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S'il en était ainsi, tout serait bientôt peut-être en feu à Constantinople et dans l'Empire ottoman. Il a fallu envoyer aux Balkans les troupes régulières et confier la garde de la capitale même aux Albanais, dont on ne connaît que trop l'indiscipline. En prévision des désordres qui pourraient se produire, on a dû prendre une mesure fort sage assurément, en plaçant tous les bâtiments de guerre européens qui se trouvent à Constantinople sous le commandement supérieur du capitaine de la frégate à vapeur le Magellan. C'est un secours puissant assuré aux nationaux : mais qu'adviendrait-il des intérêts de la Porte si un conflit venait à éclater?

Le Journal des Débats signale un autre péril qui n'offre pas moins de probabilité :

« D'un autre côté, dit-il, lorsque le retour du vieux parti turc aurait comprimé cet esprit de libéralisme et de tolérance dont la présence de Reschid-Pacha dans le ministère est une garantie certaine, il serait fort à craindre que les populations chrétiennes, travaillées comme elles le sont, ne fissent explosion à le r tour. A nos yeux, c'est là qu'a toujours été le vrai danger. Si de funestes résolutions ou de coupables intrigues parvenaient à faire éclater un mouvement populaire parmi les chrétiens, qui pourrait alors prévoir les conséquences d'un pareil événement ? »

Quoi qu'il en soit de toutes ces craintes, ce qu'il y a de très-certain, c'est la pénurie excessive du trésor impérial. La paye des troupes ne s'opère qu'avec la plus grande difficulté; l'approvisionnement de l'armée des Balkans est payé partie en argent, partie en bons sur Constantinople, que les habitants n'acceptent qu'avec répugnance. Le Sultan s'est vu obligé d'envoyer à la Monnaie toute la vaisselle de sa mère la sultane Validé. Pour peu que la crise se prolonge, avec les armements et les dépenses extraordinaires que la Porte a dû s'imposer, ce sera pour elle une ruine complète. La nouvelle Banque a bien consenti, il est vrai, à faire au gouvernement une avance de 45 millions de piastres (1): mais qu'est-ce qu'une pareille somme en face des immenses besoins du moment?

La Presse de Vienne du 19 juillet, donne, en date de Constantinople du 8, une nouvelle que nous ne reproduisons que sous toutes réserves:

• Il est certain, dit cette feuille, que le gouvernement turc a demandé le 3 de ce mois l'entrée des deux flottes de France et d'Angleterre dans les Dardanelles; mais, sur les observations des ambassadeurs, le Divan a restreint sa demande à cinq vaisseaux, deux anglais et trois frauçais, qui ont reçu réellement l'ordre d'entrer et ont jeté l'ancre près de Silivri (2). Cette mesure paraît avoir été prise comme une démonstration belliqueuse, mais pour empêcher des troubles d'éclater à Constantinople et surtout pour protéger la population chrétienne.»

Dans les provinces occupées ou les provinces voisines, la Russie ne perd pas de temps soit pour se fortifier matériellement, soit pour se créer une influence morale. Nous n'en voulons pour preuves que les nouvelles sui

vantes :

■ On écrit de Tchernowitz (Bukowine), en date du 11 juillet, que la milice

(1) 11 millions de francs environ.

(2) Silivri est un petit port de six mille habitants, situé sur la côte d'Europe de la mer de Marmara, à quatorze lienes dans l'ouest de Constantinople,

moldave doit se rallier à l'armée russe. Par ce motif, beaucoup d'officiers voulaient donner leur démission, mais on les a empêchés de se retirer.

« Nous apprenons de Servie que le gouvernement russe, après avoir fait destituer le prince Garaschanin contre la volonté du prince, exige actuellement le renvoi de tous les employés de l'Etat connus pour professer des sentiments contraires aux Russes.

« Les Russes ont construit un pont permanent sur le Pruth, à Leowa, et font une route militaire dans l'intérieur. Les Moldo-Valaques auront à en payer les frais.

« Quelques habitants des principautés danubiennes se sont réfugiés sur le territoire autrichien. Ils ont été chassés par les Russes. Ceux-ci travaillent à fortifier Jassy et Bucharest. Leurs agents parcourent activement la Servie et la Bosnie. Ils font dire des messes en l'honneur du czar et pour le succès de la sainte cause. »

Enfin on écrit de Belgrade, le 15 juillet, au Morning-Chronicle :

« Notre Sénat, dévoué à la Russie, a pressé le prince régnant d'abdiquer en faveur de son neveu, âgé de vingt-cinq ans, et élevé en Russie. Le prince a quitté Belgrade et demandé trois jours de délai pour délibérer. »

Malgré ces actes qui ont une signification assez marquée, on parle toujours de l'acceptation prochaine par la Russie et la Porte de la note qu'ont rédigée si laborieusement les puissances médiatrices. En attendant que cet accord se fasse, nous appelons l'attention de nos lecteurs sur la correspondance suivante pleine de faits curieux et adressée, le 8, de Constantinople au Journal français de Francfort qui, on le sait, est écrit sous l'influence

russe :

« Rizza-Pacha a conseillé un grand acte de vigueur au sultan dans une audience. Il s'est mis, lui et toute sa fortune, au service de son souverain, à condition que, remerciant les ambassadeurs et leurs bonnes volontés, il appelât tous les Osınanlis à une guerre sainte, ainsi que les Circassiens et les Persans, et jouât le tout pour le tout.

Suivant Rizza-Pacha, tout délai est mortel pour la Turquie et favorable à la Russie. Si l'on perd l'été en négociations, la mer Noire ne sera plus navigable pour les flottes alliées à l'automne; les marécages de la Bulgarie ne seront plus fiévreux pour les Russes, la Turquie se sera épuisée en dépenses et le fanatisme des Turcs se sera découragé.

« Les amis de la paix se fondent sur cette raison qu'avec le dernier Iradé, la Russie et la Turquie sont d'accord au fond. Il n'y a donc plus qu'à chercher un moyen qui sauvegarde l'honneur des deux partis. C'est ce que cherche M. de Bruck.

« Mais il faut que deux autres puissances y mettent de la bonne volonté ; il faut que la France et l'Angleterre retirent leurs vaisseaux des Dardanelles, pour que la Russie rappelle ses troupes des principautés.

« Une circonstance peut favoriser cet arrangement. La baie de Bésika est excellente pendant les trois quarts de l'année. Il n'y a pas de printemps à Constantinople; le vent du nord souffle jusqu'à la fin de juin, puis il cède devant le vent de l'archipel qui arrive tout à coup avec la chaleur de l'été. Or, ce vent de l'archipel fatigue les escadres à Bésika qui est ouverte de son côté.

« Quelques vaisseaux ont chassé sur leurs ancres. Il y a près de trente

bâtiments grands et petits. Ils peuvent se heurter si un jour le vent du sud se change en une bourrasque.

« Un des deux amiraux aurait déjà demandé ou d'entrer en Marmara ou d'aller à Ourlac dans le golfe de Smyrne.

« Décidément il y a un pacte secret entre les Etats-Unis et le sultan. Il est sûr que c'est la cession de la rade de Marmarizza. Le commodore Sfingham a remis près de 500,000 dollars en or au sultan. Il a pris position avec ses trois frégates (t corvettes au milieu de l'escadre turque, dans le Bosphore. Il prétend que le traité des détroits de 1841 ne le regarde pas. » L'attitude des Etats-Unis, remarquée en Allemagne, a aussi frappé une partie de la presse en Angleterre et en France.

Les faits qui se sont passés à Smyrne, dit la Patrie, à propos du réfugié hongrois Koszta, ont été absorbés dans le grand mouvement des affaires de Constantinople et ont eu comparativement peu de retentissement. Ces faits, dont il ne faut pas exagérer l'importance, ont néanmoins un caractère sérieux au point de vue de la position que les Américains cherchent à prendre en Europe.

« Leur active ambition, alimentée par la politique d'envahissement du président Monroe, ressuscitée dernièrement aux Etats-Unis, ne trouvant probablement pas que l'Amérique soit un théâtre suffisamment vaste, tend évidemment à vouloir jouer un rôle en Europe.

« Les Américains se croient sérieusement investis d'une mission proviet dentielle. Ils consacrent tous leurs efforts à l'accomplir en Amérique, afin de donner plus de poids à l'influence qu'ils conquièrent chaque jour dans le Nouveau-Monde, il n'est pas douteux qu'ils ne veuillent prendre un rôle sérieux en Europe, où ils n'ont pas encore été appelés à se montrer dans des circonstances difficiles.

«L'affaire de Smyrne est le premier pas qu'ils vont tenter dans cette voie. »

Le Times parle dans le même sens :

Il n'est pas douteux, dit-il, que le gouvernement autrichien ne demande une réparation au président Pierce. Il n'est pas douteux, non plus, que cette réparation ne soit refusée. De là doivent résulter des complications diplomatiques qui, ajoute avec raison le Times, mettront en relief les EtatsUnis sur la scène politique de l'Europe. Les représentants de l'Amérique auront ainsi atteint un but depuis longtemps poursuivi. »> Enfin, l'Assemblée nationale ajoute :

« La scandaleuse affaire de Smyrne inspire des réflexions fort sensées au Times.

Il y a en effet lieu de s'indigner de l'audace avec laquelle le commandant de la corvette américaine, foulant aux pieds tous les principes du droit des gens, a menacé d'employer la force au milieu d'un port étranger.

« Ce doit être aussi un sujet d'attention pour tous les gouvernements européens, que cette tendance de plus en plus marquée des Américains à s'ingérer dans les affaires de notre continent.

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Angleterre, Dans la séance du 22 de la Chambre des Communes, une conversation parlementaire s'est engagée sur les affaires d'Orient entre M. Layard et lord John Russell.

M. Layard a rappelé qu'il avait consenti précédemment à retirer sa motion, parce que lord Palmerston lui avait opposé les négociations qui se

poursuivaient et exigeaient un certain secret. Maintenant, selon l'orateur, le temps de parler et d'agir est venu, en présence de la conduite de la Russie dont les actes dépassent par leur violence tout ce que l'histoire offre de plus inqualifiable. Chaque heure de retard accroft les chances de la Russie. Si les négociations se prolongent de quelques mois, la flotte anglaise sera forcée ou de violer ce que la Russie a déclaré être un traité, et ce qui amènerait un casus belli, ou de retourner à son mouillage d'hiver à Malte.

Voici, en résumé, la réponse de lord John Russell :

« Je dois le déclarer, dans ma pensée, de tous les préparatifs de guerre, le meilleur est d'épuiser tous les moyens d'obtenir la paix.

«Tant que les négociations sont suivies, on ne pouvait déposer tous les papiers qui y ont trait devant une assemblée populaire. >>

Après avoir rendu hommage à l'esprit dans lequel est rédigée la seconde Note de M. Drouyn de Lhuys, lord Russell ajoute :

«S'il avait été d'usage en Angleterre de faire circuler ainsi des papiers, le gouvernement de la Reine eût été heureux de communiquer à la Chambre la dépêche de lord Clarendon sur le même sujet et qui contient la même nature d'argumentation. »>

Enfin, le ministre termine en donnant les plus complètes assurances de l'accord de la France et de l'Angleterre « pour maintenir la foi des traités, préserver la paix de l'Europe, et, s'il est besoin, sauvegarder pur et sans tache l'honneur des deux pays, dans le but de maintenir le bonheur de l'Europe et la paix du monde. >>

Il va sans dire que la motion de M. Layard a été indéfiniment ajournée. Suisse. —L'Assemblée fédérale a procédé, dans sa séance du 16 juillet, à l'élection du président et du vice-président du tribunal fédéral.

M. Ruttimann a été élu président par 88 voix au premier tour de scrutin. Trois scrutius ont eu lieu ensuite pour la nomination de vice-président. Au second tour, la majorité était de 63 voix; M. Stampfli en a réuni 62; M. Trog environ 50. Il ne manquait donc qu'une seule voix à M. Stampfli. Mais au troisième tour de scrutin, M. Trog a été élu vice-président par 63 voix. M. Stæmpfli n'en a eu plus que 56.

Nous avors fait connaître à nos lecteurs la décision prise, il y a près d'un mois, par le gouvernement fédéral contre diverses décisions du gouvernement de Fribourg, contre celles, entre autres, du 3 juin, qui cassait l'arrêt de la cour martiale de ce canton. Les radicaux se sont émus de cette intervention, arrivée précisément en faveur de ceux qui ont concouru à la dernière tentative armée. Ils ont fait circuler des pétitions pour obtenir de l'assemblée fédérale un vote pour protester contre les mesures prises par le gouvernement fédéral.

Ces pétitions ont réuni environ dix mille cinq cents signatures, quofqu'elles aient parcouru la plupart des cantons. Ce nombre de signatures, comme on voit, n'est pas fort élevé.

La question est venue à l'ordre au conseil des Etats, il y a deux ou trois jours. Voici quelle en a été la conclusion:

« L'assemblée fédérale de la confédération suisse, après avoir pris con◄ naissance des pétitions qui lui sont parvenues contre l'arrêté du conseil a fédéral du 3 juin, relatif aux affaires du canton de Fribourg, ainsi que du « rapport du conseil fédéral et des pièces qu'il a communiquées concernant acette affaire ;

Attendu qu'il résulte de l'examen des actes du conseil fédéral qu'il n'a a pas outrepassé sa compétence, et en particulier que son arrêté du 3 juin n'est pas contraire à la constitution; qu'en conséquence, les griefs artia culés par les pétitionnaires ne sont pas justifiés, ce qui fait qu'il n'y a pas ■ lieu de donner suite à leur demande;

Vu les art. 5 et 90, paragraphe 2, de la constitution fédérale, l'art. 53 de ■ la même constitution et les art. 6, 58 et 71 de la constitution du canton <de Fribourg, arrête :

Il est passé à l'ordre du jour sur les demandes des pétitionnaires con• cernant l'arrêté du conseil fédéral du 3 juin relatif aux affaires concer<nant la Suisse.»

Cet ordre du jour a été adopté à la majorité de 32 voix contre 6.

Ce vote semble indiquer une amélioration dans l'état de l'opinion publique et nn retour vers des sentiments de justice pour les opprimés du gouvernement de Fribourg. Nous le constatons, sans y attacher néanmoins trop d'importance.

Nous devons remarquer que les députés de Fribourg eux-mêmes n'ont pas voté dans le sens des pétitionnaires, qui n'ont été appuyés que par les députés du Tessin, de Genève, de Neuchâtel et du Valais.

Etats Sardes: Savoie. La liste des amis de l'ordre et de la religion a triomphé tout entière aux dernières élections communales de Chambéry. Nous constatons avec joie cet heureux résultat. Il démontre enfin que dans la capitale de la Savoie, où les idées de faux libéralisme et de démocratie semblaient se propager depuis quelque temps, l'on comprend la politique misérable qui gouverne ce pays, l'alliance qui l'entraîne au parti démocratique et social, la tristesse du présent et les immenses périls de l'avenir. Nous saluons cet événement comme un symptôme de dispositions rassurantes. Les élections de Chambéry sont pour toute la Savole un encouragement et une leçon. Alfred DES ESSARTS.

VARIETES.

Congrès Archéologique.

DIX-NEUVIÈME ET VINGTIÈME SESSIONS. Discours de M. le comte de

Montalembert.

Le dix-neuvième congrès archéologique s'est tenu le mois dernier à Troyes. Le jour où cette session s'est terminée, elle a été close par un discours de M. le comte de Montalembert, dont nous reproduisons les principaux passages.

La situation actuelle des études archéologiques, dit l'illustre orateur, est de nature à inspirer satisfaction et confiance. Pour la bien juger, il faut se reporter « à l'état des choses et des esprits, en ce qui touchait les monuments historiques et religieux, il y a cinquante ans, on même il y a vingt ou trente ans. >>

Ce qui régnait alors, vous le savez, Messieurs, c'était une ignorance grossière, un mépris absolu pour toutes les œuvres de nos aïeux. Čes misérables dispositions dominalent églaement l'administration, les artistes, les savants, le clergé lui-même. Pendant les premières années de ce siècle,

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