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l'armée d'Orient, ils reçurent la croix des mains de l'évêque Nivelon. Le cruel fléau de 1128 et la redoutable épidémie de 1133 donnèrent à l'abbaye une immense et colossale réputation jusque dans les contrées septentrionales. En 1200, Engelberge, femme de Philippe-Auguste, monarque si diversement apprécié, s'y retira pendant ses démêlés avec le roi, son mari, qui, prévenant la sentence des juges, la mena en trousse à Paris, au grand étonnement de tout le monde. En 1567, Catherine de Bourbon, sœur du prince de Condé, femme courageuse, d'un noble caractère s'il en fut, sauva de la fureur des Calvinistes le trésor des églises et des couvents de la ville, en leur donnant asile dans son monastère. En 1643, Louis XIII étant à Soissons, donna à l'abbesse Henriette d'Elbeuf deux cornettes et deux drapeaux que son frère, le comte d'Harcourt, venait de prendre sur les Espagnols. Ces trophées se virent longtemps à l'abbaye. En 1680, la dauphine, née princesse de Bavière, logea à Notre-Dame, et l'abbesse lui offrit, ainsi qu'à la reine et au dauphin, de très-beaux ouvrages en broderies que les religieuses avaient elles-mêmes confectionnées.

Mais un siècle plus tard, une terrible révolution éclatait. Avec 92, l'ancien monde s'écroulait. L'heure fatale avait sonné Notre-Dame n'eut pas un sort plus heureux que Saint-Médard, Saint-Crépin, Saint-Jean, et tant d'autres. La France se couvrait de ruines. Supprimée dans les jours mauvais de 93, « elle fut sur le point de › devenir la propriété d'une compagnie de capitalistes › qui cherchèrent à l'obtenir pour y fonder une filature de coton; mais ce projet ayant échoué, on finit par

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> en faire une caserne d'infanterie. L'Etat aliéna ou

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› détruisit une vaste portion de bâtiments. Les cloîtres et le reste du couvent, livrés à toutes sortes de dégradations, tombèrent peu à peu en ruines, à l'exception › de la porte principale qui élève encore du côté de la

rivière son double porche ogival, ses tourelles cré, › nelées, et de l'abbatial construit sur la fin du siècle > dernier. Deux arcades de l'ancienne église Notre-Dame, › une partie de la nef de la collégiale de Saint-Pierre › ont seules été épargnées. »

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Eglise de Notre-Dame. Sa description. Collégiale de Saint-Pierre. - Chapelle Sainte-Geneviève. - Basilique Sainte-Croix. Monastère. Hôpital Saint-Voué.

Du monastère et des trois églises bâtis par Ebroin et la pieuse Leutrude, au 7° siècle, ainsi que du petit hôpital Saint-Voué adossé au vieux mur romain, il ne subsiste plus aucune trace, et cela n'a rien d'étonnant. Les basiliques primitives, élevées pendant la dégénérescence de l'art, couvertes ordinairement d'une simple toiture en bois, d'une construction peu solide, ne portaient avec elles aucune garantie de durée; leur plan uniforme, leurs arcades étranglées, leurs colonnes trapues, leurs voûtes écrasées ne firent que hâter la chute qui les attendait. Dès le commencement du 11° siècle, on avait senti le besoin d'une rénovation complète, et partout on s'était mis à l'œuvre avec une incroyable activité. C'est à compter de cette époque qu'il faut chercher le point de départ de la grande architecture catholique en Occident, et la source de sa prodigieuse fécondité. Le Soissonnais, plus qu'aucune autre province de la France peut-être, participa à ce mouvement imprimé à toute l'Europe, et dans l'espace de deux siècles, son sol se couvrit de nombreux édifices romans. Notre-Dame de Soissons, déjà si illustre depuis longtemps dans les pays d'outremer, et au-delà du Rhin, par les prodiges qui s'opéraient journellement devant la sainte image et au tombeau de saint Drausin, ne pouvait rester etrangère

à cette régénération de l'ancien monde. Au reste, le ciel lui-même, au dire des chroniqueurs, venait de parler. Voici dans quelles circonstances :

On était en 1128, et ‹ un fléau terrible, le mal des › ardents, désolait les villes de Chartres, de Paris, de › Cambrai et de Soissons. Des populations entières,

venues des contrées les plus lointaines, se pressaient › sous les portiques de l'église Notre Dame, invoquant › la sainte Vierge, avec des cris et des plaintes lamen

tables. Cette épidémie se montra de nouveau en 1133, › et vraisemblablement il en resta des vestiges; car > vers 1146, un petit pâtre de Vaux (hameau près de › Soissons, entre Berny-Rivière et Fontenoy), guéri › miraculeusement, s'écria que la sainte Vierge deman⚫ dait une nouvelle église; le fléau ne manquerait pas › de reparaître, si on ne hâtait cette réédification. »

Cet événement, si on veut s'en rapporter au livre des miracles de la sainte Vierge, composé par Hugues Farsit, ami et contemporain de saint Bernard qui lui donne le titre de maître, de docteur, et témoin oculaire des faits qu'il raconte devrait, ce semble, se rapporter à l'année 1128 (1), époque où éclatait ce terrible fléau, ainsi que

(1) Les historiens ne sont pas d'accord sur l'époque précise où fut commencée cette église, et ils se contredisent. Michel Germain semble admettre, page 88, qu'elle fut commencée en 1128 et achevée vers le milieu du 12e siècle; il ajoute, page 83, qu'en 1146 on construisit la nouvelle église sur les fondements de l'ancienne; puis, page 147, il suppose que l'abbesse Mathilde entreprit peu après 1148, avec les offrandes du pays de Liège, la construction de l'église. D'autres supposent après Michel Germain, page 148, que le miracle de l'enfant guéri par les mérites du saint Soulier eut lieu vers 1146, et que la princesse Mathilde de Toulouse qui était abbesse de Notre-Dame résolut d'obéir à l'ordre du ciel. Pour nous, il nous paraît certain que le miracle doit être rapporté à l'an 1128, suivant le témoignage d'Hugues Farsit, qui place cette date en tête de son livre des miracles; que l'église aura dû être commencée presqu'aussitôt avec les offrandes des fidèles. Puis,

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les guérisons miraculeuses qu'il occasionna, puisqu'il dit, en parlant de cette vision de l'enfant, inter initia benedictionis hujus cœlitus effusa. Le naïf traducteur du légendaire Hugues semble être du même avis, puisqu'il dit Le premier miracle arriva lorsque l'efficace de > l'intercession de Notre-Dame commença d'éclater par » des miracles, pour le secours de ceux qui brûlaient › du feu ardent. Un jeune garçon de onze ans, natif de › Vaux, proche de Soissons, sur la rivière d'Aisne, » lequel gardait les pourceaux de ses parents, fut frappé de ce mal au pied. Cet accident obligea sa » mère de l'apporter dans l'église de Notre-Dame. A » peine y fut il entré qu'il reçut aussitôt sa guérison, › de quoy cette femme eut une extrême joye, et elle › le ramena malgré lui à sa maison. Cet enfant, pressé › du désir de retourner voir sa bienfaitrice et de lui › rendre de nouveau ses devoirs, prioit sans cesse sa mère de luy permettre d'aller à Soissons; mais ne ⚫ pouvant obtenir d'elle cette permission, il pria Notre › Seigneur d'y pourvoir, même par une douleur nou› velle, si c'étoit sa volonté. Sa prière fut exaucée; il se sentit tout d'un coup brûlé de la même ardeur, » mais plus fort qu'auparavant. Sa mère s'en étant › aperçue, se repentit vivement de sa dureté ; et comme elle voyoit que le mal s'augmentoit sans cesse, elle le porta de nouveau dans l'église de Notre-Dame où il > reçut la même grâce qu'auparavant. Après avoir été › guéri, il se laissa aller au sommeil, jusqu'à ce › qu'ayant été éveillé par le bruit que faisoit le peuple » qui accompagnait la procession de l'église cathédrale,

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cette immense construction nécessitant une dépense incroyable, aura fallu envoyer les reliques du monastère en pays étrangers, comme c'était alors la coutume, pour terminer plus promptement cette grande œuvre, dont la construction avait pu durer déjà vingt ans.

› il publia les merveilles que Dieu venait de faire par » les mérites de sa très-sainte Mère.

Tout le monde s'étant arrêté pour entendre cet enfaut, il rapporta que, durant son assoupissement, son › esprit avait été ravy en Dieu, et que dans cette vision, > il avait aperçu la sainte Vierge prosternée devant le › trône de son Fils, qu'elle priait de vouloir détourner › ce fléau de son peuple : à qui Notre Seigneur répondit: › Ma mère, vous êtes l'Etoile de la Mer; que votre volonté » soit faite. Il ajouta que Notre-Dame s'étant plaint que » son Eglise était négligée à l'égard des bâtiments,

Notre Seigneur l'assura qu'il la rendrait une des plus ⚫ considérables du pays, et que non seulement les fidèles de la province contribueraient à l'orner et à l'embellir, › mais que l'on viendrait des pays situéz au-delà de la » mer et du Rhin, offrir de quoi la bâtir de nouveau › avec plus de magnificence. Il dit aussi qu'une partie › des malheurs des Soissonnais venaient de ce qu'ils › négligeaient de réparer les ruines de ce temple. Peu › de temps après, on vit l'accomplissement de cette > prédiction; car les fidèles de toutes conditions et de ⚫ tous les pays firent des offrandes dont l'église fut › rebâtie.

» Mais on ne pouvait assez s'étonner d'entendre cet enfant parler de l'histoire de l'ancien Testament, › qu'il rapportait en vers sans hésiter. Il récitait aussi » le nouveau Testament avec autant de facilité que s'il › en eût fait la lecture dans un livre. Il relevait les › mérites et la virginité de saint Joseph avec des éloges › qui surprenaient tout le monde; et entre autres › choses, il dit ces mots de luy :

› Qui tenet sceptrum florentis virga, custos eril gloriosa › puellæ.

› Trois semaines après qu'il fut retourné en pleine › santé chez ses parents, il mourut comme il l'avait

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