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Encore qu'avec M. Chudzinski il fit de fréquentes visites à son cher laboratoire, la guerre, le siège, la Commune lui donnèrent une nouvelle forme d'activité. Il présidait la commission de l'Assistance publique, il dirigeait à la Pitié un service chirurgical encombré de blessés et la grande ambulance de l'hôtel de Chimay. Au péril de sa vie, il sauva du pillage et fit transporter à Versailles la caisse de l'Assistance publique qui contenait 75 millions de francs, tant en numéraire qu'en titres, et n'en reçut du gouvernement ni récompense ni remerciement. Bien plus, le conseil de l'Assistance publique, qui avait fait preuve pendant la guerre de tant d'habileté et de dévouement, fut immédiatement dissous. Broca eut, comme son maître Gerdy, l'étonnement et le plaisir d'être nommé deux fois membre de la Légion d'honneur. Dès 1872, la Revue d'anthropologie fut fondée; nos publications étaient en effet encombrées et Broca, ne voulant prendre la place de personne, réserva pour ce recueil la plupart des mémoires qu'il avait lentement préparés. Là se trouvent des chefs-d'œuvre sur les indices céphaliques, sur l'indice nasal, sur les angles céphaliques, sur l'indice orbitaire, qui se succédèrent rapidement.

Un des premiers, le premier peut-être parmi les savants français officiels, il osa agrandir les auditoires scientifiques; il chercha à faire pénétrer la science dans toutes les couches sociales. Il ne suffisait pas, croyait-il, d'entretenir la haute culture chez les esprits d'élite, il voulait que les savants fussent en rapports constants avec la foule. Aussi fut-il un conférencier dévoué et, malgré les difficultés des sujets qu'il traitait, populaire. Il ne demandait aux gens que du bon vouloir. Que de fois n'a-t-il pas montré le musée, parci, par là même, à des étrangers curieux, à des inconnus; il suffisait d'arriver au moment opportun, et alors, sans trop regarder ses visiteurs, il ne ménageait ni ses pas ni ses explications.

Je ne puis omettre de mentionner ici la part capitale que Broca prit à la fondation de l'Association française pour l'avancement des sciences, et dont le premier congrès se tint à

Bordeaux par son entremise et par ses soins. Il assista à bien des congrès internationaux : à Bologne, à Pesth, à Moscou, à Copenhague; il organisa avec M. Hamy l'exposition anthropologique de 1867; avec M. de Mortillet, celle de 1878; il présida le congrès qui se tint à cette époque.

Cette brève énumération suffit à peine à donner une idée de la prodigieuse activité du maître qui grandissait notre influence scientifique dès le lendemain même de nos désastres.

L'année 1880 allait donc s'ouvrir devant Broca pleine de promesses et de gloire, lorsqu'un événement inattendu, mais peu désiré, vint combler la mesure de ses honneurs. Le 10 février, le Sénat, désireux pour son prestige de s'associer des hommes d'une science éprouvée, l'élut sénateur inamovible, et les amis du nouveau sénateur, sachant avec quelle ardeur il prenait son devoir, ne virent pas sans effroi cette charge nouvelle s'imposer à son patriotisme. Dès lors, il ne s'appartint plus, il ne nous appartint plus. Il fit sa dernière leçon la même semaine. Il est difficile de dire ici quel concours extraordinaire de félicitations il reçut, à quelles fêtes il fut convié de toutes parts et quelle fatigue il en ressentit. Mais, de toutes ces fètes, il n'en fut pas, à coup sûr, de plus grandiose que le banquet qui lui fut offert quelques jours plus tard au nom de cette Société et où prirent place, comme ils le purent, plus de deux cent cinquante convives, chiffre auquel il avait fallu réduire la liste des souscripteurs. Là, nous vîmes se produire sous les formes les plus variées du langage les sentiments d'estime, d'admiration et d'affection les plus profonds: Henri Martin, M. Béclard, M. Verneuil, M. Ploix, M. Trélat, M. Pozzi; bien d'autres encore vinrent successivement au noin des corps auxquels appartenait Broca, rendre hommage à leur collègue, à leur ami, à leur camarade, à leur maître. Et quelle ne fut pas l'émotion de l'assistance et de Broca lui-même quand M. Verneuil, cet ami de trente-cinq ans, se leva et vint évoquer le souvenir de Follin et les phases de leur amitié ! «On a rappelé, dit-il, tes

grands côtés: amour sans bornes pour la science, la vérité et la justice; opiniâtreté dans le travail; fermeté des convictions; droiture de la conduite; simplicité de la vie ; ardeur du patriotisme. On a rappelé que tu comptais des amis sans nombre. La chose est à la fois vraie et naturelle, puisque tu en gagnais chaque jour et que tu n'en as jamais perdu. » Cruelle ironie du sort! Ceux-là mêmes qui saluaient à son triomphe cet homme comblé d'honneurs, à qui aucun bonheur n'avait manqué, qui, demain peut-être, à en juger par l'accueil que lui fit le Sénat, allait prendre quelque part importante dans le gouvernement de la France, ceux-là mêmes devaient, quelques mois plus tard, répéter sur sa tombe encore ouverte les paroles qu'ils venaient de prononcer.

Le 8 juillet 1880, Broca eut au Sénat un étourdissement passager, une vive douleur au bras gauche; il rassura ses collègues sur la signification et les suites de cet accident; il s'endormit profondément dans la soirée, et vers minuit il succombait, après quelques mouvements agités sans avoir repris connaissance, à l'âge de cinquante-six ans. Partout l'affliction fut grande; non moins grande fut la surprise.

Il ne semblait pas qu'il dût mourir sitôt. On savait qu'il avait surmené le travail, on savait qu'il avait profondément souffert de toutes les émotions que, par ces temps agités, ressentent les hommes de cœur et les patriotes. Mais, à ce travailleur obstiné, à cet homme de bien, on voulait que la destinée pût être clémente; son œuvre était inachevée, mais sa méthode était arrêtée, son plan désormais tracé; il ne s'attardait plus aux accidents des grandes discussions, ses élèves, ses collaborateurs, de tous les points du monde, l'aidaient admirablement ! Le bonheur qu'il goûtait au milieu des siens semblait devoir réparer la fatigue et les agitations d'une vie trop laborieuse. Vains et stériles regrets! Quelques-uns parmi les plus sages des hommes nous disent que pour ceux qui sont arrivés aux plus hauts sommets de la science en face de l'éternel souci de la misère humaine et de notre éternelle impuissance, la mort est une délivrance;

cela ne peut se dire de ces infatigables travailleurs, animés de la foi humanitaire pour qui la grandeur du mal est tout autre chose qu'un thème à lamentations. En Broca, l'humanité, la patrie et le progrès perdent un serviteur passionné.

Peu d'hommes cependant furent plus heureux des biens du sort et de ceux que la société attribue à ses élus. Il fut comblé d'honneurs; il eut ceux qu'il a recherchés; il eut ceux-là mêmes dont il ne se souciait pas. Il eut une famille digne de lui, digne de porter, digne de transmettre son nom. Dès l'aube de sa vie, il avait attiré les regards de tous, et son prestige le suivit au parlement. Pas un de ses efforts, pas un de ses travaux ne fut perdu; des disciples nombreux se sont groupés à son appel et sont librement restés unis, comme il le désirait, autour de sa mémoire; son œuvre sera propagée, continuée peut-être, il a laissé de nobles exemples de droiture, de travail, d'honnêteté qui, certes, ont élevé le niveau moral des jeunes générations. Considérons aussi que les œuvres vives du fondateur de cette Société, de ce Laboratoire, de ce Musée, de cette Bibliothèque, de cette Ecole, objet de sa prédilection, n'ont point péri, mais qu'elles ont prospéré; que les auditeurs affluent à nos séances et à nos cours; que les sociétés, les chaires, les revues périodiques consacrées à l'anthropologie se sont multipliées dans les deux mondes; que nos cités savantes, Lyon, Bordeaux et Toulouse, rivalisent d'ardeur avec nous, et qu'un jeune maître, enfin, digne de sa renommée croissante, a pu s'asseoir dans cette chaire magistrale sans qu'elle perdit de son éclat. Que ce soit là notre consolation!

Messieurs, il est beau de laisser un grand nom, il est beau de laisser de grands travaux, il est beau de laisser de grands exemples; mais laisser à la fois des descendants dignes de ce nom, des exemples mémorables et des œuvres puissantes, cela atteint la mesure des vies les mieux remplies.

Tel fut le sort, tel est l'honneur de Broca.

TABLE DES TRAVAUX ORIGINAUX

ET

DES PRINCIPALES COMMUNICATIONS

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BEAUREGARD (0.).

-

· L'antiquité du fer en Egypte, 104.

L'Ethnique « arya », ses origines, sa signifi-
cation, 764.

BÉRENGER-FÉRAUD. - Recherches sur la Maye de Provence, 624.

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