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des différences dans la manière dont les ornements sont traités, dans la prédominance de telle ou telle sculpture, dans l'adoption de certaines combinaisons habituelles dans une province, plus rares et insolites dans d'autres; en un mot, dans une multitude de détails qui ne frappent pas toujours au premier abord, mais qu'un œil exercé apprécie bientôt avec un peu d'attention.

La Société française a la première, dans les enquêtes archéologiques qu'elle a faites depuis vingt ans, essayé de préciser les caractères qui différencient à la même époque l'architecture des diverses contrées de la France; en d'autres termes, de tracer la géographie des styles architectoniques, de déterminer le synchronisme des différents genres d'architecture dans les provinces de la France. Les résultats obtenus sont positifs, concluants, et M. de Caumont a pu diviser le royaume en plusieurs grandes régions monumentales nettement délimitées.

Ces enquêtes de M. de Caumont ont évidemment donné long-temps après l'idée des questionnaires que le ministre de l'instruction publique a fait paraître par les soins de son comité.

Le Cours d'antiquités de M. de Caumont, qui avait fait de la classification chronologique des monuments du moyen-âge l'objet d'un enseignement régulier, lorsque personne n'y songeait encore, ne fut pas sans influence sur le succès de la Société française. Ce cours était l'ouvrage qui, par toute la France et à l'étranger, avait initié aux mystères de l'archéologie, et l'auteur était devenu un centre vers lequel venaient se grouper tous les amis des études historiques. La Société française fut un lien qui unit plus intimement cette association, que les sympathies et les rapports d'étude avaient d'abord fondée.

Bientôt de nouveaux cours d'archéologie furent, à la demande de la Société française, institués dans un grand nombre de séminaires.

Des livres distribués, des encouragements et des médailles d'argent décernées par la Société, donnèrent à cet enseignement une grande impulsion.

Administrée avec la plus sage économie, la Société française, qui n'a point obtenu de secours du gouvernement, qui n'a d'au

tres fonds que ceux provenant de la cotisation annuelle de ses membres, a pu voter bon nombre d'allocations pour aider à restaurer des édifices intéressants.

Outre tant de services rendus par la Société française à l'art et à la propagation des connaissances archéologiques, on lui doit encore une large impulsion donnée à la rédaction des statistiques monumentales et à la composition des recueils d'inscriptions; effectivement la compagnie, qui, comme son nom l'indique, se voue exclusivement à l'exploration et à la conservation des monuments français, ne pouvait laisser dans l'oubli ces nombreux monuments épigraphiques dans lesquels l'histoire du pays se trouve écrite aussi bien que dans les chroniques; elle a voulu les recueillir avec soin, les classer, en former une grande collection.

De pareils résultats devaient attirer sur son auteur l'attention de tous ces hommes studieux de la France et de l'étranger. Aussi, dès l'année 1833, M. de Caumont était élu correspondant de l'Académie des inscriptions et Belles-Lettres (18 janvier). En décembre 1833, il était, à la demande de M. Guizot, nommé chevalier de la Légion-d'Honneur; en 1844, il reçut la croix d'officier de l'Ordre royal de Belgique, et successivement les décorations de l'Aigle-Rouge de Prusse, de St.-Maurice de Sardaigne, de l'Etoile polaire de Suède.

Tout récemment, S. M. le Roi Maximilien lui envoyait, avec une lettre autographe, la croix de St.-Michel de Bavière, et Sa Sainteté Pie IX le décorait de son ordre en lui adressant un bref dans lequel il donnait sa haute approbation aux publications de notre compatriote sur l'archéologie du moyen-âge.

A tant de témoignages honorables, nous n'avons plus qu'à ajouter les éloquentes paroles que prononçait M. le comte de Montalembert dans une séance publique du Congrès archéologique de France.

L'illustre membre de l'Académie française, après avoir présenté un tableau rapide et saisissant du mouvement archéologique développé en France, terminait ainsi sa belle improvisation :

« Ainsi donc, Messieurs, ayons confiance et réjouissons-nous.

« Certes nous aurons encore à lutter contre les dédains des uns, « contre la mauvaise volonté des autres, et surtout contre la par«< cimonie d'un trop grand nombre de corps constitués. Nous ver«rons encore démolir ou dénaturer plus d'un monument digne « d'admiration ou d'intérêt ; mais sachons bien que notre cause est « gagnée. Il nous restera le devoir et le mérite de la persévérance « dans l'œuvre commencée il y vingt ans sous peine de la voir « dégénérer et s'éteindre. Mais tout annonce qu'elle durera et que « nous verrons de plus en plus ce que nous voyons déjà, c'est-à<< dire notre art ancien et historique compris, étudié, restauré et « appliqué jusque dans les moindres détails, depuis les voûtes «< aériennes qui couronnent nos églises, jusqu'aux carrelages his« toriés et émaillés destinés à remplacer ces tristes dalles noires et << blanches qui leur servent de pavé moderne. Bientôt la flèche de la << Sainte-Chapelle, en se dressant de nouveau au centre de Paris, « dans la plus belle position qu'offre peut-être aucune ville du « monde, viendra témoigner à tous que l'heure de la renaissance a de l'art catholique et national a définitivement sonné.

«Sans doute, dans cette renaissance, tout n'est pas irrépro«chable; on peut beaucoup critiquer et se moquer dédaigneuse«ment de telle tentative avortée, de telle exagération puérile. << Mais, comme je l'ai dit ailleurs, on peut avoir raison dans le dé« tail et se tromper sur l'ensemble. Les échecs partiels ne changent « rien au résultat général. Quoi qu'on fasse, la marée monte, le « flot marche. On ne voit pas bien ce qu'il gagne à chaque moment « donné. Dans ses mouvements réguliers, mais intermittents, il « semble reculer autant qu'avancer, et cependant il fait chaque « jour sa conquête imperceptible, et chaque jour le rapproche du but marqué par la providence. Messieurs, la justice exige que « nous sachions rendre un hommage légitime à ceux qui ont été « les auteurs et les principaux instruments de celte régénération. << Parmi eux, il est trois noms qui se recommandent sans réserve à « votre reconnaissance et à celle de la postérité. Je ne crois pas me « laisser égarer par l'amitié en réclamant une place hors ligne pour « M. Rio, dont le livre jusqu'à présent unique sur la peinture chré

«tienne en Italie a initié tant de lecteurs et de voyageurs aux plus «pures merveilles de l'art religieux. Vous connaissez tous M. Di« dron, son infatigable activité, son dévouement un peu belli«queux à notre cause, ses publications, qui ont tant fait pour « répandre dans le public, et surtout dans le clergé, le goût et l'in«telligence des trésors qui nous restent. Mais avant tout, vous «rendrez hommage avec moi à M. de Caumont, au fondateur de «nos Congrès. Le premier, lorsque nous étions tous, les uns dans « l'enfance, les autres dans l'ignorance, il a rappelé en quelque « sorte à la vie l'art du moyen-âge; il a tout vu, tout étudié, tout «deviné, tout décrit. Il a plus d'une fois parcouru la France entière « pour sauver ce qui pouvait être sauvé, et pour découvrir non«seulement les monuments, mais ce qui était plus rare encore, les « hommes qui pouvaient les aimer et les comprendre. Il nous a « tous éclairés, encouragés, instruits et rapprochés les uns des « autres. Qui pourrait dire les obstacles, les mécomptes, les dé« goûts de tout genre contre lesquels il a dû lutter pendant cette « laborieuse croisade de vingt-cinq années? Les honneurs auxquels « il avait droit en France, ne sont pas venus le trouver. Sachons « lui en tenir lieu par notre affection, notre reconnaissance, notre «respect. Je lisais l'autre jour dans l'admirable livre de Mme. de « Staël, intitulé : Dix années d'exil, qu'en arrivant à Salzbourg « elle avait vu une grande route percée dans le roc par un arche«vêque, et à l'entrée de ce vaste souterrain le buste de ce prince « avec cette inscription: Te saxa loquuntur. Messieurs, quand « nous élèverons un buste ou une statue à M. de Caumont, nous « y graverons ces mots : Te saxa loquuntur ! Et ces pierres, ce « seront les monuments de notre vieille France, c'est-à-dire les plus nobles pierres qu'on puisse voir sous le soleil. »

A. HARDEL,

Membre de l'Institut des Provinces.

Il y a des gens qui ont de bons yeux et qui pourtant ne voient rien de ce qui existe autour d'eux parce qu'ils n'ont pas songé à regarder attentivement. On trouve des hommes pour lesquels toutes les formes se confondent et qui ne peuvent distinguer ce qui est beau de ce qui est laid; il y en a d'autres qui ne sont pas sensibles à la musique, qui ne la comprennent pas et sur lesquels les mélodies les plus suaves produisent le même effet qu'une décharge d'artillerie ou que le bruit d'une charette roulant sur le pavé.

Evidemment il manque quelque chose aux êtres ainsi organisés; ils n'ont pas développé les facultés que leur a données la nature, ils ne sont pas au niveau de la civilisation moderne, et, pour répéter ce que j'ai dit ailleurs, car mon opinion n'a pas changé, ils peuvent être comparés à des instruments qui n'ont pas toutes leurs cordes.

C'est pour diminuer le nombre de ces hommes imparfaits, mais seulement de ceux qui n'apprécient pas l'harmonie des formes, la beauté des monuments, parce qu'ils n'ont pas les moindres notions de l'histoire de l'art, que le Conseil de la Société française pour la conservation des monuments m'a prié de prendre de nouveau la plume et que je me rends à son invitation.

Mais, par où commencerai-je l'instruction élémentaire que me demande la Société ? quelle forme, quelle étendue donnerai-je à ces instructions?

Embrasserai-je l'ensemble de l'histoire de l'art réduit même aux proportions les plus minimes ?

Non, je serais encore trop long. Je veux faire quelque chose de plus pratique, de plus utile au point de vue où se place la Société, et je me bornerai, quant à présent, à donner quelques notions sur l'architecture du moyen-âge.

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