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existaient encore à la hauteur d'un mètre trente centimètres. Un grand escalier en pierre devait desservir un corps de bâtiment important. Des mosaïques se rencontraient partout. Des murs en briques ou en moellons recouverts d'un enduit en chaux et grève très-fine avaient reçu une couleur rouge dont la conservation était très belle. On rencontra un four garni de plusieurs pots en terre avec leur couvercle, et dans lesquels se trouvaient encore les noyaux des fruits qu'ils avaient contenus. On fut obligé de faire sauter à la mine des masses de murailles dont l'épaisseur dépassait trois mètres.

Dans la partie nord-ouest de cette masse de construction se trouvèrent les restes les plus caractéristiques d'un monument considérable: c'étaient les bases encore à leur place au nombre de douze ou treize de face et sur trois rangs, de colonnes dont les fûts et les chapiteaux gisaient çà et là avec d'autres débris d'un grand édifice. L'espacement des colonnes était de quatre mètres environ. Les chapiteaux sans sculpture appartenaient à l'ordre toscan ou à l'ordre dorique.

Un peu plus à l'est, on rencontra une mosaïque bien conservée, mais dont le dessin offrait peu d'intérêt.

Du côté de l'ouest, en face du bastion de l'Evangile, près de la demi-lune en pierre (point ***), il existait des portions de murs et de piliers construits avec le petit appareil romain; près de là, la rencontre de nombreux débris de marbre, et particulièrement de corniches qui n'avaient jamais été polies font supposer qu'un atelier de marbrier avait été établi dans cet endroit.

Beaucoup plus loin, au nord-ouest (point 1845), près du croisement de deux voies, une tranchée ouverte pour se procurer des terres dont on manquait fit dé couvrir des constructions romaines avec leurs pavés en briques concassées, liées par un ciment de chaux extrê

mement dur. Dans une des pièces se trouvait une mosaïque très-curieuse dont nous donnerons la description à la fin de ce travail. Des fragments d'enduits de murailles renversées étaient recouverts de peintures rouges, brunes, vertes, etc. Des raies d'une couleur différente formaient des carreaux ou seulement des bordures.

En revenant plus au nord (point *), nous avons trouvé presqu'à la surface du sol un grand nombre de ces petits tuyaux en terre cuite qui servaient à chauffer les salles de bains chez les Romains.

Au nord-ouest (point 1849), les ateliers nationaux firent également découvrir des substructions romaines, mais qui paraissaient avoir composé des habitations pour la classe inférieure. Cependant, on trouva dans ces mêmes fouilles des fragments de peintures murales qui n'étaient pas sans mérite d'exécution; elles représentaient des bouquets de fleurs de différentes couleurs sur un fond vert uni.

Enfin, dans le jardin de la maison de M. de Laprairie, située rue Richebourg, et qui se trouve très-rapprochée de la courtine des bastions 8 et 9, on a trouvé trois pierres gravées antiques de travail grec.

Un grand nombre de conduits formés de pierres creusées en demi-cylindre, se croisant en différents sens, servaient à l'écoulement des eaux, et peut-être à en amener de l'extérieur.

De petites portions d'un aqueduc conduisant de la gorge de Maupas des eaux au palais d'Albâtre, ont été reconnues à diverses époques et à différents endroits, notamment au-delà du faubourg Saint-Christophe (1).

Si l'on tire des lignes reliant les points extrêmes où des découvertes ont été faites successivement, on verra

(1) Leroux, Histoire de Soissons. 1er volume, page 83.

que l'emplacement où elles se sont réalisées forme un espace à peu près circulaire dont le diamètre est de six cents mètres environ.

Nous avons indiqué, en passant, les objets les plus importants qui ont été trouvés dans les fouilles du palais d'Albâtre; il faut y ajouter d'abord une petite statue en marbre blanc représentant Vénus, les cheveux épars et portant un enfant dans les bras (1); ensuite un grand nombre de fragments de corniches en marbres blanc, rouge et vert de différentes grosseurs, des moulures de bases de colonnes, des marches d'escalier également en marbre, et de plus une immense quantité de marbres et porphyres de toutes couleurs, la plupart en petits morceaux très-minces ayant servi de placage pour des lambris ou de bordures pour des mosaïques; quelques vases entiers, mais surtout des fragments extrêmement nombreux de poterie rouge avec dessins très-variés en relief et quelquefois en intaille; des fragments de verre blanc, bleu et doré; des styles, des épingles en ivoire et en bronze, des fibules, des lampes et une foule de monnaies d'empereurs.

Le groupe du Niobide, la statue dont parle Berlette, et la statuette de Vénus ne sont pas les seuls morceaux de sculpture qui ornaient le palais d'Albâtre. Nous avons vu divers fragments de marbre blanc qui avaient appartenu à des statues, brisées sans doute lors de la ruine de cet édifice.

Nous avons dit que les mosaïques composées de petits cubes de pierres blanche et noire se rencontraient partout où l'on fouillait. Nous devons ajouter qu'il a été trouvé une grande quantité de dés encore plus petits en matière vitrifiée ou volcanique, ce qui montre

(1) Cette statuette, qui a été achetée par une personne de La Fère, a disparu. Nous donnons ce renseignement tel qu'il nous a été fourni.

que le palais d'Albâtre avait été décoré de mosaïques d'une autre espèce et d'un travail très-délicat.

Nous ferons observer, en terminant cette partie de notre travail, qu'une foule d'objets autres que ceux qui viennent d'être indiqués, ont été vendus par les ouvriers à des étrangers et à des brocanteurs, et par conséquent ont été perdus pour Soissons et ne peuvent être même décrits. En sortant du pays, ces objets ont perdu la plus grande partie de leur intérêt.

LE PALAIS D'ALBATRE ÉTAIT LA DEMEURE
DES GOUVERNEURS ROMAINS.

Nous avons rapporté tout ce que la tradition, tout ce que les historiens avaient dit du palais d'Albâtre. Nous avons ajouté à ces notions historiques ce que les travaux du génie militaire étaient venus nous révéler depuis quelques années. Nous avons cherché, autant que nous l'avons pu, à douner une idée des restes de constructions qui, successivement, se sont montrées au jour; enfin, nous avons indiqué les objets divers et en si grand nombre qui ont été découverts. Il nous semble, après cela, qu'en laissant de côté que ce qui est opinion personnelle et simple supposition, et en n'ayant égard au contraire qu'à ce qu'il y a de positif dans les renseignements historiques qui nous ont été transmis et dans les découvertes multipliées qui ont été faites depuis trois cents ans, on doit rester convaincu que le château d'Albâtre était réellement un palais pendant la domination romaine dans les Gaules, et comme en aucun autre lieu de Soissons et de son voisinage, on n'a trouvé pareil amoncellement de décombres provenant d'un monument de cette époque, on doit de même regarder comme certain qu'il a été le principal édifice de l'Augusta Suessionum, la résidence des gouverneurs, le lieu

qu'habitaient les empereurs lorsqu'ils se trouvaient à Soissons, et sans doute plus tard aussi l'une des résidences qu'adoptèrent les rois de la première race, si appliqués à se modeler sur les empereurs romains.

Plusieurs auteurs ont supposé, ainsi que nous l'avons dit au commencement de cette notice, que le palais d'Albâtre avait été non-seulement l'habitation des commandants romains, mais encore une caserne pour loger la 25 légion et une fabrique d'armes de guerre, que c'était même d'un des objets, Balistaria, fabriqués à Soissons, suivant la Notice des dignités de l'Empire, que serait venu le mot d'Albâtre laissé par la tradition au monument dont nous nous occupons. On a encore dit que ce devait être une forteresse contenant des magasins de vivres pour les troupes.

Si on a suivi avec attention l'exposé qui précède, on a dû remarquer que rien n'était venu détruire ces diverses opinions, mais que rien aussi n'en avait démontré la vérité. Les fouilles ont mis au jour beaucoup de substructions de différente nature; mais on n'a pas rencontré sur un grand nombre de points ni des murs toujours semblables à eux-mêmes portant les caractères d'une fortification, ni des constructions ayant la régularité des logements destinés aux troupes chez tous les peuples. Dans la masse des objets découverts, il ne s'en est pas trouvé de ceux que les soldats romains laissaient ordinairement après eux, le chiffre de la 25 légion par exemple. On n'a pas plus découvert d'emplacement propre à une grande fabrication (1) et contenant des restes ou même des traces, des ustensiles qui y auraient été employés.

Nous le répétons, le palais d'Albâtre a pu être la fabrique ou l'une des fabriques d'armes que les Romains

(1) Nous dirons plus loin les raisons qui nous engageraient à placer ailleurs les fabriques d'armes.

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