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à Saint-Bandry, à Courmelles, à Vailly, à Saint-Vaast de La Ferté-Milon, et surtout à Urcel, à Nouvion-le-Vineux, à Bruyères près de Laon, les trois plus curieuses églises peut-être du département.

Des contreforts, plantés de distance en distance, soutenaient l'entablement. Ici, aux ailes, des piliers butants et carrés, peu saillants, avec larmiers et ressauts. Là, à la grande nef, des colonnes cylindriques et cannelées avec des chapiteaux feuillagés rappelant encore la forme corinthienne. Ce motif n'est pas absolument rare dans nos contrées, et nous le retrouvons dans plusieurs édifices des 11° et 12e siècles, et, en particulier, à Saint-Remy de Reims et sur le portail de Saint-Pierre de Soissons.

Les croisées à plein cintre égalaient certainement en richesse tout ce que le luxe ogival a de plus gracieux. Pour être de notre avis, il suffit de jeter les yeux sur le dessin qui accompagne cette notice, et qui en rend avec beaucoup de précision jusqu'aux plus minutieux détails. Quatre colonnettes engagées, à scotie profonde, ornées de chapiteaux historiés et fantastiques, portent une brillante voussure brodée d'oves, creusées au vif, développées en fleurons, sillonnées en réseau, imitant les pommes de pin, les grappes de raisin, le fruit de l'ananas. L'archivolte est couronnée d'un cordon de feuilles qui se roulent à flots, surmontée d'un ourlet de feuilles laciniées. La seconde croisée offre quelque différence dans son ornementation. Au lieu de ces oves enlacées dans des contours qui serpentent comme des nébules, c'est une espèce de bandeau plicaturé en zig-zag qui s'étend, se rapproche comme les plis d'un éventail à filet. C'est une dentelle unie, tuyautée comme celle d'une coiffure étagée. La partie supérieure de l'imposte est couronnée de rosaces à pétales recourbées, séparées par des culots et garnies d'un feston en dents de scie. Une guirlande de palmettes rappelant la feuille d'olivier,

récreusées en canal et pressées par le milieu pour en rapprocher les extrémités, descend gracieusement jusqu'à la base des colonnettes. On dirait autant de coquillages rudentés placés en regard. Nous n'avons remarqué que deux violettes. Les chapiteaux sont des plus variés. Ici, dans la première fenêtre, un sujet mutilé. Un homme qui étouffe deux énormes serpents écaillés. Vis à vis, un autre personnage à qui un animal féroce, un oiseau de proie déchire la langue. Une chimère ailée, à queue de serpent, à tête humaine appuie ses griffes sur deux serpents accolés ensemble par une ligature. A la seconde fenêtre, une belle tête de vieillard, barbe, cheveux, moustaches en faisceau. Des feuilles d'acanthe parées d'un cordon de grains de chapelets au milieu, des palmettes enroulées, des nattes ou entrelacs bien fouillés. Ces trois derniers chapiteaux sont piqués de perles, ainsi que les tailloirs qui les surmontent. « Ces ⚫ belles fenêtres romanes, dit M. Léon Vitet, dans un rapport adressé au ministre en 1831,« sont l'un des › plus beaux modèles que j'ai encore rencontré de ce › goût oriental, de ce style bizantin pur qui, après la › première Croisade, vint se naturaliser avec plus ou › moins de bonheur dans tout l'Occident. Les Grecs, › à leurs plus belles époques,» ajoute-t-il, ‹ n'ont rien › sculpté assurément d'un goût plus fin, plus spirituel, plus capricieux, et à la fois plus régulier que ces deux » arcades. (1)

(1) Ces deux magnifiques arcades d'un travail exquis, sauvées comme par miracle de cette lente destruction qui a duré depuis 1797 jusqu'en 1802, sont aujourd'hui les seuls débris de cette église intéressante et remarquable à tant de titres, et en même temps un précieux échantillon d'une des plus belles époques de l'architecture romane fleurie. Il est regrettable, assurément, que la ville de Soissons à qui appartient la nu-propriété de l'ancienne abbaye, en vendant le terrain contigu à ces magnifiques arcades, ait autorisé le pro

Le clocher, qu'on appelait la lanterne, passait pour une des pièces les plus hardies et les plus délicates. Il était très élevé et comme découpé à jour par ses nombreuses ouvertures; mais ses fenêtres géminées, coiffées de trèfles, ses galbes hérissés de crosses annonçaient que sa naissance était postérieure d'un siècle environ au reste de l'édifice. On dit que l'architecte qui en fut

priétaire à élever, contre ces constructions d'un travail si remarquable des bâtiments considérables qui en ont complétement dérobé la vue. Ce que nous avions prévu, lorsqu'en 1847 nous engagions la ville à ne pas ratifier une concession aussi peu motivée, et qui pourrait un jour lui occasionner des regrets, est malheureusement un fait accompli. Ces deux fenêtres sont désormais perdues pour les arts. L'une est emprisonnée sous clé dans un énorme placard d'appartement: l'autre, quoiqu'en plein air, n'en est pas moins tenue en charte privée entre quatre hautes murailles qui, en l'aveuglant de toutes parts, la rendent invisible. L'administration de la ville, qui n'attachait pas la même importance que nous aux intérêts archéologiques, avait sans doute cru défendre suffisamment les droits de l'art, et faire payer assez cher au propriétaire les avantages qu'elle lui cédait en lui faisant prendre l'engagement réel, mais qui, de fait, est devenu illusoire, de respecter les sculptures délicieuses dont les archivoltes sont chargées. Le chef du génie militaire à Soissons paraît avoir donné son approbation à ces arrangements, et permis de trancher le contrefort qui épaulait ces admirables feuètres, désormais perdues pour les admirateurs de l'architecture du 12e siècle.

« On a lieu d'être étonné, » disait entre autres choses le comité dont nous faisions partie, « que la ville, le génie les aient sacrifiées si facilement; car, outre leur intérêt au point de vue artistique et > archéologique, elles établissaient, au profit de la caserne, un droit de jour qu'on regrettera peut-être plus tard d'avoir aban⚫ donné. Tout nous fait supposer que le ministre de la guerre » n'a pas été éclairé suffisamment sur l'importance de nos arcades, car si on lui eût fait connaître toute leur valeur, il n'eût pas » manqué de prescrire toutes les mesures de conservation nécessaires dans un moment surtout où le gouvernement manifeste sa vive sollicitude pour nos anciens monuments, et fait faire, dans » toute la France, et particulièrement aux flèches de Saint-Jean» des-Vignes, des travaux considérables de réparation et de consolidation. >>

chargé, s'étant aperçu qu'elle penchait, craignit de la voir s'écrouler, et s'enfuit sans réclamer le salaire qui lui était dû. Au reste, ce n'était pas là les seuls événements extraordinaires qui s'étaient passés pendant la construction de cette église. On racontait qu'un serrurier laonnois, après avoir pris avec l'architecte de l'édifice des engagements pour l'entretien des outils de tailleurs de pierre, voulant rompre un contrat qu'il trouvait désavantageux, entreprit de retourner dans son pays; mais à peine était-il arrivé à la montagne de Crouy que ses pieds restèrent enchaînés au sol sans qu'il lui fût possible d'avancer ni de reculer. Il ne recouvra l'usage de ses jambes que devant l'image de la sainte Vierge. (Preuves de Notre-Dame, page 486).

Intérieur. Malgré ces ruines et ces déplorables mutilations, nous avons pu vous donner une idée assez complète de ce monument à l'extérieur. Mais, hélas! nous serons moins heureux en vous parlant de l'intérieur. Ici, tout a disparu, jusqu'au sol, et les historiens qui auraient pu si facilement nous en donner une exacte description ont malheureusement gardé le plus profond silence.

Le bruit de quelques arbres agitant leurs tendres rameaux, les jeux bruyants des enfants qui s'enfuient entre ces allées de verdure, les conversations monotones du soldat ennuyé de son loisir, mêlées à la voix aigre de quelques marchandes de fruits; voilà l'étrange psalmodie qui a remplacé le concert éternel de louanges qui retentissait jadis à Notre-Dame. Du reste, n'y cherchez plus ces colonnes romanes mariées aux arcades élevées de l'ogive, ces galeries transparentes, ces splendides verrières, cette abside remarquable par son élévation et sa belle perspective, ni l'argenterie bâtie' par Ade de Bazoche, ni ce navire d'argent donné par la princesse de Coucy à Marguerite, sa fille, ni cet autel

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