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lui paraît donner quelque vraisemblance à cette supposition.

Vingtièmement: M. Calland, dans un article de l'Argus Soissonnais (1), consacré à décrire un ustrinum ou lieu destiné à brûler les corps, a émis l'opinion que le palais d'Albâtre et ses vastes dépendances n'avaient été élevés que vers les derniers siècles de la domination romaine. Et cette opinion, il la motive sur ce que, les puits remplis d'ossements calcinés qu'il a vus au moment des fouilles du génie militaire, étaient recouverts par des constructions, et notamment par un aqueduc qui arrivait au monument.

De tous les auteurs que nous avons cités, Berlette est donc le premier qui, en 1551, nomme le palais d'Albâtre, et en parle comme d'un monument dont les restes encore considérables avaient été détruits en 1414, et dont la tradition avait conservé le souvenir sous ce nom de pa'ais d'Albâtre. Les documents antérieurs à cet historien (ceux du moins que nous avons pu consulter), ne fournissant aucune indication précise ni sur un palais des gouverneurs romains à Soissons, ni sur l'endroit où étaient établies les fabriques d'armes de la Notice des dignités de l'Empire, on peut dire que tout ce qui a été avancé par les divers auteurs qui ont écrit depuis Ber lette est plus ou moins ingénieux, plus ou moins vraisemblable, mais ne porte aucun caractère de certitude.

Nous ne sommes pas plus riches en documents historiques que ceux qui se sont occupés avant nous du palais d'Albâtre; nous avons de plus qu'eux les découvertes si nombreuses qui ont été faites dans ces der nières années par les travaux du génie militaire. Et pour ne rien omettre de ce qui peut aider à se faire une idée exacte du grand édifice qui nous occupe, nous

(1) Du 14 novembre 1844.

allons reproduire en détail toutes les découvertes qui ont été constatées à des époques déjà anciennes, et nous les ferons suivre de celles faites récemment, et en quelque sorte sous nos yeux; mais nous indiquerons d'abord la situation du monument.

EMPLACEMENT DU PALAIS D'ALBATRE.

Le palais d'Albâtre était situé à cent cinquante mètres environ de l'angle nord-ouest de la ville gallo-romaine, sur le prolongement d'une diagonale que l'on supposerait tirée de la grande caserne à la salle de spectacle.

Le terrain sur lequel on a trouvé des restes de constructions forme un espace à peu près circulaire de trois cents mètres de rayon. Sur un point qui n'en est pas le centre, puisqu'il se rapproche un peu plus de la ville, le sol formait encore avant les derniers travaux du génie militaire une éminence qui devait son existence à l'amoncellement de ruines provenant d'un immense édifice.

Pour se bien rendre compte de la position du palais d'Albâtre, des voies qui venaient y aboutir, des lieux où ont été faites les découvertes dont nous allons parler, il faut avoir sous les yeux le plan qui accompagne

ce travail.

Quoique le monument fût en dehors de la ville romaine, il paraît avoir été le point où venaient rayonner toutes les voies qui partaient de Soissons ou y arrivaient. Un grand nombre de raisons nous font supposer du moins qu'elles se dirigeaient vers un grand péristyle à colonnes dont nous parlerons plus loin, et en avant duquel aurait existé une place publique.

La voie de Paris et de Meaux descendait dans la vallée à la gorge de Maupas, coupait près du cimetière actuel celle de Senlis, de Noyon et d'Amiens, et se rendait au pont dont nous venons de parler. La voie arrivant de la mer par Vermand ou Saint-Quentin traversait

l'Aisne à Pasly, un peu en amont du bac, sur un pont dont on a reconnu des restes il y a quelques années. Sa direction exacte n'a pu être constatée; mais quelle que fût en effet sa direction, la distance dont elle pouvait s'éloigner du même point était si faible, qu'il est permis de supposer qu'elle s'y rendait aussi.

Lorsqu'en 1824, on reconstruisit la courtine SaintChristophe (1), on put constater que l'ancien mur était assis sur une voie antique. La direction de cette voie conduit toujours au même point; mais si l'on considère que les chaussées de Reims et de la Marne (route actuelle de Château-Thierry) s'étaient rencontrées nécessairement vers le carrefour Saint-Martin, on en conclura que ces deux dernières voies tournaient la ville pour se rendre, comme toutes les autres, au palais d'Albâtre.

D'autres chaussées ou simples rues qui paraissent avoir été particulières au monument et aux habitations qui l'avoisinaient, ont été mises à découvert durant le cours des travaux du génie; nous ne pouvons en indiquer que deux qui se coupaient à angle droit (point 1845. L. L.) (2).

(1) Leroux, dans son Histoire de Soissons, premier volume, page 64, dit en parlant de la voie de Reims : « Cette chaussée ne traversait pas la ville; elle la longeait au sud et à l'ouest, ainsi qu'on l'a reconnu lors de la reconstruction de la porte de Paris. » Mais cet embranchement tournant la ville pouvait très-bien ne pas empêcher la voie de se rendre directement à la porte du Midi, si il y en avait une.

(2) L'une de ces deux chaussées, celle qui se dirige du sud au nord, offrait une particularité remarquable: il entrait dans le massif dont elle était formée une énorme quantité de fragments d'os qui étaient mêlés à de petits morceaux de pierre ; et ces fragments étaient la partie poreuse des os coupés nettement à la scie, ce qui montrait qu'il avait existé près de là une fabrique d'objets en os. Il résulte de ce fait que, dans l'établissement de leurs routes, les Romains se servaient de tous les matériaux qu'ils avaient sous la main, et non qu'ils avaient un système absolu de construc-. tion qu'ils appliquaient partout.

Nous venons de montrer que le palais d'Albâtre pouvait communiquer avec tous les pays occupés par les Romains, sans qu'il fût nécessaire de traverser la ville. Il nous reste à indiquer de quelle manière il communiquait avec la ville elle-même. Si on jette les yeux sur le plan, on verra que la chaussée de Noyon se rendait directement au carrefour de la Grosse-Tête où se trouvait la porte romaine, et on verra en même temps que la voie qui tournait la ville et unissait le palais d'Albâtre aux voies de Reims et de la Marne, coupait la voie de Noyon, précisément où est placée la porte Saint-Christophe actuelle. Il est probable, d'ailleurs, ainsi qu'on l'a indiqué sur le plan, que la voie de Vermand se rendait directement au carrefour de la Grosse-Tête. La communication du palais d'Albâtre avec la porte de l'Ouest ne laisse donc aucun doute.

Jusqu'à ces derniers temps, on était resté dans l'incertitude sur la question de savoir si la ville romaine avait eu une porte dans son mur septentrional; la découverte récemment faite (1) dans une maison de la rue des Framboisiers, d'une arche d'un pont qui aurait été jeté sur la rivière de Crise, détournée par les Romains de son cours naturel pour couler dans les fossés creusés au pied de leurs murailles, nous permet de supposer que là s'ouvrait une porte qui conduisait au palais d'Albâtre, et que ce monument avait, à l'est comme à l'ouest, une entrée principale.

DÉCOUVERTES.

Berlette (2) étant le premier auteur, nous l'avons dit

(1) Voir notre travail sur les fortifications de Soissons dans le 7e volume du Bulletin de la Société.

(2) Livre fer, chapitre 9. Il s'agit du manuscrit refondu par Michel Bertin.

plus haut, qui ait nommé le palais d'Albâtre, et qui, en mentionnant que ses derniers débris avaient disparu en 1414, a par-là constaté son existence jusqu'au 15° siècle, nous commencerons par rappeler les découvertes qui ont été faites de son temps.

Au temps, dit-il, des fortifications de 1551 du › côté de Saint-Crépin-en-Chaye, on trouva au lieu ap› pelé le château d'Albâtre une grande statue ou simula

cre de marbre blanc; laquelle figure était de femme »nue, tout entière ne s'en fallait que de la tête, de › hauteur et de grosseur de la plus puissante femme » qu'on pourroit voir ou trouver. Celui simulacre a été › fort longtemps au milieu de la Courcelle et en après › en la grande salle du logis épiscopal de feu de bonne › mémoire M. Charles de Roucy, à la vue de chacun. › Aulcuns ont soupçonné que c'étoit la figure de la » déesse Minerve, autres que c'étoit celle d'Isis. . › Et en un autre lieu, entre Notre-Dame-des-Vignes et › Saint-Crépin-en-Chaye, où l'on tient qu'était bâti le viel › château d'Albâtre furent trouvées des offices voûtées > et peintes, étant encore en leur entier ; plusieurs caves ⚫ aussi de merveilleuses hauteur et grandeur avec plu⚫sieurs pièces de marbre, albâtre, jaspe et de porphyre, » et plusieurs de différentes couleurs façonnées par pe> tits carreaux, larges de demi-pouce, comme pour faire pavés; et dit-on qu'il y avoit une galerie pavée où > furent trouvées épingles d'ivoires longues d'un doigt > qu'on disoit avoir servi à attacher des tapisseries. Pa› reillement furent trouvées plusieurs médailles d'or et > d'argent, laiton et plusieurs autres métaux ; lesquels , étaient de divers portraits et figures entre lesquels en › avoit contenant la suscription Druse, Claude, César, » Galba, Domitien, Valentinien, Tite, Vespasien, Maxi› mien et de plusieurs autres antiques portraits qui sont » encore en ma possession. ›

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