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brillante au milieu de laquelle il vivait : ce n'était guère pour lui qu'un thème littéraire; mais, pour nous, c'est une peinture de mœurs du plus grand prix, et dont il est nécessaire de mettre ici quelques lignes, pour bien faire comprendre ce qu'était encore la vie seigneuriale au milieu du dix-septième siècle. Fléchier raconte, avec une aménité et une insensibilité parfaites, les scélératesses de divers accusés, comme le comte de Massiac d'Espinchal et le curé de Saint-Babel, qui n'étaient pas moins coupables que le vicomte la MotheCanillac. On appelait ce dernier « le plus innocent des Canillac », tant cette famille était renommée

dans le pays. Voici comment s'expriment les «< Mémoires de Fléchier sur les grands-jours >> au sujet d'un autre Canillac, parent de celui qui fut exécuté : «Entre ceux qui furent jugés dignes du dernier supplice, M. le marquis de Canillac tient le premier rang, qui passe pour le plus grand et le plus vieux pécheur de la province... Je ne m'arrêterai point à raconter tous les déréglements dont il est accusé. Il suffit de dire qu'il a pratiqué tout ce que la tyrannie peut inventer en matière d'imposition. On levoit dans ses terres la taille de monsieur, celle de madame, et celle de tous les enfants de la maison, que ses sujets étoient obligés de payer,

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outre celle du roi. Il est vrai qu'il y a des droits, justifiés par des titres fort anciens, qui permettent à quelques seigneurs de faire quelques impositions en certains cas, comme lorsqu'eux-mêmes ou leurs fils aînés se marient; mais le marquis savoit l'art d'étendre les droits, et faisoit tous les ans ce que les autres ne font qu'une fois en leur vie. Pour exécuter ses desseins plus facilement et pour empêcher les murmures, il entretenoit dans des tours

(1) Légende de la gravure originale : « Séance des grands»jours ouverte à Clermont, en Auvergne, par M. le prési» dent de Novion et les autres commissaires nommez par le roy, le 26 septembre 1665.» Les deux portraits en médaillon sont ceux du roi et de la reine, mais peu ressemblants.

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douze scélérats, dévoués à toute sorte de crimes, qu'il appeloit ses douze apôtres, qui catéchisoient avec l'épée ou avec le bâton ceux qui étoient rebelles à sa loi, et faisoient de terribles violences lorsqu'ils avoient reçu la cruelle mission de leur maître. Il leur avoit donné des noms fort apostoliques, appelant l'un Sans- Fiance, l'autre BriseTout, et ainsi du reste. Sur la terreur que donnoient ces noms effroyables, il imposoit des sommes assez considérables sur les viandes qu'on mange ordinairement, et comme on pratiquoit un peu trop d'abstinence, il tournoit l'imposition sur ceux qui n'en mangeoient pas. Le plus grand revenu qu'il avoit étoit celui de la justice; il faisoit, pour la moindre chose, emprisonner et juger des misé

la procédure, ou ordonnance civile, rendue en 1667; celle des eaux et forêts, en 4669; l'ordonnance criminelle, en 1670; celle du commerce, en 4673; celle de la marine et des colonies, en 4684.

A ces heureux commencements, qui ne respiraient que l'ordre, l'humanité, la justice, Louis XIV joignit tous ses soins pour développer, avec l'aide de le Tellier et de son fils le marquis de Louvois, les forces militaires de la France; avec Colbert, les forces maritimes; avec de Lyonne, son influence diplomatique.

rables, et les obligeait de racheter leurs peines | nombre sont principalement une ordonnance sur par argent. Il eût voulu que tous ses justiciables eussent été de son humeur, et les engageoit souvent à de méchantes actions pour les leur faire payer après avec beaucoup de rigueur. Enfin, personne n'a jamais tant fait, et n'a jamais tant souhaité, et n'a jamais tant profité des crimes que lui. Non-seulement il faisoit payer les mauvaises actions qu'on avoit faites, il falloit encore acheter la liberté d'en faire, et lorsqu'on avoit de l'argent à lui donner, on pouvoit être criminel ou le devenir. Il avoit accoutumé de dire qu'il avoit un Barbe qui nourrissoit tous ses chevaux. Ce Barbe étoit une servante de ce nom qu'il permettoit à un curé de garder chez lui, à condition de payer un certain tribut qui entretenoit son écurie. Enfin, il étoit permis de contenter toutes ses passions, pourvu qu'on satisfit son avarice. Il avoit beaucoup dépensé, et s'étoit incommodé pendant ses longues années de service, et il n'avoit point d'autre voie pour remettre ses affaires que la tyrannie. Il se sentoit du penchant à ces sortes de vexations; il étoit éloigné de la cour, et presque assuré de l'impunité. Ainsi il agissoit sans crainte et suivoit aveuglément toutes ses passions, les couvrant, la plupart, sous des apparences de justice. Toutes ces concussions et plusieurs autres violences, dont on eut peine à trouver des preuves à cause de la terreur qu'avoient encore laissée dans l'esprit des peuples le marquis et ses émissaires, obligèrent messieurs des grands-jours à le juger à mort. Il fut effigié (1), au grand contentement de tout le monde; il l'avoit été autrefois par arrêt du Parlement de Toulouse; il avoit vu lui-même, d'une fenêtre voisine, son exécution, et il avoit trouvé fort plaisant d'être fort en repos dans une maison et de se voir mourir dans la rue pendant qu'il se portoit bien chez soi. Il n'eut pas le moindre mal de tête de ce coup, et je crois qu'il fut bien fàché de n'avoir pas encore une fois ce divertissement. Mais il avoit jugé expédient pour sa santé de se retirer, ayant perdu beaucoup de sa belle humeur passée par le chagrin et par la pesanteur que l'âge apporte. Il fut condamné à une grosse amende et à la confiscation de tous ses biens, et l'on fit raser deux ou trois tours qui avoient été longtemps la retraite de ses apôtres. »

D'autres grands-jours suivirent ceux de Clermont, et furent tenus dans le Languedoc et le Limousin. Les sages conseillers dont s'entourait le roi ne s'arrètèrent pas là, et portèrent leurs vues réformatrices sur la législation elle-même, sur la nécessité d'abréger les procès, d'en diminuer le nombre et les frais, surtout d'introduire dans la pratique l'ordre, la clarté et l'uniformité. Ils rédigèrent plusieurs ordonnances demeurées des monuments capitaux de notre droit, et en grande partie passées dans nos codes modernes. De ce

(*) Exécuté par simulacre, au moyen d'un mannequin qu'on décapitait on pendait en place publique.

Louvois, qui fut ministre en titre dès 1666, n'ayant encore que vingt-cinq ans, introduisit la sévérité dans la discipline de l'armée et créa l'administration militaire. Au lieu d'abandonner, comme on le faisait jusque-là, aux gouverneurs de provinces et de places les opérations du recrutement, la surveillance des troupes, la nomination d'une partie des officiers, qui à leur tour choisissaient leurs subordonnés, il concentra dans les mains du roi et du ministre tout ce qui concernait les levées, les nominations, l'avancement; il établit des inspecteurs généraux chargés de s'occuper de la tenue des troupes et de surveiller officiers et soldats; il créa les commissaires des guerres, à qui furent confiées l'administration et la comptabilité des armées; il organisa les magasins de vivres, les casernes et les hôpitaux, les trains d'équipages, les compagnies spéciales de cadets servant d'écoles militaires à la noblesse, de mineurs pour l'attaque et la défense des places, de grenadiers, de canonniers; il fonda des écoles d'artillerie à Douai, à Strasbourg et à Metz, et tint 4 600 pièces de canon dans les arsenaux. C'est ainsi que Louis XIV put faire la guerre à l'Europe, d'abord avec 425 000 hommes sous les armes, et avec 450 000 sur la fin de son règne. Il s'attacha à perfectionner les armes de la cavalerie et de l'infanterie, donna pour la première fois à nos armées des régiments de cavalerie légère, les hussards, et entretint des haras pour la remonte. L'infanterie fut pourvue d'uniformes bien différenciés par leurs couleurs, et marquant nettement les distinctions de grades; elle fut astreinte à marcher au pas dans tous ses mouvements; le mousquet, devenu en 4630 le fusil, par l'abandon du rouet d'arquebuse et l'invention de la batterie à pierre (fucile), fut uo objet de longues et persévérantes études. La pique était encore, à cette époque, l'arme usuelle des fantassins; en 1640, on inventa la baïonnette 1. mais pour s'en servir on la vissait dans la gueule du canon, et ce ne fut qu'en 1670 qu'on trouva le moyen de réunir les avantages de la pique et du mousquet en inventant la douille, qui permit de fixer solidement la baïonnette au bout du fusil sans en gêner le tir. Louvois fit une innovation bien plus sensible encore que tous les perfectionnements matériels en imaginant pour l'armee

(1) De l'espagnol bayneta, gaînette, lame à gaîne.

«l'ordre du tableau », c'est-à-dire en réglant que l'avancement aurait lieu désormais d'après le rang d'ancienneté. Le duc de Saint-Simon, partisan passionné de tous les priviléges nobiliaires, assure (chap. LVIII), dans les célèbres Mémoires qu'il a laissés sur la fin du règne de Louis XIV, que ce changement, « qui égala tout le monde, rendit >> l'application et le travail inutiles à tout avance>>ment qui ne fut dû qu'à l'ancienneté et aux an>>nées, avec toujours de rares exceptions pour ceux »> que M. de Louvois eut des raisons particulières » de pousser »; mais il est certain au contraire, par ces paroles mêmes, que ce ministre habile pratiqua dès lors la méthode actuelle de l'ancienneté et du choix combinés, et que, par son « tableau », il se mit à l'abri des exigences de la noblesse, qui prétendait placer ses enfants dans les premiers grades indépendamment de toute garantie d'appli cation et de capacité. Le reproche qu'on lui a plus communément et plus justement adressé est d'avoir été jaloux de Colbert, et d'avoir favorisé le penchant de Louis XIV à se jeter dans la guerre, afin d'augmenter sa propre importance.

L'armée de mer et l'appareil maritime suivirent une progression parallèle. La navigation commerciale était un des principaux sujets des méditations de Colbert. Il créa un conseil du commerce qu'il présida lui-même; envoya des colons aux Antilles, au Canada, à Cayenne, à Madagascar et sur les côtes de l'Hindoustan; de 4664 à 4669, il établit, à l'instar des compagnies hollandaises, quatre grandes sociétés commerciales: la compagnie des Indes orientales, celle des Indes occidentales, celle d'Afrique, et celle du Nord. Il favorisa les négociants français par des droits imposés sur les navires étrangers, et fit rendre un édit par lequel il était déclaré qu'on ne dérogeait pas à la noblesse en se livrant au commerce maritime. Enfin il fit adopter par le roi et réaliser par une ordonnance en date du 17 septembre 4665, un plan qui devait assurer le service régulier des bâtiments de l'État. Auparavant, lorsque l'État avait besoin d'hommes pour un armement, il enrôlait subitement et violemment tous les marins qu'il trouvait sur ses côtes; on appelait cela «< la presse ». Colbert créa l'inscription maritime, qui organisait tous les matelots de France en une seule armée, dont les soldats devaient servir alternativement sur les navires du roi et sur ceux du commerce. En 1670, l'inscription présentait pour l'armée de mer un effectif d'environ quarante mille hommes. Le roi comprenait très-bien l'importance de la marine, et l'avait fort à cœur. Les Anglais, usant de leur force, affectaient d'obliger tous les navires des autres nations à saluer les leurs et à baisser leur pavillon les premiers, dans les eaux de l'Angleterre et même sur l'Océan. Louis XIV ne toléra pas un instant cette arrogance, et l'occasion s'étant offerte à lui de s'en expliquer, il écrivit, des le mois de janvier 4662, au gouvernement britannique : « Je prétends mettre bientôt mes

forces de mer en tel état, que les Anglois tiendront à gràce que je veuille bien alors entendre à des tempéraments touchant un droit qui m'est dû plus légitimement qu'à eux. Le roi d'Angleterre (Charles II) et son chancelier peuvent bien voir à peu près quelles sont mes forces, mais ils ne voient pas mon cœur... » Il fit travailler aux armements maritimes avec tant d'ardeur, en effet, qu'en 1666 il avait soixante-dix bâtiments, quand Mazarin, en 4664, ne lui en avait laissé que trente. Et en 4674 il en comptait cent quatre-vingt-seize, chargés de huit mille bouches à feu. Cette grande flotte se partageait entre les ports de Toulon, Rochefort, Brest et le Havre. Louis XIV compléta le réseau de ses ports militaires en y ajoutant Dunkerque.

Cette ville importante avait été laissée aux Anglais par Mazarin après la bataille des Dunes (voy. p. 234); le roi Charles II, pressé par d'impérieux besoins d'argent et séduit par l'appât d'une grosse somme, consentit à la revendre, moyennant 5 millions comptant (27 oct.-2 déc. 1662). A la nouvelle de cette négociation déplorable pour les intérêts anglais, les habitants de Londres allèrent offrir à leur roi de lui payer eux-mêmes les 5 millions; máis Charles II avait donné sa parole, il voulut y rester fidèle.

A peine cette place importante fut-elle au pou-voir de Louis XIV qu'il la rendit formidable. Une armée de trente mille ouvriers y fut envoyée. On y construisit de grands ouvrages de défense sous la direction de Vauban, le plus grand ingénieur et l'un des plus grands citoyens que la France ait eus. Vauban (4633-4707) avait commencé par être employé dans l'armée active par Mazarin, en 4655. Aussi habile à prendre les places qu'à les fortifier, aussi profond dans les travaux de la paix que dans l'art de la guerre, il fut un des hommes qui contribuèrent le plus à la gloire de Louis XIV. C'est à lui que la France doit le système défensif par lequel elle a suppléé, du côté du nord-est, à l'insuffisance de ses frontières naturelles et les a rendues, au dix-septième siècle, plus complètes et plus solides qu'elles ne le sont restées depuis 4815. De l'embouchure du Var jusqu'à Strasbourg, elle est couverte par les Alpes, la Suisse et le Rhin; mais de Strasbourg à Dunkerque, elle n'est protégée que très-imparfaitement par les Vosges, la Moselle et la Meuse. Louis et Vauban y pourvurent en établissant de ce côté une ceinture de places fortes et en faisant d'immenses travaux qu'ils continuerent jusqu'à leur mort; ils firent de Strasbourg, de Metz, de Lille, des citadelles de première importance; ils construisirent Maubeuge, Thionville, Sarrelouis, Neuf- Brisach, Bitche, et fortifierent Charlemont, Longwy, Phalsbourg, Haguenau, Schelestadt, Huningue, Belfort, Landau, Kehl. Vauban visita aussi les autres frontières et toutes les côtes; il exécuta de grands travaux à Besançon gardienne du Jura, à Briançon gardienne des Alpes; il créa l'importance de Toulon; il aurait voulu élever de mème le rang des ports d'Antibes et

Port-Vendres; il établit, pour commander les passes des Pyrénées, Saint-Jean-Pied-de-Port et Montlouis; dans le golfe de Gascogne, la citadelle de Bayonne et le fort d'Andaye; il refit les murs de la Rochelle, bàtit la citadelle de l'île de Rhé, rendit Brest formidable, commença les grands travaux de la rade de Cherbourg et acheva Calais.

Louis avait en effet besoin d'habiles gens pour la guerre comme pour les finances. Il avait montré à toute l'Europe, dès l'année 4664, qu'il ne craindrait pas de prendre les armes. L'empereur d'Allemagne, héritier du titre de Charlemagne, exerçait sans contestation une sorte de primauté parmi les souverains de l'Europe; il était nommé le premier dans les traités, et ses ambassadeurs avaient le pas, dans toutes les cours de la chrétienté, sur ceux des autres puissances. Mais, après l'empereur, le roi de France, chef de la plus ancienne et la plus illustre de toutes les maisons souveraines de l'Europe, prétendait exercer à l'égard des autres la même suprématie. Cependant le roi d'Espagne la lui disputait, et les ambassadeurs des deux nations à Londres en vinrent, à l'occasion d'une cérémonie publique, à un véritable combat qui eut lieu dans les rues de cette ville, et dans lequel le cortège du comte d'Estrades, qui représentait la France, fut battu et repoussé par celui de l'envoyé espagnol, le baron de Watteville; une quarantaine de ses gens furent tués ou blessés. Aussitôt Louis XIV exigea satisfaction de cette insulte, et prit toutes ses mesures pour recommencer la guerre avec son beau-père. Le roi Philippe IV dut reculer devant cette attitude résolue; il écrivit à son gendre qu'étant le plus vieux, c'était à lui de se montrer le plus sage, et il envoya à Paris le marquis de las Fuentes faire, en présence du corps diplomatique, l'abandon formel des prétentions espagnoles avec « de publiques excuses, qui furent accompagnées de paroles efficaces, telles que le roi nonseulement en fut content, mais toute l'Europe en fut étonnée.» (Motteville.)

L'année suivante, un événement analogue se passa dans Rome, et Louis, par la même fermeté, le fit de même tourner à son avantage. Le duc de Créqui, son ambassadeur auprès du saint-siége, ayant irrité les Romains par ses hauteurs, ceux-ci outre-passèrent toutes les bornes dans leur vengeance. Excitée par une agression des domestiques de l'ambassade, la garde corse ou garde papale vint assiéger l'hôtel Farnèse, qu'habitait le duc de Créqui, et fit feu sur le carrosse de sa femme qui rentrait, ignorant ce désordre; un page fut tué à côté de l'ambassadrice, et plusieurs autres personnes furent blessées de part et d'autre (20 août 1662). Le duc de Créqui se retira aussitôt de Rome. Lorsqu'on sut en France ce qui s'était passé, le roi commença par faire reconduire à la frontière le nonce qui résidait à Paris; puis il fit saisir le comtat Venaissin, dont la réunion à la Provence se fit aux acclamations du peuple d'Avignon; enfin, avec la permission du duc de Savoie,

il fit passer des troupes dans l'Italie centrale. Le pape avait refusé d'abord toute satisfaction sérieuse; il comptait sur les souverains catholiques pour le soutenir, et sur le temps pour amortir la colère du jeune roi; mais ni l'Espagne affaiblie, ni l'empereur barcelé par les Turcs, ne pouvaient lui donner aucun appui, et Louis XIV se montra intraitable dans une question où il s'agissait de faire respecter la France au dehors. Le saint-père (Alexandre VII), après avoir essayé vainement de l'apaiser en faisant pendre un soldat corse et un agent de police qui avaient pris part à l'émeute, fut obligé d'accéder aux conditions qu'on lui imposa, et qui furent de punir le chef de la police et le gouverneur de Rome, de casser la garde papale, de déclarer la nation corse incapable d'y jamais servir, d'accorder divers avantages territoriaux aux ducs de Parme et de Modène, d'envoyer un cardinal-légat en France exprimer les regrets et les excuses de Sa Sainteté, enfin d'élever dans Rome même, en face de l'ancienne caserne des Corses, une pyramide portant gravé le décret rendu contre eux et ses motifs. Le saint-siége avait subi de plus rudes malheurs, mais jamais une telle humiliation (12 fév. 1664). Les conditions exécutées, on rendit le comtat Venaissin.

Peu de temps après, Louis XIV sut trouver de plus belles occasions de s'honorer et de se faire craindre. Les Turcs, bien qu'affaiblis, étaient toujours formidables pour le monde chrétien; ils s'ëtaient emparés d'une partie de la Hongrie, et menaçaient les provinces autrichiennes avec une armée de cent mille hommes. Le roi de France, en qualite de confédéré de la ligue du Rhin, se hata de seconrir les Allemands effrayés. Il leur envoya six mille Français, commandés par le comte de Coligny; c'était une faible troupe, mais qui, par sa résolution et sa valeur, décida du gain d'une grande bataille (bat. de Saint-Gothard, août 4664), à la suite de laquelle les Turcs furent forcés d'accorder la paix à l'Empire. Louis faisait agir en mème temps contre les musulmans ses forces navales. Les corsaires de la côte d'Afrique désolaient la Méditerranée et y ruinaient le commerce; il y envoya trois années de suite (4664-4666) une escadre commandée par le duc de Beaufort, qui ravagea la rive africaine, détruisit deux flottilles algériennes, et finit par imposer aux deux principales puissances barbaresques, Tunis et Alger, des garanties pour la paix à venir, des traités de commerce avantageux et la libération de tous les Français qu'on y retenait prisonniers. Un de ces malheureux avait donné peu de temps avant en 4665) le spectacle d'une de ces actions qui rappellent les héros de l'antiquité. Un Breton, capitaine d'un vaisseau de guerre de 36 canons, avait été pris par les Algériens avec son bâtiment. Le dey d'Alger le choisit pour aller porter au roi de France des propositions d'accommodement, en lu faisant jurer de revenir s'il échouait, et en l'avertissant que six cents de ses compagnons de capti

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vité répondaient de sa parole au péril de leur tête. Les propositions ne pouvaient être admises. Le Breton, porteur d'un refus, et connaissant bien le sort qui l'attendait, revint cependant avec une courageuse fidélité. Le dey lui fit trancher la tête. Cet homme, digne de vivre dans les souvenirs de la France, était de Saint-Malo, et s'appelait Porcon du Babinais. Louis XIV ne se contenta pas de réprimer les pirateries des Turcs et des Arabes d'Afrique, il secourut Venise, attaquée dans ses possessions d'Orient par toutes les forces du sultan, et envoya le duc de Beaufort concourir, avec sept

mille Français, à la défense de Candie. L'ancien << roi des halles » y trouva une mort honorable (en sept. 1669).

Au faîte de cette gloire dont il était avide, et d'une prospérité qui semblait s'attacher à tous ses pas, le jeune roi ne pouvait guère échapper au danger d'être ébloui. Il commençait à nourrir des projets de conquête, et prodiguait des millions pour les splendeurs, les fètes et les plaisirs de sa cour. Anne d'Autriche l'avertissait avec la sagesse d'une mère. Elle lui disait « qu'il étoit trop enivré de sa propre grandeur, et qu'il ne donnoit point

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de bornes à ses désirs. » Il perdit en 4666 (20 janv.) cette amie clairvoyante, et avec elle disparut le dernier frein qui pût le retenir encore. La seule présence de la reine mère avait retardé longtemps et contenu ses galanteries. Dès l'âge de dix-sept ans (4), il s'était laissé entraîner par ses goûts légers; sa passion pour Marie Mancini n'avait été que la plus forte et la plus pure de ses premières amours. A peine marié depuis quelques mois avec l'infante d'Espagne, il laissait affliger cette mélan

(1) Journal manuscrit de la santé de Louis XIV; grande Bibliothèque de Paris, no 127, supp. fr.

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Estampe de la collection Fontette.

colique et douce créature par les coquetteries de sa belle-sœur, Henriette d'Angleterre (1). « MarieThérèse étoit une personne bien faite et qu'on pouvoit appeler belle, quoiqu'elle ne fût pas agréable... On la voyoit tout occupée d'une violente passion pour le roi, attachée dans tout le reste de ses actions à la reine sa belle-mère, sans distinction de personnes ni de divertissements, et sujette à beaucoup de chagrins à cause de l'extrême jalousie qu'elle avoit du roi.» (Mme de la

(') Fille de Charles ler, mariée le 31 mars 1661 à Monsieur, Philippe duc d'Orléans, frère unique de Louis.

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