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ments étaient connus aussi sous les dénominations de ladreries, maladreries, et par corruption maladries, parce que la lèpre était appelée aussi ladrerie, et ceux qui en étaient affectés ladres.

La lèpre a existé de tout temps dans les pays orientaux et dans l'Egypte, et de tout temps aussi elle a été considérée comme une maladie incurable. En présence de cette incurabilité par les secours médicaux, on a dû s'adresser à d'autres moyens pour arrêter la propagation de cette terrible maladie. Celui qui a dû se présenter tout d'abord à l'esprit des peuples, le seul peut-être qui eût quelque chance de succès, ce fut la séquestration des malades. De là l'origine des léproseries.

La première léproserie dont il soit fait mention dans les archives de l'histoire est celle de Job. Au dire d'Origène et de plusieurs autres critiques parmi lesquels je citerai le célèbre Michaélis (1), c'est la lèpre que Dieu avait envoyée à son serviteur; et le fumier sur lequel il gisait était sa léproserie.

Le grand législateur des Hébreux, Moïse, parle de la lèpre dans plusieurs passages du Lévitique et du Deutéronome; il en donné même une description trèsdétaillée, et indique en même temps les mesures à prendre pour en arrêter les progrès. « Si quelqu'un de vous, dit-il, est atteint de la lèpre, qu'il soit chassé hors de l'ost (la tente). ››

Il est question aussi de la lèpre dans les ouvrages d'Hérodote. Cet historien rapporte (2) qu'en Perse, un citoyen infecté de la lèpre ne peut entrer dans la ville, ni avoir aucune communication avec le reste des Perses, et que tout étranger qui en est atteint est chassé du pays.

(1) Introd. In lib. Job, page 117.

(2) Clio, § 138, tome 1, page 107. Trad. Larcher.

Nous voyons donc par ces citations que dès la plus haute antiquité, l'isolement, la séquestration étaient imposés aux lépreux. Depuis ces époques reculées jusqu'à nos jours, la science n'a pas fait un pas dans la connaissance de cette maladie, et n'a pu trouver encore d'autre moyen à lui opposer que la séquestration.

Pline pense que la première apparition de la lèpre en Europe a eu lieu vers le siècle qui a précédé l'ère chrétienne. C'est l'Italie qui a été envahie la première; et c'est Pompée, dit-on, qui, à son retour de Syrie avec son armée, en a doté son pays..

Les historiens ne nous ont transmis aucun réglement fait à cette époque pour arrêter les progrès de cette maladie; il est probable cependant qu'il a été pris à ce sujet des mesures efficaces, puisque ce mal paraît avoir. disparu dans cette contrée jusqu'au temps où les Lombards y firent invasion, jusque vers le 7° siècle.

Rottaris qui gouvernait alors la Lombardie édicta les lois les plus sévères dans le but d'enrayer la marche du fléau. Les lépreux n'étaient pas seulement internés, mais encore ils étaient frappés de la mort civile, et ne pouvaient disposer de leurs biens.

Les auteurs assignent le 8° siècle comme date de la première apparition de la lèpre en France. Celle opinion, selon moi, est erronée, car je pense qu'à cette date la lèpre était déjà ancienne chez nous. Ce qui me confirme dans cette manière de voir, c'est la nécessité dans laquelle se trouva Pépin-le-Bref de sévir contre les lépreux qui, dès l'année 757, pullulaient de toute part. Or, ce n'est pas dans les premiers instants de son origine qu'une maladie a pu prendre une si grande extension, et il n'a pas fallu moins que la succession de bien de années, de plusieurs siècles peut-être, pour que le nombre des lépreux eût atteint les proportions que nous lui trouvons au règne de Pépin-le-Bre£.

Ce fut sous Charlemagne que l'internement des lépreux devint général et que s'élevèrent partout des léproseries.

Depuis Charlemagne jusqu'au 12e siècle, quel a été en France l'état de la lèpre? On l'ignore. Les auteurs sont muets à ce sujet. De ce silence des écrivains, conclura-t-on que la lèpre avait disparu? Je ne le pense pas. Je crois que, pendant cette longue période, la lèpre a continué d'exister sans interruption; sans interruption; mais elle sévissait avec moins d'intensité, mais elle effrayait moins les populations; voilà pourquoi les écrivains, qui ne recueillent de leur époque que les faits les plus saillants, n'en ont point fait mention dans leurs écrits.

Il nous faut arriver jusqu'aux règnes de PhilippeAuguste et de saint Louis pour trouver la lèpre dans toute sa violence et son plus grand développement. La France, l'Europe entière ont été désolées par ce terrible fléau apporté de la Terre-Sainte par les soldats des Croisades.

A cette époque, le nombre des léproseries avait atteint un chiffre si élevé que l'on en comptait, en l'année 1244, dix-neuf mille dans toute la chrétienté. Ce fait se trouve consigné dans l'histoire de Mathieu Paris, écrivain du 13° siècle, et n'a rien qui doive étonner, car en France seulement on comptait 2,000 de ces établissements, ainsi qu'il est relaté dans le testament de Louis VIII. « Nous › donnons et léguons, est-il dit dans ce testament, à 2,000 maisons de léproseries, 10,000 livres, c'est-à» dire cent sous à chacune d'elles. Cette somme de cent sous représente à peu près 84 de nos livres tournois.

Les léproseries subsistèrent jusqu'au 17e siècle, époque à laquelle la lèpre finit par s'éteindre. C'est alors qu'intervint l'édit de Louis XIV, de 1664, qui supprima

ces établissements et les convertit en commanderies

de nomination royale.

Jetons un coup-d'œil rapide sur l'historique des lépreux pendant cette longue suite de temps.

Rien n'est attristant comme le tableau de ces malheureux rejetés du sein des sociétés, flétris non-seulement dans leur personne, mais encore dans leur descendance, arrachés violemment à leurs affections les plus chères, privés de leur liberté, de la jouissance de leurs biens, n'ayant pas même l'espérance qu'un ami les viendra visiter et consoler, telle était la triste condition de ces pauvres parias.

Lorsqu'un individu était soupçonné de lèpre, il était soumis à l'examen d'un chirurgien, et s'il était reconnu malade, il passait devant des juges qui prononçaient en dernier ressort. Alors on lui fournissait un chapeau de forme particulière et un manteau gris, et on lui passait autour du cou un petit baril appelé cliquette, afin que les populations pussent le reconnaître et éviter son contact.

S'il était étranger, on le conduisait dans le lieu de sa naissance, et c'était là qu'il était interné.

Lorsque, dans son pays, il n'y avait pas de léproserie, les villes, les bourgs et les villages des environs étaient obligés de lui construire sur quatre étais une petite cabane en bois. Ces cabanes étaient placées ordinairement sur le bord des routes d'où ces malheureux imploraient la commisération des passants, car c'était la charité publique qui subvenait en partie à leurs besoins. Après la mort de ces lépreux isolés, on mettait le feu à leur cabane, et ainsi se trouvait consumé leur corps avec tout ce qui leur avait appartenu.

S'il y avait une léproserie dans le voisinage, c'était là qu'était conduit le malade processionnellement par le clergé qui, à cette occasion, récitait des prières funèbres, et lui jetait une pelletée de la terre d'un cimetière en

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lui disant Meurs. Je parlerai plus loin du cérémonial tout particulier qui accompagnait ces prières.

Il existait des léproseries affectées spécialement aux hommes, d'autres affectées aux femmes. Il y en avait de mixtes.

Les grands, quand ils étaient malades de la lèpre, n'étaient point obligés d'entrer dans une maladrerie; on leur accordait comme faveur de rester dans leur chambre, mais avec défense d'en sortir. Raoul et Renaud, comtes de Soissons, atteints l'un et l'autre de ladrerie, ont joui de ce privilége.

Il y avait aussi des léproseries pour le clergé, et c'étaient les revenus du clergé qui pourvoyaient à l'entretien de ces établissements.

On accordait quelquefois à des lépreux la permission de sortir de leur léproserie pour un temps déterminé ; mais pour prévenir tout contact impur avec les individus sains, on leur mettait une espèce d'instrument appelé crécelle, dont le bruit écartait ceux qui se trouvaient sur leur passage.

Quelques lépreux jouissaient de leur liberté, mais cette liberté n'était pas sans quelque restriction. Des limites leur étaient assignées, et s'ils étaient saisis hors de ces limites, les agents de la justice les chassaient jusqu'à leur territoire propre. Ces mêmes lépreux ne devaient jamais quitter leur baril qui était le signe distinctif de leur infirmité.

Vers le milieu du 16° siècle, la plupart des maladreries étaient presque désertes, et les lépreux dispersés dans les campagnes. François Ier publia un édit pour qu'on réparât celles qui étaient en ruine, et les lépreux furent réintégrés dans leurs établissements.

Tous les législateurs du moyen-âge ont lancé des édits relativement aux lépreux, et les pénalités les plus sévères étaient réservées à ceux qui les enfreignaient.

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