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furent surtout négligées aux temps orageux de Charles Martel (4). L'ignorance finit alors par envahir le clergé lui-même ; et << les ecclésias

tiques et les moines savaient à peine lire << et écrire, ignorants dans tout le reste (2) », lorsqu'à la fin de ce même VIII siècle apparut Charlemagne.

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Charlemagne devint roi en 768. Mais jeune encore, absorbé par des préoccupations diverses, par de fréquentes expéditions militaires, il ne put d'abord s'occuper des réformes qu'il sut depuis réaliser. Ce n'est que plus tard, après dix ans de règne que, moins en guerre ou mieux assis, il ramena l'ordre et porta l'impulsion et le progrès dans tous les services publics. Ce n'est que plus tard encore, à partir de 781, qu'il raviva dans notre pays la vie intellectuelle qui était si près de s'éteindre.

Ce qui contribua le plus à la restauration des lettres, c'est l'école établie dans le palais même de Charlemagne. Cette école existait déjà auprès des rois, ses prédécesseurs, mais jamais elle n'avait eu autant d'éclat. Charlemagne y avait réuni comme professeurs les plus savants hommes de son temps. Il se faisait une gloire

(1) Claude JoLY, Traité historique des Ecoles épiscopales et ecclésiastiques, Paris 1678.

(2) Histoire littéraire de la France par les religieux bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur, t. IV, p. 6.

et un plaisir d'en suivre lui-même les leçons (1). Des élèves distingués en sortirent. Maîtres et élèves, aussitôt que ceux-ci étaient formés, constituaient plus qu'une école; ils formaient avec Charlemagne, dont nul n'égalait ni le désir d'apprendre ni l'ardeur pour l'étude, une véritable académie; chacun, dans sa spécialité, produisait et publiait des livres, des traités. Presque tous furent envoyés, soit comme évêques, soit comme missi dominici, soit en cette double qualité, dans les provinces où ils répandirent le goût des lettres. Ils restaient d'ailleurs en relations suivies avec l'école du palais, avec Charlemagne. Ce prince se mit aussi en communication avec les autres évêques et les abbés. Il leur faisait adresser par le célèbre Alcuin, directeur de l'école et qu'il avait toujours près de lui, des questions à résoudre, des thèses à développer et il ne manquait pas de prendre connaissance ou de se faire rendre compte des réponses, distribuant ses faveurs d'après le mérite des œuvres. De l'école ou de l'Académie du palais, comme d'un foyer central, la lumière rayonnait ainsi jusqu'aux extrémités des pays soumis à Charlemagne; et dans tout l'Empire se fit un vif mouvement intellectuel.

Malgré cela, le progrès ne marchait pas au

(1) On a dit et on répète encore que Charlemagne ne savait pas écrire. La vérité paraît être qu'il n'avait pas la facilité de former promptement une écriture courante, mais qu'il savait écrire. C'est ce qui résulte du texte d'Eginhard et du texte du concile tenu à Fismes en 881, sainement interprêtés. Voir l'abbé Lebeuf (Dissert. couronnée en 1734) et Gaillard, décédé membre de l'Académie française, notre compatriote (Histoire de Charlemagne).

gré de Charlemagne. Dans la plupart de ces écrits, de ces réponses qu'il se faisait adresser par le clergé, les sentiments étaient bons, mais l'expression mauvaise; il y avait des fautes de langage qui faisaient redouter des erreurs bien plus grandes au point de vue du sens: c'est lui-même qui le dit dans la lettre dont je vais parler. D'ailleurs, il n'existait presque plus d'écoles. L'impatience le prit. Il intervint dans l'enseignement donné par l'Église qu'il voyait si imparfait. Il voulut qu'il fût plus complet, plus répandu. Et aussi apte à descendre dans les plus petits détails que capable de s'élever aux plus hautes conceptions, il réorganisa luimême cet enseignement.

Dans une lettre circulaire adressée à chacun des dignitaires du clergé et dont l'histoire nous a conservé le texte d'après l'exemplaire parvenu à Baugulfe, abbé de Fulde, il prescrit l'établissement d'écoles dans les évêchés et dans les monastères (1). Ce capitulaire porte la date de 788. En cette même année, pour remédier aux fautes et aux altérations commises par l'ignorance des copistes, il fait revoir et corriger

(1) Carolus, gratia Dei rex Francorum et Longobardorum ac patricius Romanorum, Baugulfo abbati, et omni congregationi salutem. Notum igitur sit Deo placitæ devotioni vestræ quia nos, una cum fidelibus nostris, consideravimus utile esse ut episcopia et monasteria nobis, Christo propitio, ad gubernandum commissa, præter regularis vitæ ordinem atque sanctæ religionis conservationem, etiam in litterarum meditationibus, eis qui donante Domino discere possunt, secundum uninscujusque capacitatem, docendi studium debeant impendere.... Quamvis enim melius sit benefacere quam nosse, prius tam est nosse quam facere. Debet ergo quisque discere quod optat implere... (Capitularia regum Francorum, de Baluze, 1780, t. I, p. 202).

les livres sacrés et ceux destinés aux offices (1). L'année suivante, en 789, dans un long capitulaire sur la discipline ecclésiastique, daté d'Aix la Chapelle, il recommande aux curés (ch. 70) (2), d'accueillir et de prendre chez eux des enfants, d'ouvrir des écoles de jeunes lecteurs et d'aller eux-mêmes (3) apprendre dans les évêchés ou les monastères le chant, le comput ecclésiastique et la grammaire.

Ce n'est guère là que la reproduction des dispositions des anciens conciles. Les écoles, instituées par le premier capitulaire, ce sont les écoles des monastères et les écoles épiscopales dont j'ai parlé : le mot latin episcopia employé dans le texte signifie maison de l'évêque. Et c'est à l'évêché, nous l'avons vu, que devaient se tenir les écoles recommandées par

(1) Capitul., même tome, p. 203.

· ....

(2) Et non solum servilis conditionis infantes, sed etiam ingenuorum filios adgregent sibique socient. Et ut scholæ legentium puerorum fiant. Psalmos, notas, cantus, computum, grammaticam per singula monasteria vel episcopia discant. Sed et libros catholicos bene emendatos habeant.... Et pueros vestros non sinite eos vel legendo vel scribendo corrumpere.... » (Capit., même tome, p. 210 à 238).

(3) Plusieurs écrivains traduisent cette phrase autrement que je l'ai fait. Ils y ont trouvé un programme de l'enseignement qui se donnait aux enfants. C'est là, il me semble, une erreur à la fois historique et grammaticale. Au point de vue historique, un tel programme eût été alors trop élevé pour les enfants. Il convenait au contraire aux prêtres à l'ignorance desquels Charlemagne voulait remédier. Au point de vue grammatical, les prêtres, sacerdotes, sont partout sujets. Ils le sont par cela même de discant. Discere d'ailleurs signifie recevoir l'instruction. Docere c'est la donner. Or, ici, c'est bien aux prêtres qu'on recommande d'apprendre discant. Au surplus, comment admettre que les enfants, accueillis chez les prêtres, aient eu encore à aller recevoir l'enseignement per monasteria vel episcopia?

les prescriptions canoniques. Nous retrouvons de même dans les écoles instituées par le capitulaire de 789 les écoles presbytérales que par anticipation j'ai appelées paroissiales. Et il faut que les temps de décadence qui ont précédé le règne de Charlemagne aient pesé bien fâcheusement sur ces anciennes écoles, qu'ils en aient laissé debout un bien petit nombre, pour que Charlemagne aie besoin d'intervenir, comme il le fait, dans le rétablissement et le régime de l'enseignement ecclésiastique, d'apporter là la sanction de son autorité, et non pas seulement d'améliorer et de restaurer, mais en quelque sorte de tout créer.

Charlemagne apporta dans l'exécution de ses capitulaires l'ardeur, la fermeté et l'esprit pratique qui le caractérisaient. Ses missi donnèrent l'exemple par l'établissement d'écoles dans leurs évêchés ou leurs cathédrales. Leyrade faisait part à Charlemagne et il s'en félicitait, des progrès de son école de jeunes clercs ou lecteurs. Les mêmes missi pressèrent la création de semblables établissements dans les autres diocèses et dans les monastères.

Il ne s'agit dans tout cela, sans doute, que d'écoles destinées au clergé et aux jeunes clercs. Et c'est aussi, je l'ai dit, en voyant l'ignorance du clergé et dans le but d'y apporter remède que Charlemagne a prescrit la création de ces écoles. Il ne faut pas d'ailleurs oublier qu'à cette époque le clergé seul ou à peu près était apte à recevoir l'instruction, que dans le clergé seulement Charlemagne pouvait former des maîtres pour instruire plus tard les laïques, que

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