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an XIII fut d'abord installée dans le pavillon de l'ancienne Arquebuse, puis transférée dans la grande salle du collége; mais sans être réunie à l'enseignement de cet établissement dont elle resta toujours indépendante sous la seule direction de son professeur.

M. Maxime Laurendeau rend compte ensuite d'une fouille pratiquée dans l'ancien couvent des Feuillants.

Dans le courant du mois qui vient de s'écouler, M. Léon Lebrun, maître de la poste aux chevaux, demeurant à Soissons, fit faire, sous un hangar attenant à la cuisine de son logis situé sur la rue des Feuillants, une fouille de six mètres cinquante centimètres de longueur, d'est en ouest, sur une largeur de cinq mètres cinquante centimètres, et trois mètres de profondeur, pour la construction d'une cave.

Dans toute l'étendue de cette fouille, on trouva d'abord à vingt-cinq centimètres seulement de profondeur et jusqu'à deux mètres dans des terres qui ont été anciennement remuées ou rapportées, mais sans mélange de décombres, des squelettes humains entiers couchés horizontalement et espacés les uns des autres; puis à 2 mètres de profondeur et jusqu'à 3 mètres, on ne trouva plus que des squelettes sans mélange de terre, autre que celle provenant des cadavres enfouis. Ceux des lits supérieurs de cette seconde zone étaient aussi couchés horizontalement, se touchant l'un l'autre ; mais ceux du dessous avaient été jetés pêle-mêle dans toutes les positions. Tous ces squelettes étaient ceux d'hommes faits ayant les mâchoires garnies de leurs dents. Curieux de savoir si ce dépôt de corps humains s'étendait à une plus grande profondeur que les trois mètres nécessaires pour sa cave, M. Lebrun fit sonder encore à un mètre plus bas, et on ne trouva rien autre chose que des ossements humains.

Tant de cadavres ainsi entassés à une si grande profondeur dans un espace qui ne se borne pas aux dimensions de la fouille exécutée, et qui, peut-être, est très-étendu, ayant tous appartenu à des hommes dans la force de l'âge, ne peuvent avoir été enterrés là qu'à la suite d'une bataille; en effet, une si grande agglomération ne peut faire croire à la présence en ce lieu d'un ancien cimetière, où les morts sont habituellement inhumés à la profondeur de deux mètres et sont espacés les uns des autres; d'ailleurs, un cimetière renferme des individus de tout âge et des deux sexes. Ici, les premiers squelettes découverts étaient, il est vrai, séparés; mais ils remplissaient le sol jusqu'à sa superficie. On sait que, sur les champs de bataille, on n'enterre pas les morts à deux mètres de profondeur; lorsqu'ils sont en petit nombre, on se contente de les enterrer à un demi-mètre au plus; mais lorsque le nombre en est considérable, il faut nécessairement creuser une tranchée profonde. Pour se rendre compte de la manière dont les corps trouvés chez M. Lebrun ont été enterrés, on peut donc supposer que, vu leur grand nombre, on jeta d'abord les cadavres pêle-mêle dans le fond de la tranchée pour économiser le temps; mais qu'ensuite on reconnut que, pour économiser l'espace, il était nécessaire de les ranger en les serrant l'un contre l'autre (un espace de deux mètres en contenait dix); puis qu'à la profondeur de deux mètres, on les couvrit de terre et on les espaçât, soit qu'à cause de la proximité de la ville, on voulût éviter les exhalaisons, soit qu'au fur et à mesure qu'on remplissait la tranchée de terre, ou apportât encore et on y déposât ceux qui avaient été ramassés dans des endroits plus éloignés, et qu'elle fût ainsi remplie de cadavres jusqu'à la superficie du sol.

On n'a trouvé dans cette fouille ni monnaies, ni aucun

indice propre à faire découvrir l'époque à laquelle ces cadavres ont été enterrés; ce qui me porte à croire (avec d'autant plus de raison que la ville étant voisine, il ne manquait pas de gens avides de butin), qu'ils ont été déshabillés avant leur inhumation.

A l'appui de cette conjecture qui me fait penser que ce dépôt de corps humains a été le résultat d'une bataille, je pourrais citer particulièrement deux faits d'armes qui se sont passés sous les murs de Soissons. Le premier est la bataille connue sous le nom de Journée de Soissons, livrée par Charles III contre Robert, le 1er juin 923, et où le nombre des morts s'éleva à dix-huit mille.

Nos derniers historiens ne s'accordent pas sur le lieu où se livra cette bataille. Martin et Lacroix (Histoire de Soissons, tome 1er, page 372) disent, d'après d'anciennes chroniques (1), que Charles se remit aux champs pour

la troisième fois avec ses Lotharingiens, qui tentèrent > un puissant et dernier effort en sa faveur. Il vint à › Attigny, et avant que Robert eût pu réunir tous ses ⚫ fidèles, Charles marcha rapidement le long de la rive › méridionale de l'Aisne vers Soissons où Robert avait › convoqué son ban de guerre à la nouvelle du retour › de son rival. Le camp de Robert était au nord de » l'Aisne dans la plaine qui s'étend en avant de la cité › de Soissons et du château de Saint-Médard. C'était ⚫ le dimanche 15 juin 923; la sixième heure (midi) était › déjà passée, et les Franks ne s'attendant point à › combattre ce jour-là dînaient tranquillement pour la

plupart, lorsque Charles qui venait de traverser la > rivière (les chroniqueurs n'indiquent pas en quel ⚫ endroit) fondit sur le camp à la tête de ses guerriers. » Leroux (Histoire de Soissons, tome 1er, page 325 et

(1) Alberici Trium - Fonlium Chronicon; Chronicon Ademari Cabannensis; Frodoardi Chronicon.

suivantes) dit que cette bataille a été livrée dans » la plaine de Saint-Crépin-en-Chaye où les Mécontents › avaient établi leur camp. ›

« D'Attigny-sur-Aisne, dit-il, Charles se porta › rapidement sur Soissons, rendez-vous des troupes de › son compétiteur. Il arriva devant cette ville vers le » milieu de la journée sans que sa marche eût été > découverte, et lorsque les chefs et les soldats de » l'armée française étaient à table; mais la rivière › d'Aisne séparant les deux armées, la surprise ne put › être aussi complète que Charles l'espérait. Le temps › nécessaire pour effectuer le passage sauva ses ennemis ⚫ d'une défaite presque entière. Dès que la plus grande ⚫ partie de ses troupes eurent franchi la rivière, il fondit avec impétuosité sur les Français dont les rangs › n'étaient pas encore formés. Robert, à la tête d'une > poignée d'hommes réunis à la hâte, s'était porté à sa > rencontre avec la plus grande bravoure pour contenir l'attaque, et donner le temps aux différents corps de ⚫ son armée de se former et d'arriver sur le champ de > bataille. »

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Ces deux récits ne sont pas à l'abri d'objections et peuvent donner sujet à discussion; mais pour cela, il faudrait recourir aux chroniques citées. Peut-être ces deux positions différentes du camp de Robert ne sontelles indiquées que parce que, selon les chroniqueurs, Charles venant d'Attigny à Soissons, passa la rivière pour attaquer Robert, ce qui leur donna du retard; mais cette rivière à passer au lieu de l'Aisne n'était peut-être que la Crise. Bien que le camp fût établi sous les murs de Soissons, peut-être même, comme le dit Leroux, dans la plaine de Saint-Crépin-en-Chaye, Robert logeait probablement dans la ville. Il est alors vraisemblable qu'aussitôt qu'il eut appris l'approche des ennemis, et après avoir donné à son fils Hugues l'ordre d'assembler

immédiatement son armée, il sortit par la porte de Saint-André avec ses gardes et les troupes qu'il put rassembler pour mettre une barrière entre son camp et Charles arrivant par la route de Reims ; le combat aurait alors eu lieu au sud de la ville et sous ses murs.

Le second fait d'armes qui s'est aussi passé sous les murs de Soissons, et qui pourrait peut-être encore avoir donné lieu à cet enfouissement considérable de cadavres est la défaite des Impériaux au passage de l'Aisne en 978 ou 979; mais nos historiens s'accordent à dire que le plus grand carnage qui se fit en cette circonstance eut lieu dans la plaine située entre l'Aisne et SaintMédard, laquelle prit à cette occasion le nom de Champ bouillant ou de Champ dolent, et qu'il en périt plus par l'onde que par le glaive.

Quel que soit du reste le lieu où se sont passés ces faits d'armes, les morts qu'ils ont produits ou seulement une partie ont pu être transportés en cet endroit du faubourg Saint-André qui est peut-être le lieu où existait alors le cimetière de la paroisse de Saint-Martin dont nos historiens ne nous donnent pas précisément la place. Dormay (Histoire de Soissons, tome 1er, page 290) dit: Pour l'église de Saint-Martin, chacun sait qu'elle était hors de la Porte-Neuve près du cimetière de la même paroisse. Martin et Lacroix (Histoire de Soissons, tome 1er, page 350) répètent la même chose, et ajoutent que cette église passait pour dater du 8e siècle. Leroux (Histoire de Soissons, tome 1er, page 226) place l'ancienne église de Saint-Martin vers le milieu de la rue de ce nom.

Si cette portion de l'enclos de M. Lebrun faisait partie de l'ancien cimetière Saint-Martin, les inhumations ne se faisaient donc pas toujours alors à deux mètres de profondeur, puisque les squelettes supérieurs furent trouvés à vingt-cinq centimètres seulement de la superficie

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