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Affaire de Bulle.

La scène sanglante, qui vient de se renouveler aux élections de Bulle, est de nature à éclairer les yeux les moins clairvoyants ou les plus aveuglés. Il est plus clair que le jour qu'entre les catholiques: et les radicaux du malheureux canton de Fribourg il ne s'agit pas d'une affaire de parti politique. Personne désormais ne peut être admis à prendre ou à donner le change sur une démocratie qui traîne les canons devant l'urne électorale, sur un libéralisme qui s'entoure de gardes, règne par le poignard et l'assassinat, dévaste et incendie les maisons des citoyens les plus inoffensifs, et s'empare par la confiscation des biens qui ont échappé au pillage. La correspondance publiée par la Gazette de Lausanne, que nous allons mettre sous les yeux de nos lecteurs, contient des détails qui montrent comment les amis du Siècle comprennent la liberté. En reproduisant ces détails le Journal des Débats ne les trouve que curieux. C'est porter bien loin l'indifférence. Il est vrai qu'il ne s'agit pas des époux Madiaï. L'abbé J. COGNAT.

Voici cette correspondance:

« Fribourg, 27 juin.

«Dimanche 26 juin, devait avoir lieu l'élection d'un député au Conseil national, en remplacement de M. Bussard, décédé. Étranger au canton de Fribourg, mais désireux, comme Vaudois, comme citoyen suisse, de m'assurer par mes propres yeux de la manière dont se passerait cette opération électorale, je me suis rendu à Bulle, l'un des trois points fixés pour la votation. Romont et Mouret étaient les deux autres.

« Bulle, où devaient arriver les habitants de la Gruyèrejet ceux du district de la Veveyse, était le seul endroit où les radicaux fussent de force à lutter contre les conservateurs, et où par conséquent le résultat pût être douteux. Cette élection avait de plus un intérêt tout particulier, en ce qu'elle était comme la vérification officielle de celle du 1er mai, puisqu'elle avait lieu dans le même collége, et qu'on était enfin obligé de compter les voix, une élection fédérale ne s'escamotant pas comme une cantonale. MM. Wuilleret, avocat, et Fracheboud, notaire, étaient cette fois-ci encore les deux candidats en présence.

Le temps était à la pluie, les chemins tout détrempés, et cependant dès le matin sur toutes les routes on ne voyait que chars à bancs et longues files de paysans allant à Bulle. Je me suis arrêté dans plusieurs villages; j'ai causé avec beaucoup de monde, partout j'ai été frappé de l'esprit sérieux et de l'inébranlable fermeté de cette population, conservant dans ses malheurs un calme d'autant plus digne qu'elle a la conscience de ses droits. • Ah! vous êtes bien heureux dans le canton de Vaud, me disait-on, au moins ⚫ là vous pouvez voter librement; mais nous!... Ils feraient mieux de nom<mer ceux qui leur plaisent, sans nous faire venir à Bulle, puisque également ils ne veulent pas nous compter!... » Dans un cabaret j'ai vu l'hôte refuser du vin à toute une colonne. « Point de vin, mes amis, leur disaitil, mais du calme et notre bon droit... » Et ces braves gens d'applaudir.

« A Vaulruz, autre spectacle, qui certes a bien son éloquence : c'est l'auberge de la Grue, saccagće par les radicaux de Châtel-Saint-Denis. Vous y ferai-je entrer avec moi? Vous montrerai-je ces portes, ces fenêtres, ces volets brisés en mille pièces, cotte salle toute remplie des débris de chaises, de lits, d'armoires, de bancs, de tout le mobilier, en un mot..., et au milieu de cette maison vide et nue une femme et de jeunes enfants, pleurant à la pensée que le soir ils auront peut-être à assister encore à de semblables scènes de vandalisme?

« Mais s'arrête-t-on à de pareilles bagatelles? A quoi bon que l'hôte me montre sa tête couverte de cicatrices, qu'il me disc que les 800 fr. qu'on lui a volés il les avait empruntés pour mettre à flot ses affaires et qu'il se voit par là dans les plus cruels embarras..., cela servira-t-il à lui faire rendre justice? un des agresseurs a-t-il été poursuivi! et pourtant voici bientôt deux mois que ces actes ont été commis!...

« Mais passons, car j'ai hâte d'arriver à Bulle. Il est une heure. Les électeurs arrivent de toutes parts par troupes plus ou moins nombreuses. Les radicaux se rassemblent sur la place de la Maison-de-Ville; ils se reconnaissent à une branche verte passée au chapeau. La plus forte de leurs colonnes vient de Châtel-Saint-Denis et de Semsales: elle compte 450 hommes. Le point de ralliement des conservateurs est la place du Cheval-Blanc. Parmi eux se distinguent surtout les Gruyérins et les hommes de la Veveyɛe, conduits par l'adjudant Savoye, d'Attalens; ces derniers sont au nombre de 850.

« A deux heures on se porte de part et d'autre sur la grande place du château, où l'on avait formé avec des cordes deux enceintes en carré long, dont la plus rapprochée du château était destinée aux partisans de M. Fracheboub et la plus éloignée à ceux de M. Wuilleret. Un intervalle d'environ vingt pieds séparait ces deux camps, qui se regardaient. Le cortége radical se rend le premier à son poste, tambours et musique en tête; il avance sur rangs de quatre de hauteur; aussi est-il facile d'en faire le compte: je trouve 410 files, c'est donc en tout 1,640 hommes.

« Bientôt après arrivent les conservateurs, rangés dans le même ordre; ils ont 525 files, ce qui fait un total de 2,100 électeurs. Leur tenue est admirable de calme et contraste singulièrement avec celle de leurs adversaires: chez eux pas de drapeaux, pas de chants, pas de cris; tous prennent place dans le plus profond silence, forts du sentiment qu'il ont une imposante majorité. Un roulement de tambours annonce le commencement des opérations.

M. Frolicher, préfet de Bulle, placé sur une terrasse qui domine toute l'assemblée, recommande la tranquillité et la modération: Toute la Con« fédération, dit-il, a aujourd'hui les yeux sur nous. Montrons-lui que nous ◄ comprenons les devoirs du citoyen et que nous respectons la liberté du « vote. Quant à moi, je feral tout ce qu'il faudra pour que rien ne trouble ■ l'ordre et la légalité; j'en donne à tous l'assurance la plus positive. La ⚫ composition du bureau est un gage de la sincérité de nos intentions: deux « scrutateurs conservateurs et deux radicaux compteront les voix ; ce sont MM. Jean Genoud, receveur à Châtel-Saint-Denis, Charles de Riaz, Es◄ seiva et Ignace Genoud. A ces quatre messieurs seront joints dix contro<< leurs radicaux et dix conservateurs qui veilleront, dans le camp opposé à leur opinion, à ce que personne ne vote sans en avoir le droit. »

Toutes ces mesures, vous le voyez, étaient très-sages et très-impartiales. De plus, pour éviter toute collision, il était décidé que conservateurs comme radicaux défileraient par une ouverture pratiquée en arrière de chaque camp, en sorte qu'ils ne pussent pas se rencontrer.

«Tout faisait donc présager que l'élection s'effectuerait avec régularité, et son résultat était évident, car il n'était pas même nécessaire d'avoir compté les files (ce que du reste quantité de personnes avaient fait), il suffisait de jeter un coup d'oeil sur la place pour s'assurer de l'incontestable majorité acquise à M. Wuilleret. La question était donc jugée: c'était une réponse éclatante à la prétendue élection du 1er mai; c'était pour M. Fracheboud, comme homme d'honneur, le refus d'un mandat confié par une minorité; c'était enfin, pour un gouvernement qui voudrait encore s'appeler démocratique, l'abdication du pouvoir, puisque, dans une question placée comme l'était celle-ci, il recevait un tel échec dans la seule partie du pays qui lui soit dévouée.

Le défilé semblait donc s'opérer avec ordre. MM. Charles et Jean Genoud avaient pris leur poste à l'extrémité du camp radical, près du château; les deux autres scrutateurs, MM. Esseiva et Ignace Genoud, auprès desquels je me trouvais, occupaient l'autre bout de la place, et avaient déjà reçu environ quatre cents cartes d'électeurs conservateurs, lorsque soudain une cinquantaine de femmes et d'enfants qui masquaient la porte du château se sauvent en poussant des cris. Derrière eux apparaissent des gens armés de fusils, de la gendarmerie, puis enfin deux pièces de canon pointées sur les conservateurs qui étaient massés alors autour de leur bureau.

a A cette vue, un cri d'effroi s'élève dans cette foule tout à l'heure si paisible; c'est un sauve-qui-peut général; ces pauvres gens croyant qu'ils sont victimes d'un infâme guet-apens, et que leurs adversaires ne sont pas encore à bout de moyens pour se créer les majorités qu'ils affichent, se précipitent pêle-mêle dans toutes les directions au milieu du plus affreux désordre; c'est à peine si une centaine restent sur la place, se demandant l'un à l'autre ce qui se passe, car une avenue d'arbres très-épais empêchait de distinguer ce qui se faisait à l'endroit où étaient M. Charles et le gros des radicaux. On voyait bien une partie de ceux-ci courir au château et s'armer, mais c'était tout.

« C'est dans cette anxiété générale que tout à coup paraît un homme, le visage ruisselant de sang; quelques personnes escortées de gendarmes l'entraînent avec peine hors de la foule qui le poursult; cet homme, c'est M. Charles de Riaz. Il approche des conservateurs qui n'avaient pas fui devant les démonstrations hostiles de la garde civique, et, levant vers eux ses mains tout ensanglantées, il les conjure du geste et de la voix de comprimer leur Indignation:

« Mes amis, je vous en supplie, soyez calmes, ce n'est rien...>>

Et c'est à peine si le sang qui s'échappait d'une large plaie à la tête lui permettait de parler. C'était ainsi que revenait celui qui s'était confié à la bonne foi de ses adversaires, et qui, malgré les menaces de mort proférées déjà depuis plusieurs jours contre lui, n'avait pas hésité un instant à se placer sous la sauvegarde populaire, en se rendant au poste qui lui était assigné par la loi et le devoir.

Cependant la place avait été vidée, et par conséquent l'élection rendue impossible. M. Charles, de son cô:é, avait été transporté dans une pharma

cie, où les premiers soins lui étaient donnés. Inquiets à son sujet, plusieurs de ses amis s'y étaient réunis, et tous de s'informer des causes de cet odieux attentat auprès des quelques personnes qui l'avaient accompagné. Voici ce qui s'était passé; ces détails, je les tiens de la bouche de M. Charles lui-même et de deux des contrôleurs conservateurs qui se trouvaient avec lui, MM. Jacques Savoye, d'Attalens, et Nicolas Gremiou, de Gruyère.

« Les électeurs radicaux, défilant en colonne très-serrée devant M. Charles, en profitaient pour lui donner par-dessous des coups de pied; un gendarme même, sous prétexte de maintenir l'ordre, lui distribuait tout en passant des cours de crosse. Après plusieurs observations réitérées, M. Charles, impatienté, s'écrie:

« Messieurs, si cela continue, je me verrai forcé d'abandonner mon poste et de porter plainte auprès des commissaires fédéraux. » (On disait en effet que le Conseil fédéral en avait envoyé en mission offi ieuse.)

«Ah! il y a des commissaires! Ah! tu veux porter plainte! Eh bien, tiens!...» et il est renversé par un coup violent assené sur la tête; c'est à peine si Jacques Savoye, le saisissant à bras le corps, l'arrache à un coup de coutelas; les lames de stylet et de poignard brillent de côté et d'autre; c'en était fait de lui sans M. Perrier, préfet de Châtel, qui, le couvrant de son corps, est parvenu à le tirer des mains des forcenés qui l'assaillaient. M. Eicher, officier de gendarmerie, est aussi l'un de ceux qui ont le plus contribué à le sauver. C'est sur cela qu'on avait couru aux armes et fai sortir le canon; en effet, ce n'était pas assez d'avoir commis sur M. Charles un acte de lâcheté infâme, il fallait encore disperser une foule inoffensive, dût-on même la mitrailler si elle faisait mine de vouloir persister dans l'exercice de ses droits. Voilà comment les élections se font à Fribourg!

«Est-il encore nécessaire d'ajouter que devant la maison où s'était rẻfugié M. Charles, un attroupement nombreux le poursuit de ses cris furieux : « Il faut en finir avec lui ajourd'hui, il faut l'achever! » C'est à peine si un piquet de gendarmerie peut protéger la voiture où on l'a fait entrer pour le reconduire chez lui à Riaz. Les mêmes menaces sont proférées contre M. Frossard, frère du président du tribunal cantonal : Il doit tomber << cette nuit. » M. le docteur Castella est, lui aussi, désigné aux vengeances du parti.

« Tel est l'aspect de Bulle le dimanche soir. Ce sont là des faits. Ils parlent assez d'eux-mêmes, et de tout ce que j'ai avancé il n'est rien que je n'aie vu de mes propres yeux, ou dont je n'aie les preuves en main. Qu'on essaie, si l'on veut, de déguiser la vérité; elle est, cette fois-ci, heureusement trop évidente pour qu'elle ne se fasse pas jour.

<< En présence de telles scènes, il n'est pas un homme de bien jaloux de son pays qui ne se sente profondément indigné et qui n'ait le besoin de protester énergiquement contre de tels actes. En effet, s'il est un sentiment qui fasse bouillonner le sang des veines, c'est celui qu'on éprouve à la vue de l'injustice et de l'oppression... et ici c'est tout un peuple qui réclame en vain ses droits de citoyens... peuple de parias, il n'est personne qui veuille écouter ses cris!...

« Voilà ce qui s'est passé à Bulle. Quant au reste du cercle électoral, la majorité a été écrasante en faveur du candidat du parti libéral-conservateur. A Romont, M. Wuilleret a obtenu 1,866 voix contre 360 voix données à M. Fracheboud. Au Mouret, M. Wuilleret a réuni 513 voix contre 58 à son

adversaire. Ces chiffres sont assez éloquents pour se passer de commentaires. »

Le Bund avait prétendu que l'attentat commis sur M. Charles de Riaz avait eu lieu à la suite de l'annulation d'une carte d'électeur que M. de Riaz aurait déchirée.

On lit à ce sujet dans la Suisse du 30 juin :

« Nous apprenons positivement que l'histoire de la carte déchirée est fausse; M. Charles de Riaz ne recevait pas les cartes. »

Projet de loi présenté en Hollande contre la liberté religieuse.

Le gouvernement néerlandais est entré dans une voie funeste. Il s'y engage de plus en plus. Nous allons voir aux prises, en Hollande comme en tant d'autres pays, le protestantisme d'Etat et la liberté religieuse.

Nous avons enfin le texte de cette fameuse loi d'arbitraire et d'oppression, dont les catholiques sont menacés, depuis le jour où l'Eglise, du consentement même de la couronne et des Etats-Généraux, a usé de ses droits imprescriptibles, reconnus formellement par la Constitution nationale, pour compléter et régulariser son organisation hiérarchique.

Nous publions ce document tout entier malgré son étendue. Nous l'apprécierons en détail. Qu'il nous suffise aujourd'hui de le caractériser d'un mot. C'est une loi pour l'ass rvissement des cultes en général et du culte catholique en particulier.

Charles DE RIANCEY.

Voici le projet présenté à la seconde chambre des Etats-Généraux, dans la séance du 1er juillet :

Nous, GUILLAUME, etc.

Considérant qu'il est nécessaire d'établir des dispositions légales pour l'exécution des prescriptions du chap. 6 de la Loi fondamentale et pour remplacer les ordonnances existantes à cet égard, afin que nous puissions accorder la même protection à toutes les communautés religieuses dans le pays et veiller à ce qu'elles se maintiennent dans les limites de l'obéissance aux lois de l'État. Le conseil d'Etat entendu et de commun accord avec les États-Généraux, etc. Art. 1er. Il est laissé aux diverses communions religieuses la parfaite liberté de s'organiser dans leur sein en tout ce qui concerne leur culte et l'exercice de celui-ci, moyennant obligation de nous donner au préalable information complète et immédiate de leur organisation, et de demander notre approbation pour les dispositions dont la mise à exécution ne peut avoir lieu sans le concours du gouvernement.

Art. 2. Nous nous réservons d'exiger des fonctionnaires du culte public qui, avant d'être entrés en fonctions, en y entrant ou après y être entrés, ont prêté un serment ou fait des vœux qui nous paraîtraient dangereux pour la sûreté du royaume ou pour l'ordre et la tranquillité publics, qu'ils prêtent le serment de fidélité à notre personne et d'obéissance aux lois de l'État, dans les délais à

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