut le voir en ce pays pour le pouvoir croire.

XIII.

ALAMANNI A FÉNELON.

A Rome, ce 13 juin 1711.

J'espère, monseigneur, que vous aurez eu la bonté d'excuser mon silence durant mon séjour à Florence, où mes affaires de famille m'ont arrêté une année entière. Ce pays-là ne me fournissant point de matière digne de votre personne, je jugeai plutôt de me priver de la consolation de vous écrire, que de vous entretenir de choses frivoles. A Florence, je reçus une bien longue lettre du 15 juillet de l'année passée: depuis peu, étant revenu ici, le P. Daubenton me fît l'honneur de me présenter la dernière lettre du 2 janvier, de laquelle je tirai un grand soulagement dans la fièvre dont j'avais été attaqué.

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Il y a peu de jours que nous allâmes promener ensemble, M. le cardinal Fabroni et moi: toute la conversation roula sur votre chapitre. Je vous assure, monseigneur, qu'on ne peut plus vous estimer qu'il vous estime. Il connaît à fond les travaux que vous souffrez pour l'Eglise; il vous regarde comme le soutien de la religion en Flandre, et il ne laisse aussi d'avouer que vos livres sont remplis d'un véritable amour pour l'Eglise, et d'un sincère attachement au Saint-Siége. Il est d'ailleurs si persuadé des motifs qui vous empêchent de parler en certaines matières plus clairement, qu'il m'ordonne de vous mander qu'à votre propos il se souvenait des parolos du cardinal Cajetan: Tene sententiam, cohibe linguam. Il m'ajouta qu'il aurait bien souhaité d'entretenir un commerce de lettres avec vous, mais qu'il en était empêché par les congrégations qui l'accablaient d'affaires, qui ne laissaient pas un moment à lui. Du reste, il me pria à vouloir bien vous faire ses compliments, et à vous assurer qu'il estimera toujours votre amitié. Je lui fis la confidence de lui lire une partie de votre longue lettre du 15 juillet: il tomba d'accord avec moi de tout ce que vous dites de notre cour, et qu'i

ne le souhaiterait moins que personne; que de son côté il ne laissait pas de faire du fruit, et de faire connaître les conséquences extrêmes que vous marquez dans la même lettre: mais que d'abord on lui fermait la bouche avec la mauvaise situation de nos affaires et du temps. Sur cela il me parla de la manière avec laquelle pouvait parler celui qui connaît le plus intime'ment votre singulier mérite. Je croirais, monseigneur, bien à propos, que vous prissiez de temps en temps des conjonctures, pour lui mander le mauvais état où est réduite la religion en Flandre; car ici, parmi les cardinaux'il n'y a personne qui soit plus touché de vos maux, qui en comprenne le mieux les conséquences, et qui soit plus capable d'en parler à propos...

En relisant vos lettres, qui me tiennent lieu d'un fort bon livre, j'ai vu dans celle du 10 février de l'année 1710, que dans ce même jour devait par tir de Cambrai l'écrit que vous m'avez fait espérer depuis deux ans. Je dois vous avertir que je ne l'ai point reçu, et je serais bien fâché si ou l'avait perdu: peut-être que vous jugeâtes de suppléer à cet écrit avec la lettre du 15 juillet de la même année, mais je ne suis pas content d'un tel supplément; ne vous retirez pas de la promesse que vous m'en avez faite, car vous me feriez croire que vous eussiez changé les sentiments à mon égard.

XIV.

FENELON A ALAMANNI.

A Cambrai, 19 octobre 1711.

Vous serez peut-être surpris, Monsieur, de me voir si peu régulier à vous dire combien je vous honore. Les soins très-obligeants dont vous m avez comblé, m'obligeraient à vous en remercier très souvent, et mon inclination m'y engagerait encore plus; mais je suis sûr que vous auriez la bonté de me dispenser de tout, si vous pouviez voir la triste situation où nous vivons. Nous avons eu cette campagne deux armées chacune d'environ cents mille hommes à nos portes, et à la vue de nos fenêtres. Notre armée a é comme dans Cambrai, et les officiers généranx étaient à toute heure céans, Quoique les deux armées aient eu des égards infinis pour moi, que je n'aurais jamais osé espérer, nous avons fait des pertes irréparables. Tout ce paysqui était si abondant et si bien cultivé, n'est plus qu'une campagne horriblement ravagée. Je ne saurais aller visiter les villages; les peuples sons fugitifs et dispersés. A peine puis-je espérer de soutenir notre séminaire pour former des prêtres. Nous commençons à manquer de curés. Les curés eux-mêmes, en péril de perdre la vie, abandonnent les villages pour se refugier dans les villes. D'un autre côté, la campagne du côté de Lille, de Courtrai, de Tournai, et de tout le pays conquis par les Hollandais, paraît pleine de familles ou anciennement hérétiques en secret, ou nouvellement séduites qui se déclarent protestants. Enfin le parti Janséniste lève de plus en plus la tête. Il soulève tout en Hollande, il prépare un schisme à Tournai, il remue mille ressorts en France. Le S. Siége ne saurait comprendre de loin jusqu'où va le venin de ce parti, et le danger où il met l'Eglise. On peut croire que j'outre les choses, mais on ne verra que trop par les suites, qu'on n'ira jamais jusqu'au fond du mal, pendant qu'on n'ira point à ce qui paraît excessif aux esprits n'eutres et politiques. J'ose l'assurer, parce que je connais les artifices, et la hardiesse de ce parti. Les remèdes superficiels ne feront jamais rien. On perdra tout en temporisant, et en cherchant les expédients ambigus. Je ne voudrais ancune violence, mais il faut, si je ne me trompe, des décisions qui ôtent au parti toutes ses évasions, et qui le décréditent parmi tous les vrais catholiques. Il faudrait ou ôter à ce parti tous ses fauteurs, ou décréditer les fauteurs mêmes. Rome hasardera tout, si elle craint trop de hasarder. Le Pape et bon, droit, zélé, éclairé, pénétrant, 11 sait mener les hommes. Je prie tous les jours, qu'il nous le conserve longtemps, et qu'il lui donne le double esprit du prophète Elie pour parler aux

rois et aux peuples dont il est le père universel. Il faut le zèle, la force, la voix de Pierre pour se faire écouter dans ces jours de confusion et de péché. J'ai appris avec douleur la mort de M. le cardinal Gabrielli. Il était pieux, sincère, zélé pour la saine doctrine. Je comprends que nos espérances devraient entièrement se tourner vers M. le cardinal Fabroni, qui a le savoir et le zèle de la maison de Dieu. Puis-je espérer que vous aurez la bonté pour moi de lui témoigner ma vénération et mon respect? Ce que je vous demande le plus instamment, est d'honorer toujours de votre amitié l'homme du monde qui est le plus parfaitement pour toute la vie, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

XV.

Fr. Ar. Duc de Cambrai.

FENELON A ALAMANNI.

A Cambrai, 8 février 1712.

J'apprends, Monsieur, par les gazettes, que le pape vous a donné une marque d'estime et de confiance. Je m'en réjouis avec une parfaite sincérité. Je crois que c'est aimer l'Église que de souhaiter de vous voir dans des emplois, où vous soyez à portée de la servir. Vous connaissez tout ce qu'elle demande à ses ministres Vous voyez ses pressants besoins et les obstacles que le monde met à l'avancement de la religion. Ainsi c'est encore plus pour l'intérêt de l'Eglise, que pour le vôtre, que je vous désire tout ce que je serais fâché que vous désirassiez. J'ai pour vous une ambiton que je prie Dieu de ne laisser point entrer dans votre coeur. Le mien est encore rempli de T'honneur que vous m'avez fait à Cambrai, et de l'amitié que vous m'avez témoignée depuis votre retour à Rome. Ce souvenir si persévérant avec tant de circonstances obligeantes montre une solide et rare bonté. C'est ce que je n'oublierai jamais. Ni la longueur du temps, ni la distance des lieux ne diminueront en rien le zèle, avec lequel vous est dévoué, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

RUSSIE.

Fr. Ar. Duc de Cambrai.

CHANCES DU RETour de la russie a L'unité CATHOLIQUE Sous le rapport de l'état actuel du gouvernement dans ce pays. L'Empereur Nicolas.

(2 article, voir le n° 5,550.)

Malgré la nature évidemment politique du manifeste de l'empereur Nicolas, en date du 14 juin (dont l'Ami de la Religion a publié la traduction vérifiée sur l'original, et plus complète que celle qui en a été donnée par le Journal français de Saint-Pétersbourg), on a pu voir, en lisant notre dernier article, que les antécédents de ce souverain, autant que l'esprit de son peuple, sont en harmonie avec le style de ce manifeste. Nous allons citer maintenant divers faits qui, en montrant les sentiments et le caractère de l'empereur Nicolas, indiqueront jusqu'à quel point on peut espérer sa conversion. Et d'abord, quelles que soient les injustices qui se commettent maintenant comme avant 1845 contre les couvents catholiques, quelle que soit l'oppression qui pèse sur l'éducation des enfants nés

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des mariages mixtes, quelles que soient les persécutions dirigées contre les convertis au catholicisme, il y a un fait certain, c'est que l'entrevue de Nicolas avec le pape Grégoire XVI, à la fin de 1845, a exercé une influence salutaire sur le Tzar. C'est depuis cette époque que le protestantisme a commencé à perdre de sa valeur dans l'esprit de l'Empereur; et il l'a complétement perdue après la révolution de 1848. C'est depuis l'entrevue avec le Pape, que Nicolas s'est appliqué à porter vers l'Eglise de l'Etat les protestants de Livonie, et les Juifs eux-mêmes, non moins que les catholiques. C'est alors qu'on a défendu aux ministres protestants de faire des missions parmi les païens sujets de la Russie; on a vu le testament d'un riche protestant russe fait en faveur des missions protestantes, être frappé de nullité. Enfin c'est de cette époque que datent les faits suivants rapportés en 1851, dans un collége des jésuites en Belgique, par deux prêtres de Varsovie.

L'empereur Nicolas, assistant en 1850 aux manoeuvres d'un corps de troupes, s'arrêta pour passer quelques heures dans un château, qui seul, en cet endroit, offrait un asile digne d'un souverain. La chatelaine, qui est catholique, plut beaucoup à l'Empereur par sa gracieuse hospitalité et la noble simplicité de ses manières. Les paroles de reconnaissance que l'Empereur lui exprima en partant, l'enhardirent, et elle adressa au Tzar unc demande que lui inspirait la religion. Cette demande consistait à pouvoir envoyer sansobstacle des médailles, des chapelets et des livres de piété aux catholiques exilés en Sibérie, et qui ne sont soutenus dans leur foi que par un petit nombre de prêtres placés par le gouvernement et dépendants de la juridiction de l'archevêque de Mohiloff. L'Empereur accueillit cette prière avec bienveillance, mais il objecta que, quand bien même la châtelaine aurait cette permission, les médailles devant passer par les mains d'un grand nombre d'employés avant de parvenir à leur adresse, seraient retenues ou se perdraient en route. Cette dame ne se découragea pas, et répliqua qu'elle ne faisait cette demande que pour l'acquit de sa conscience, et qu'elle savait que les employés avaient, outre le défaut signalé par le Tzar, celui qui consistait à ne pas être exigeants pour les licences impériales; que, par conséquent, quand même elle n'aurait pas de permission, elle ne renoncerait pas pour cela à son idée de chercher tous les moyens possibles d'envoyer des objets de piété en Sibérie. Le Tzar fut charmé de celle franchise. «S'il en est ainsi, » répondit-il, « je vous donne non-seulement la permission sollicitée, mais encore le moyen le plus sûr pour transmettre vos commissions. Envoyez tout sousmon couvert à Saint-Pétersbourg. Ma chancellerie expédiera ces objets à leur adresse sous le sceau impérial. Seulement, j'y mets une condition pour l'acquit de ma propre conscience: c'est que toutes les lettres envoyées en Sibérie soient décachetées, afin qu'on les lise

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