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et son goût passionné pour les représentations théâtrales, les jeux du cirque et les combats de l'amphithéâtre. De tous ces monuments, suite de la conquête, nous croyons que les bains de Julien à Paris, et l'arc de la Porte de Mars à Reims sont les seuls qui n'aient pas disparu; tout le reste s'est écroulé ou a été renversé, et n'a pas laissé de traces au-dessus du sol. Pour que l'existence d'édifices souvent considérables, et même de villes gallo-romaines (1) nous soit révélée, il faut que des circonstances accidentelles amènent des fouilles profondes qui déplacent une grande quantité de terre. A Soissons, les travaux du génie militaire ont produit ce résultat.

Cet anéantissement d'immenses édifices et de villes tout entières nous retrace d'une manière plus saisissante que les pages d'histoire les plus éloquentes, les révolutions, les ruines, les dévastations que la France eut à subir depuis le 4o siècle jusqu'à notre époque.

Les constructions des Romains avaient ce qu'il fallait pour vivre un nombre de siècles presque indéfini; la main des hommes a donc dû contribuer à leur ruine bien plus que le temps lui-même. Mais de toutes les périodes de notre histoire, quelle est celle qui vit s'accomplir le plus de désastres? Nous croyons que, jusqu'à présent, on a accusé de plus de dévastations qu'ils n'en commirent réellement, les Barbares qui, en se répandant sur l'empire romain aux 4e et 5° siècles, donnèrent le coup de mort à un corps entré depuis longtemps déjà en dissolution. Les Goths, les Visigoths, les Francs et tous les autres peuples qui les précédèrent ou les suivirent, avaient été en relations plus ou moins fré quentes avec le peuple qui laissait échapper de ses

(1) La Société académique de Laon croit retrouver une ville romaine à Nizy-le-Comte où elle a déjà fait des découvertes importantes.

mains l'empire du monde. Ils n'avaient pu voir sa civilisation, ses arts, sa littérature sans être éblouis de sa supériorité et sans être saisis du désir de le prendre pour modèle en beaucoup de choses. On doit donc supposer que souvent les conquérants barbares aimèrent mieux s'installer dans les palais des Romains que les détruire. Nous pensons qu'il en fut ainsi pour le monument qui va nous occuper.

Les Normands, au 9° siècle, paraissent avoir été animés d'un autre esprit. En abordant les côtes de la mer ou en descendant sur les rives des fleuves qu'ils avaient remontés, ils ne se proposaient qu'un but, et ils y étaient fidèles piller et détruire, même lorsque la destruction ne leur produisait rien. Si les monuments antérieurs au 11 siècle sont si rares, nous en trouvons donc la principale cause dans les ravages des Normands.

Quant à ce qui concerne particulièrement le palais d'Albâtre, nous montrerons, dans la suite de ce travail, qu'il dut subsister jusqu'à la fin du 8° siècle.

RENSEIGNEMENTS HISTORIQUES.

Depuis Berlette qui écrivait au milieu du 16° siècle, tous les historiens dé Soissons ont parlé du château d'Albâtre. Les uns n'en ont dit que quelques mots; les autres se sont plus étendus sur sa destination et son importance; mais si leurs idées sont souvent erronées et quelquefois ridicules, elles montrent du moins la haute opinion qu'ils avaient du monument, opinion que les découvertes récentes sont venues confirmer.

Pour qu'on puisse juger de la valeur de ce qui a été avancé au sujet de ce monument, nous allons rapporter non-seulement les passages des historiens de Soissons qui y ont trait, mais encore ceux des auteurs qui, ayant nommé cette ville, ont fourni ou auraient pu fournir quelque éclaircissement à cet égard.

Premièrement: La Notice des dignités de l'Empire (1), que l'on croit avoir été rédigée entre les années 395 et 407, se borne à dire que les fabriques des Gaules étaient sous l'inspection de l'illustre chef des offices, et qu'il y avait à Soissons des fabriques de boucliers, de balistes et de clibanares: Suessionensis scutaria, balistaria, clibanaria, et elle indique comme villes de garnison dans la seconde Belgique Reims et Noyon, sans parler de Soissons; au reste, il ne s'agit que de cohortes de barbares, et non de légions romaines.

Dans les commentaires de cette notice par Pencicole, il est dit que l'itinéraire d'Antonin porte que la vingtcinquième légion résidait à Soissons; mais cette mention n'est pas dans l'itinéraire. Nous ferons en outre observer que cet auteur a pris les Suessiones pour un peuple de la Suisse, erreur qui a été ensuite répétée par Grævius.

Deuxièmement: La Notice des provinces et cités de la Gaule (2), rédigée aussi à peu près à la même époque ou un peu plus tard, se borne à nommer Soissons après Reims.

Troisièmement: La carte de Peutinger (3) que l'on suppose dressée au milieu du 3e siècle, mais recopiée depuis avec des modifications, place Augusta Suessionum à côté de quatre petites montagnes.

Quatrièmement : L'itinéraire d'Antonin (4) qu'on attribue à la fin du 4° siècle, nomme plusieurs fois Soissons entre Reims et Noyon, entre Contraginum (Condren ou Chauny) et Fismes, et après Augustomagum (Senlis);

(1) Avec les Commentaires de Pencicole imprimés en 1608; et dans D. Bouquet, Recueil des historiens de France. Premier volume.

(2) Dans Don Bouquet. Premier volume.

(3) Dans Bergier, Histoire des grands chemins de l'Empire. (4) Dans D. Bouquet. Premier volume.

comme nous venons de le dire il n'y est pas question de

la 25o légion.

Cinquièmement: Pline (1) se borne à donner aux Soissonnais le titre de Liberi; Ptolémée (2) à dire que leur capitale se nommait Augusta; Strabon (3) à les appeler Pugnaces; et Lucain (4) à les peindre ainsi : Longisque leves Suessiones in armis.

Sixièmement: La légende de saint Crépin et de saint Crépinien (5), que nous analyserons plus loin, raconte que ces saints subirent leur martyre à Soissons et qu'ils furent jetés dans l'Aisne, mais sans parler du palais des gouverneurs romains. Il est vrai que le récit du martyre fait supposer que la scène se passe au palais ou dans son voisinage.

Septièmement La Notice des provinces de la Gaule de A. de Valois (6) répète le passage que nous avons cité plus haut de la Notice des dignités de l'Empire, en ajoutant qu'au temps des empereurs il y avait un palais à Soissons. Cet auteur croit de plus à un amphithéâtre dans la plaine de Saint-Crépin.

Huitièmement: La Notice des Gaules de d'Anville, au mol Augusta Suessionum, répète aussi le passage de la Notice des dignités de l'Empire, sans parler de palais, ni d'amphithéâtre.

Neuvièmement: Dans le Gallia Christiana, on lit ce passage: Et certe auctor notitia imperii Romani hic

(1) Histoire naturelle. Livre 4.

(2) Dans D. Bouquet. Premier volume, page 77.

(3) Livre 4 dans D. Bouquet. Premier volume, p. 27 et 29.

(4) Pharsale. Livre premier.

(5) Dans Sarius au 23 octobre.

(6) Pages 58 et 603.

(Soissons), constituit legionem vigesimam quintam; ce qui est certain, c'est que ce renseignement ne se trouve pas dans la Notice des dignités de l'Empire.

Cette assertion de la 25° légion placée à Soissons a-telle été prise dans Pencicole par le Gallia Christiana, et répétée ensuite par tous les historiens sans vérification? Cela nous paraît vraisemblable.

Comme on a supposé que le palais d'Albâtre avait été la fabrique d'armes dont parle la Notice des dignités de l'Empire, comme aussi on a prétendu qu'il avait servi de caserne à la 25o légion, on comprend que cette notice et l'itinéraire d'Antonin aient été souvent cités. Nous ne voulons pas affirmer que la 25 légion n'ait pas été placée à Soissons; nous sommes forcés seulement d'avouer que nous n'avons trouvé la preuve de son séjour ici dans aucun document ancien.

Nous allons passer maintenant aux auteurs qui ont traité spécialement de l'histoire de Soissons.

Dixièmement : L'histoire manuscrite de Soissons, composée en 1552 par Berlette (1), corrigée par Henri Duchesne, et augmentée et refondue par Michel Bertin en 1580, est le premier ouvrage où nous ayons trouvé nommé le palais d'Albâtre (2). Dans le chapitre où est raconté le siége de 1414, on lit ce passage: « J'ai › opinion que pareillement fut brûlés et démolis alors > l'ancienne église Saint-Remi et un château d'Albâtre » qui souloit être entre la ville et l'abbaye de Saint› Crépin-en-Chaye, et y a apparence et conjecture grande » de ce, car ès environs dudit Soissons n'y avait alors › place plus nuisible pour la deffense de ladite ville que » lesdits château et église, attendu qu'ils étoient situés › sur le bord du fossé d'icelle, et aussi que l'on tient

(1) A la Bibliothèque de Soissons. (2) Chapitre 9, livre 2.

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