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comme pouvant cacher dans leurs plis quelque germe

pestilentiel.

Pour ce qui était des lettres arrivant de l'Orient, on les saisissait avec de longues pinces. on les tailladait d'incisions et on les plongeait dans le vinaigre (1).

(1) La peur du virus pestilentiel était telle que la loi sanitaire de 1822 allait jusqu'à permettre de refuser l'entrée à un bâtiment qui arriverait avec la peste à bord (art. 4), et que celui qui oserait enfreindre ce règlement pourrait, s'il n'était tué par le canon du lazaret, se voir condamner à mort ou bien aux travaux forcés (art. 7 et suivants).

Les soins qu'on donnait aux individus soumis à la quarantaine avaient quelque chose de barbare. L'article 3 dit : « Les médecins » et les chirurgiens n'entrent point dans l'enclos où est logé un >> malade atteint de maladie contagieuse; ils s'arrêtent toujours à » plus de six mètres de distance de la première porte, de ma>nière qu'ils sont dans un éloignement de douze mètres au moins > du malade qu'ils visitent, lequel se montre à eux si son état le » permet. »

Si les malades ne peuvent marcher, les médecins traitent sur rapport (art. 112 et 116).

L'article 613 dit : « On procure à l'individu qui soigne le malade des sabots de bois, une camisole, des pantalons et des gants de toile cirée dont il se revêt lorsqu'il entre dans la chambre du malade pour lui approcher quelque remède au bout d'une planche; il quitte ce vêtement aussitôt qu'il est sorti de la chambre, » et on l'expose au grand air.

» Art. 614. Lorsqu'on a besoin du secours manuel de quelque chirurgien, on invite un élève en chirurgie à s'enfermer avec le » malade; mais ce n'est qu'à la dernière extrémité.

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Art. 615. Lorsqu'il s'agit de l'ouverture d'un bubon, et que ce bubon a son siége sur une partie du corps telle que le malade puisse opérer lui-même, on fait usage des caustiques, ou ⚫ on emploie tous les moyens possibles pour engager et déterminer le malade à se faire l'opération, et on saisit le moment où » ses sens encore libres le lui permettent, quoique le bubon ne soit point encore parvenu au degré de maturité indiqué par les • règles de l'art.

» Art. 616. On procure au chirurgien-élève des vêtements en toile ⚫ cirée semblables à ceux dont il a été parlé (art. 613). On lui remet

» des instruments à longue queue pour qu'il en puisse faire usage » sans toucher le malade..

:

Toutes ces folies qu'on serait tenté d'imputer aux siècles les plus barbares de notre histoire sont pourtant de notre époque, et il n'y a pas quinze années qu'elles avaient cours encore.

L'esprit de calcul l'emportant enfin sur les appréhensions mal fondées de la science, on ne tarda pas à s'apercevoir que ces mesures sanitaires qui ne profitaient en rien à la santé publique, portaient au commerce un préjudice réel en entravant la liberté et la rapidité des transactions. A partir de ce moment fut attaqué de toute part ce système suranné des quarantaines, et ce fut le peuple anglais, peuple si intelligent à l'endroit de ses intérêts, qui parut le premier sur la brèche et bouleversa d'un trait de plume, en 1841, tout le vieil édifice sanitaire.

Enfin, il a fallu qu'une discussion des plus scientifiques dans le sein de l'académie de médecine, en 1846, vînt dissiper en France la vieille croyance en la contagion immédiate de la peste, fantôme qui avait tant effrayé le monde. Cette société savante démontra qu'il n'était pas prouvé que le contact cutané d'un pestiféré eût jamais communiqué la peste, et avec l'autorité qui s'attache à ses décisions, elle a demandé que le gouvernement réduisît à des mesures plus logiques et plus rationnelles les règlements qui régissaient les quarantaines.

De cette époque date la réforme radicale du système sanitaire en France.

On vient de voir que la contagion de la lèpre par contact reposait sur une erreur, et que l'observation des faits infirmait une telle opinion. A ce point de vue donc, les léproseries n'avaient pas de raison d'être, et l'on ne peut que désapprouver tout ce luxe de précautions dont on s'entourait autrefois pour échapper à un contact impur, mesures inspirées par la peur et dont les moindres inconvénients étaient d'être inutiles, ridicules et absurdes; mais on n'en peut point dire autant de l'opinion qui

admettait la transmissibilité de la lèpre par voie d'hérédité. Un père et une mère infectés de cette maladie en communiquaient le germe à leurs enfants; voilà qui est un fait admis par tous les auteurs anciens et modernes. Aussi avait-on exclu du droit de contracter mariage tout individu atteint de la lèpre, ou comptant un lépreux parmi ses ascendants; c'était le célibat forcé. C'est sur ce terrain que s'étaient placés tous les législateurs.

Les médecins du moyen-âge, interprètes tacites de ces mêmes législateurs, ont poussé la prévoyance bien plus loin encore; ils ont été jusqu'à proposer, comme moyen curatif de la lèpre, certaines mutilations qui devaient rendre l'homme impropre à la reproduction. Je ne puis croire que des médecins d'une intelligence élevée comme Ambroise Parée, que ces médecins, dis-je, en pratiquant ces mutilations, eussent eu pour but de guérir des lépreux. Non assurément; c'était au sort des générations futures qu'ils pourvoyaient en agissant ainsi.

Les léproseries, envisagées à ce point de vue de l'intérêt général, étaient donc des établissements d'utilité réelle, de prévoyance intelligente; je dirai même de haute morale, car elles servaient à refréner les passions brutales de ces hommes auxquels le mariage était interdit.

Des moralistes trouveront sans doute matière à blâme dans cette séquestration sévère imposée aux lépreux; mais qu'ils soient bien convaincus que la lèpre, si on ne lui eût opposé une semblable barrière, aurait opéré bien plus de mal dans le monde, se serait perpétuée pendant longtemps encore, jusqu'à nos jours peut-être.

J'ai dit que les léproseries étaient dirigées par des frères de Saint-Lazare. Deux mots sur ces religieux dont l'histoire se lie si intimement avec celle des léproseries.

Leur ordre, qui portait aussi le nom de Saint-Sépulcre, était réputé le plus ancien des ordres militaires.

Il date des premières années du christianisme, et dès le 4° siècle, il était déjà très-répandu en divers endroits de la chrétienté. C'est donc à tort que quelques historiens ne font dater sa création que du 12° siècle.

C'était un ordre séculier; l'hospitalité était le motif de son institution. Maintes fois cependant ils se trouvèrent obligés de prendre les armes pour le service de la religion, la défense des chrétiens et la sûreté des pélerins qui allaient visiter les saints lieux. Ils étaient à Jérusalem sous la conduite de Gérard, leur grand maître et général, lorsque les princes chrétiens entrèrent dans la Terre-Sainte.

Ce fut Louis VII qui amena, en France, les premiers religieux lazaristes. Il les établit dans son château de Boigny, près Orléans, en 1154, leur donna l'administration de toutes les maladreries et léproseries du royaume, et leur accorda d'immenses priviléges. Boigny est devenu depuis le chef lieu de l'ordre, tant deçà que delà les

mers.

Gérard, après son arrivée en France, modifia les statuts de son ordre; il le composa de laïques, de clercs et de prêtres. Les uns devaient servir à la guerre et dans les hôpitaux, les autres administrer les sacrements, célébrer l'office divin et faire les fonctions attachées au sacerdoce.

Cet ordre est devenu fort riche par suite des libéralités des rois de France; aussi a-t-il été l'objet de la jalousie des autres ordres et des princes étrangers dont quelquesuns ne se firent pas faute de dépouiller de leurs biens les maisons qui avaient été fondées dans leurs Etats.

L'ordre du Mont-Carmel s'est confondu plus tard avec celui de Saint-Lazare, et leurs biens ont été réunis ensemb'e par lettres-patentes de 1608 et de 1664.

Des Léproseries de Soissons.

Après avoir parlé des léproseries en général, disons quelques mots de celles qui se rattachent à notre histoire locale.

D'après Brayer, on évalue à cinquante le nombre des léproseries publiques dans le diocèse de Soissons aux 13, 14 et 15° siècles.

Dans la seule ville de Soissons et ses environs, on en comptait six dont une destinée aux lépreux laïques, et cinq aux lépreux du clergé.

La léproserie laïque était établie dans la plaine du faubourg Crise, à peu de distance du chemin de Fère-enTardenois.

Les léproseries appartenant au clergé étaient situées : l'une à Bucy-le-Long, à l'extrémité sud du village, en un lieu isolé de toute habitation, portant encore le nom de Maladrie; une autre à Belleu, dans une maison désignée sous le nom de Fief des Tournelles.

Ces deux léproseries appartenaient au chapitre de la cathédrale de Soissons.

Les chanoines de Saint-Jean-des-Vignes possédaient de même deux léproseries, l'une aussi à Belleu dont il ne reste plus de traces, et l'autre au lieudit la Burie de Saint-Jean.

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Enfin, à Berzy-le-Sec, il existait une léproserie que l'évêque de Soissons y avait fondée. On remarquait enà la fin du siècle dernier, un terrain appelé le Champ des pestiférés, ayant servi de cimetière à ces lépreux, conformément à l'ordonnance de Charles V, qui défendait de les inhumer dans les cimetières des paroisses.

On ne trouve, dans les auteurs, aucun détail concernant les léproseries de Bucy-le-Long, de la Burie, de Berzy, ni de celle que les chanoines de Saint-Jean avaient fondée à Belleu.

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