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larité; il fut applaudi dans les rues qu'il traversa. Le comte d'Artois, qui était du cercle de la reine, n'entendit, au contraire, que des murmures sur son passage. M. de Nicolaï, président de la Chambre des comptes, répondit à Monsieur : « La nation gémit sous le poids des subsides. La Chambre des comptes doit désirer l'état des recettes et dépenses de l'année. L'intrigue et la faveur ont épuisé les trésors de l'État. Si le déficit doit encore s'alimenter de la substance des peuples, alors les cours se réuniront pour supplier Sa Majesté de rendre à la nation assemblée le pouvoir de consentir les impôts. » Le comte d'Artois ne réussit pas mieux dans son intervention près de la Cour des aides, qui arrèta, le 48 août, que les lits de justice ne présentaient plus que l'appareil affligeant du pouvoir absolu... et qu'une nation qui payait près de 600 millions d'impôts devait se croire à l'abri de toutes les nouvelles inventions du génie fiscal. » La même cour, à la fin de sa déclaration, suppliait le roi d'assembler les États généraux. De son côté, le Châtelet, par arrêté du 21 août, demanda le rappel du Parlement. Les divers parlements du royaume votèrent aussi des plaintes hautaines. Quelques-uns s'opposaient à l'établissement des assemblées provinciales; tous prenaient fait et cause pour le Parlement de Paris exilé. On remarqua ces paroles de la cour de Besançon : « Les coups d'autorité sans cesse renouvelés, les enregistrements forcés, les exils, la contrainte et les rigueurs mises à la place de la justice, étonnent dans un siècle éclairé, blessent une nation idolâtre de ses droits, mais libre et fière, glacent les cœurs, et pourraient rompre les liens qui attachent le souverain aux sujets et les sujets au souverain. »

Ces provocations au mépris et à la haine se répandaient et se répercutaient en échos prolongés dans toute la France; elles descendaient insensiblement jusqu'aux rangs les plus obscurs de la société.

« Comme le peuple n'avait pas paru un seul instant, depuis cent quarante ans, sur la scène des affaires publiques, on avait absolument cessé de croire qu'il pût jamais s'y montrer; en le voyant si insensible, on le jugeait sourd; on se mit à parler de lui-même comme s'il n'avait pas été là. Il semblait qu'on ne dût être entendu que de ceux qui étaient placés au-dessus de lui, et que le seul danger qu'il y eût à craindre était de ne pas se faire bien comprendre de ceux-là. Les gens qui avaient le plus à redouter sa colère s'entretenaient à haute voix, en sa présence, des injustices cruelles dont il avait toujours été victime; ils se montraient les uns aux autres les vices monstrueux que renfermaient les institutions qui lui étaient le plus pesantes; ils employaient leur rhétorique à peindre ses misères et son travail mal récompensé; ils le remplissaient de fureur en s'efforçant ainsi de le soulager. Je n'entends point parler des écrivains, mais du gouvernement, de ses principaux

agents, des privilégiés eux-mêmes. » (Tocqueville, l'Ancien régime et la Révolution.)

Les troubles avaient été fréquents à Paris pendant le mois d'août (1787). On s'y habituait de plus en plus aux manifestations tumultueuses de la place publique. Des clubs nombreux, qui s'y étaient établis et se propageaient aussi dans les provinces sous différents noms, entretenaient l'agitation morale. Le baron de Breteuil, intendant de Paris, les fit fermer provisoirement. Ils ne tardèrent pas à se rouvrir, et leur influence augmenta sans cesse jusqu'à 1789.

L'état des affaires extérieures n'était pas de nature à relever le gouvernement dans l'opinion. La France avait laissé la Russie prendre possession de la Crimée; sa médiation, qu'elle avait offerte, avait été refusée par l'impératrice, et elle n'avait pu donner à son alliée la Turquie que le triste conseil de la résignation. L'affaiblissement de la politique française avait été récemment plus sensible encore en Hollande. Le prince d'Orange Guillaume V, stathouder héréditaire, conspirait depuis plusieurs années pour s'y emparer du pouvoir absolu. Il n'avait pour lui qu'une minorité des citoyens; mais l'Angleterre l'encourageait dans son entreprise contre les États, et il était assuré de. l'appui du roi de Prusse, Frédéric - Guillaume II, son beau-frère. De leur côté, les États ne doutaient point de la protection de la France, qui les avait si bien soutenus contre Joseph II. De Montmorin avait en effet promis d'envoyer trente mille hommes en observation sur la frontière, à Givet, pour contenir la Prusse, et le commandement de cette armée devait être confié, disait-on, à la Fayette. Mais Brienne n'avait pas tardé à dissiper la somme destinée à cet envoi de troupes. Il résista aux ministres de la guerre et de la marine, Ségur et Castries, qui considéraient la France comme engagée d'honneur à porter secours à la république hollandaise. A la faveur des hésitations qu'amenèrent ces dissentiments, le stathouder excita une émeute à la Haye, et obtint du roi de Prusse le secours d'un corps de vingt mille Prussiens, commandés par le duc de Brunswick. La guerre civile éclata dans toute la Hollande. Le gouvernement français, impassible, conseilla aux États généraux de ne pas prolonger leur résistance, et le prince d'Orange, délivré de toute crainte, traita la Hollande en pays conquis (1787). L'Angleterre, témoin de tant de faiblesse, arma en même temps que la Prusse. Le cabinet de Versailles s'émut alors, et donna l'ordre d'armer aussi une flotte au port de Brest. Cependant Brienne obtint de Pitt un désarmement mutuel. Ainsi le pouvoir royal vit se dissiper, à son désavantage, le prestige de la guerre d'Amérique, et l'attention soupçonneuse du public demeura toute concentrée sur les difficultés croissantes de la politique intérieure où l'engageaient la maladroite assurance et l'impuissante activité de Brienne.

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A Troyes, le Parlement avait reçu des députations de divers corps de la magistrature, et des représentants de l'Université elle-même, chargés de le féliciter et de l'encourager à la résistance. L'opinion se prononçait de plus en plus énergiquement en sa faveur. Devant cette unanimité hostile, le roi et les ministres se virent contraints à des concessions. Ils renoncèrent au timbre et à la subvention territoriale, pour y substituer une prorogation du second vingtième, toutefois sous une forme qui devait assujettir à l'impôt tous les biens, sans distinction. Le Parlement, pour se racheter de l'exil, consentit à enregistrer cet édit, le 19 septembre. A son retour à Paris, il fut accueilli par des acclamations enthousiastes. Le peuple remplit la ville de cris; on força les propriétaires à illuminer pendant plusieurs soirées; on cassa les vitres de ceux qui tardaient à se soumettre à ces sommations. Le 1er octobre suivant, l'émotion durait encore. On jugea et on brûla, sur la place Dauphine, le mannequin de Calonne, «< condamné, disait le procès-verbal, pour avoir fait perdre au roi l'amour et la confiance des Français. » On promena deux mannequins représentant, l'un le baron de Breteuil, l'autre la duchesse de Polignac, et on livra aux huées le nom de la reine, que l'on appelait déjà « Madame Déficit. »>

Cependant la prorogation du vingtième n'était une ressource que pour l'avenir; le présent n'y gagnait rien l'argent manquait. Brienne proposa de créer des emprunts graduels pendant cinq ans (de 1788 à 1792), et devant s'élever ensemble à la somme de 420 millions. Pour s'assurer de l'enregistrement de cet édit, Brienne et Lamoignon imaginèrent de le présenter au Parlement avec solennité, dans une séance royale, le 19 novembre, en mème temps qu'un édit ayant pour but de rendre l'état civil aux non-catholiques. Cette séance fut plus funeste au trône qu'aucune de celles qui l'avaient précédée. Louis XVI, comme d'habitude, affecta dans son discours une fermeté qu'on savait bien être fort éloignée de son caractère. « La religion sainte, dit-il, me commande elle-même de ne pas laisser une partie de mes sujets privés de leurs droits naturels et de ce que l'état de société leur permet... Mes parlements doivent compter sur ma confiance et mon affection; mais ils doivent les mériter.» Le garde des sceaux rappela aux membres du Parlement les vrais principes du gouvernement qu'eux-mêmes avaient consacrés dans un arrêté du 20 mars 4776: qu'au roi seul appartient la puissance souveraine de son royaume; qu'il n'est comptable qu'à Dieu seul de l'exercice du pouvoir supreme; que le pouvoir législatif réside dans la personne du souverain, sans dépendance ni partage, etc. Une discussion s'engagea sur le projet d'emprunt, et dura sept heures. Les conseillers

Robert, Freteau, Duval d'Espréménil, parlerent avec véhémence. Le dernier demanda, avec la plus vive instance, la convocation des États généraux. On se préparait à voter; mais, après avoir consulté le roi, le garde des sceaux se borna à prononcer l'enregistrement, « sans que les avis eussent été réduits et les voix comptées. » La séance royale se trouvait ainsi tout à coup transformée en lit de justice. On s'en indigna comme d'une surprise faite à la bonne foi du Parlement. Au milieu de l'agitation qui se manifestait, le due d'Orléans se leva, hésita quelques instants, et dit. en mots entrecoupés : « Sire... cet enregistrement me paraît illégal... il faudrait exprimer que Tenregistrement est fait par l'exprès commandement de Votre Majesté. » Le prince était trouble; Louis XVI le fut aussi, et dit ces mots : « Cela m'est égal... vous êtes bien le maître... Si, c'est légal, parce que je le veux. » (Droz.) Quand le roi se fut retiré, le Parlement déclara qu'il ne voulait prendre aucune part à l'enregistrement de l'édit relatif aux emprunts.

Le lendemain, le duc d'Orléans fut exilé dans une de ses terres, et deux conseillers du Parle ment, l'abbé Sabatier et Freteau, furent conduits dans des prisons d'État, puis exilés.

Le Parlement protesta contre ces actes d'autorité, et, sur la motion du conseiller Duport la plupart des expressions dont l'on se servit pendant la révolution française étaient déjà usitees. il déclara les lettres de cachet contraires au droit naturel, et réclama des garanties pour la liberté individuelle (4 janvier 4788). Le roi fit effacer cette déclaration sur les registres.

Trois mois après, le 44 avril, le Parlement fit de nouvelles remontrances sur la séance du 19 novembre. Dans sa réponse, le roi l'accusa d'aristocratie.» Le Parlement répondit : « Non, Sire, point d'aristocratie en France, mais point de des potisme.» On en était aux injures révolution naires, et sur le pied de l'égalité. Vers la fin du mois, le conseiller Goislard de Montsabert ayant dénoncé des abus dans la perception du second vingtième, le Parlement arrêta, le 29 avril, que les gens du roi informeraient sur la conduite des contrôleurs. C'était entraver la levée de l'impt et soulever les récriminations des contribuables d'une extrémité du royaume à l'autre.

Il devenait de plus en plus impossible de gouverner. Brienne et Lamoignon préparerent, aver tout le mystère possible, des mesures décisives pour détruire à jamais l'action politique du Parlement. Cependant le secret ne fut point parfaitement gardé. Le Parlement, averti, s'assembla et vota à l'unanimité, sur le rapport de d'Esprémenil, premièrement, une protestation contre les projets des ministres, qui « menaçaient la constitution de l'État et de la magistrature », et, secondement, une déclaration de principes rappelant a le droit de la nation d'accorder librement les subsides, par l'organe des États généraux librement convoques

et composés; l'inamovibilité des magistrats; le droit pour chaque citoyen de n'ètre jamais traduit, en aucune matière, devant d'autres juges que ses juges naturels. >>

Aussitôt cette déclaration connue, le ministère donna ordre d'arrêter Goislart de Montsabert et Duval d'Espréménil. Les magistrats et les pairs se réunirent au palais (5 mai 1788), et prirent un arrêté qui mettait « Duval et Goislard, et tous autres magistrats et citoyens, sous la sauvegarde du roi et de la loi.» Tous les membres, y compris les pairs,

restérent en séance, dans l'attente. Vers minuit, des compagnies de gardes françaises, précédées de sapeurs, investirent le palais, qu'entourait une foule immense. Le marquis d'Agoult, aide-major des gardes françaises, entra dans la salle, lut un billet du roi qui lui ordonnait d'arrêter les deux magistrats, puis somma l'assemblée de les lui désigner. Plusieurs voix répondirent : « Nous sommes tous d'Espréménil et Montsabert! » D'Agoult sortit; mais il revint vers onze heures du matin, et répéta la même sommation. D'Espré

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ménil et Montsabert se levèrent alors tour à tour, et déclarèrent qu'ils cédaient à la force. On les emmena d'Espréménil fut conduit aux fles Marguerite, et Montsabert à Pierre - Ancise. L'effervescence populaire s'étendit des alentours du palais à Paris et dans la France entière.

Brienne et Lamoignon n'en persistèrent pas moins dans leur projet de se délivrer de la résistance des magistrats. Le 8 mai, le Parlement fut mandé à Versailles, où le roi déclara sa volonté de faire enregistrer, sans discussion, divers édits dont l'objet principal était de restreindre le pouvoir du Parlement en réduisant le nombre de ses

D'après Vény et Girardet.

membres à soixante-sept, et en créant : au-dessous de lui, quarante - sept grands bailliages chargés d'une partie des affaires dont la connaissance lui était attribuée; au-dessus de lui, une cour plénière chargée de l'enregistrement des lois pour tout le royaume. Cette cour plénière devait être composée de membres nommés à vie par le roi, qui se réservait, du reste, le pouvoir de contracter des emprunts sans la consulter.

Après la séance, suivant leur habitude, les membres du Parlement recommencèrent à protester. Le lendemain, on convoqua la cour plénière; mais ceux mêmes qu'on y avait nommés

protestèrent aussi contre son établissement, et il n'y eut plus d'autre séance.

La réforme des parlements dans les provinces donna lieu à de violents débats, notamment dans le Béarn, le Dauphiné, la Bretagne, la Provence, le Languedoc et le Roussillon. Les clubs de Rennes, qu'on appelait des « chambres de lectures », parodièrent le lit de justice du 8 mai. Les membres du Parlement de cette ville voulurent se réunir; la force armée se présenta pour les séparer; mais des gentilshommes, à la tête du peuple, résistèrent aux soldats. Les magistrats furent exilés. Cent trente gentilshommes rédigèrent une déclaration contre les nouveaux édits; douze d'entre eux, chargés de la présenter au roi, furent enfermés à la Bastille. L'intendant de Bretagne fut pendu en effigie. Les montagnards du Béarn descendirent en armes à Pau et enfoncèrent les portes du palais de justice; les gentilshommes, portant au milieu d'eux le berceau de Henri IV, déclarèrent au duc de Guiche, envoyé du roi, qu'ils ne souffriraient point d'atteinte aux priviléges de leur province. A Grenoble, on sonna le tocsin; le peuple brisa les voitures préparées pour conduire en exil les membres du Parlement qui persistaient à se réunir; on attaqua le duc de Clermont-Tonnerre, gouverneur, dans son hôtel, et on leva la hache sur sa tête.

Brienne échouait ainsi dans toutes ses tentatives, et ne trouvait plus d'expédients pour subvenir aux dépenses de chaque jour. Il convoqua une assemblée extraordinaire du clergé, avec l'espoir d'obtenir de lui un don ou un prêt de 4 800 000 livres pour l'année courante. Tout archevêque qu'il fût, le clergé lui refusa l'argent, et, de plus, fit à son tour des remontrances (45 juin).

Le ministre, éperdu, chercha des moyens de distraire et de flatter l'opinion publique. Le 5 juillet, un arrêt du conseil invita les municipalités, les tribunaux, les savants et les personnes instruites à faire des recherches sur les usages anciens relatifs à la composition des États généraux, dont la convocation était alors promise seulement pour l'année 4792. Aussitôt parurent de tous côtés des brochures, des pamphlets, des propositions de toutes sortes, où les vérités les plus dures n'étaient pas épargnées au pouvoir. On en compta de deux à trois mille dans ce second semestre de 4788. L'esprit public se sentait comme émancipé, Mirabeau publia une brochure intitulée Appel à la nation provençale; on y lisait ces mots : « Peuples, l'heure du réveil a sonné... La liberté frappe à la porte, courez au-devant; elle vous tend la main, sachez la saisir... Le despotisme va fuir comme l'ombre devant l'aurore. » Il était visible qu'avec une exaltation pareille on n'attendrait pas 4792. Brienne rapprocha le terme; un arrêt du 8 août, en suspendant la cour plénière, annonça que les États généraux s'ouvriraient le 1er mai 1789.

Si prochain que fût ce jour solennel, encore

fallait-il vivre pendant dix mois sans emprunts et sans impôts. Brienne usa de moyens honteux, dépensa les épargnes de la caisse des invalides. le fonds d'une loterie qui avait eu pour objet de secourir l'agriculture, et enfin, par arrêt du 46 août, fit déclarer que les payements de l'État s'effectueraient en partie avec des billets du trésor, c'est-à-dire en papier, jusqu'à la fin de l'année. Le bruit se répandit que l'État faisait banqueroute. Brienne offrit la place de contrôleur général à Necker, qui ne pouvait consentir à n'être que l'agent d'un ministre si incapable et si impopulaire. Il ne lui resta donc plus qu'un parti, la retraite (25 août); mais il sortit du ministère avec l'archevêché de Sens, le chapeau de cardinal, 800 000 francs de bénéfice, et des places bien rétribuées pour tous ses parents.

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Necker, que Calonne avait voulu imiter et Brienne s'associer, était, de l'aveu de tous, le seul ministre possible. Le 26 août 4788, il reprit le titre de directeur général des finances, et, cette fois, personne ne lui contesta le droit d'entrer au conseil; on n'était plus en situation de le prendre de si haut avec lui. On lui accorda aussi, non-seulement le renvoi du garde des sceaux Lamoignon, qui, à l'imitation de Brienne, se retira chargé d'or, mais encore le rappel des parlements. L'allégresse publique éclata dans tout le royaume; c'était en quelque sorte une allégresse irritée. En septembre. l'explosion de passions violentes jeta pendant plusieurs jours l'effroi dans Paris. La place Dauphine, vis-à-vis le pont Neuf, fut la scène principale de l'émeute. On y brûla le mannequin de Brienne, revêtu du costume d'archevêque, et celui de Lamoignon, habillé en garde des sceaux. On arrètait toutes les voitures qui passaient, et l'on forçait les personnes qui s'y trouvaient à mêler aux cris de Vive Henri IV des malédictions contre les deux ministres renvoyés. Le duc d'Orléans vint avec complaisance et ostentation au-devant de ces exigences de la populace. A la fin, le guet voulut intervenir : on le chassa; on démolit et l'on brûla ses corps de garde. L'agitation prenait des proportions redoutables. La force armée engagea une lutte contre les rassemblements; le sang coula, surtout dans la rue Saint-Dominique, devant l'hotel du ministre de la guerre, frère de Brienne. Le Parlement fit informer contre la troupe, et affecta envers elle la sévérité, tandis qu'un seul des rèveltés fut condamné à quelques jours de prison.

à se

Cependant les finances ne tardèrent pas relever. Le nom de Necker eut d'abord sur les capitalistes le même effet magique qu'en 1776. A son arrivée, il n'avait trouvé que 500 000 livres aut trésor. Il ouvrit des emprunts, et, malgré l'inquiètude générale et les symptômes menaçants de la

disette, les millions affluèrent. La crise apaisée, toute l'attention publique se porta sur les États généraux et sur ces deux questions capitales: Dans quelle proportion le tiers état serait-il représenté relativement aux deux autres ordres? Les votes auraient-ils lieu par ordre ou par tête? Les esprits libéraux répondaient qu'il fallait que le vote eût lieu par tête, et que le nombre des membres du tiers état fût double de celui des membres de chacun des deux autres ordres. C'est ce qu'on appelait la double représentation du tiers. Mais

le Parlement commençait à s'effrayer de l'autorité qu'aurait certainement l'assemblée des États géraux. Il conseilla de s'en tenir « à la forme observée en 1644 », où le clergé avait eu cent quarante représentants, la noblesse cent trente-deux et le tiers cent quatre-vingt-douze. Une clameur universelle s'éleva contre le Parlement. En ce seul jour il perdit toute sa popularité, et ce fut en vain qu'il essaya plus tard de modifier cette impression en rétractant son premier avis, sous prétexte de l'expliquer. Necker eut l'idée de soumettre la ques

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tion à une nouvelle assemblée des notables. Cette assemblée, composée des mêmes membres que la première, ouvrit ses séances le 6 novembre, et se sépara le 12 décembre. Le principe de la double représentation y fut repoussé par une majorité considérable; il fut décidé plus libéralement que, pour voler dans les assemblées primaires du tiers état, les seules conditions nécessaires seraient de justifier qu'on satisfaisait aux conditions de l'inscription au rôle des contributions, de la majorité de vingt-cinq ans et du domicile. L'avis des notables eut pour effet de surexciter les réclamations des cercles, des clubs et des écrivains. L'écrit le plus remarquable sur le sujet principal des discussions fut celui de l'abbé Sieyes, qui était intitulé : « Qu'estce que le tiers état?» L'auteur répondait à cette première question : « Tout. » Et il ajoutait : « Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique? Rien. Que demande-t-il? A y être quelque chose.» Cette consultation, composée de peu de pages d'un style clair et concis, répondait trop bien au sentiment public pour n'avoir pas un retentissement immense. « Le tiers état comprenait la presque totalité de la nation, toutes les classes utiles, industrielles et éclairées; s'il ne possédait qu'une partie des terres, du moins il les exploitait toutes; et, selon la raison, ce n'était pas trop que de lui donner un nombre de députés égal à celui des deux autres ordres. » (Thiers, Histoire de la révolution française.)

Louis XVI, mécontent de l'opposition qu'il avait eu à subir de la part des privilégiés, en

diverses circonstances, se prononça, contrairement à l'avis des notables, pour la double représentation du tiers. Le résultat principal du conseil tenu à Versailles, le 27 décembre 1788, fut << que les députés aux États généraux seraient au moins au nombre de mille, et que le nombre des députés du tiers état serait égal à celui des deux autres ordres réunis. » La majorité des ministres estimait qu'il était prudent de décider également à l'avance quel serait le mode de vérification des pouvoirs, si l'on voterait par ordre ou par tète, et enfin quelles seraient les bases de la constitution nouvelle, car on ne doutait plus de sa nécessité; mais Necker insista pour que la plus grande liberté fût laissée à l'assemblée, par ce motif que les nouvelles institutions auraient plus d'autorité sur l'esprit national si elles prenaient naissance dans le sein même des États généraux. «La reine, contre tous les usages, assista aux séances du conseil où furent délibérés les principes et les formalités des élections et de la convocation des États généraux. Elle ne fut point contraire à ce qui fut résolu, opposée sur ce point à M. le comte d'Artois et à la société de Mme de Polignac, où l'on se passionnait pour les intérêts de la noblesse, sans nul souci du pouvoir royal, sans nul esprit de gouvernement. »>> (Barante.)

Quelques ministres avaient pensé que le lieu des séances devait être éloigné de la capitale. Cette question avait été discutée en conseil. « Le roi écoutait et ne disait rien; sa physionomie ne manifestait point quelle pouvait être son opinion.

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