Page images
PDF
EPUB

plus intéressantes de toutes. Le fragment d'entablement que voici, avec ses gracieux enchaînements perlés, ses feuillages au milieu desquels sortent des têtes, combinaison des corbeaux grimaçants avec les garnitures végétales qui devaient seules être employées au XIII. siècle,

[graphic]

tiré d'une église dans laquelle les ogives se marient aux cintres.

Dans quelle contrée l'ogive a-t-elle pris naissance ?

En laissant de côté les opinions plus ou moins bizarres de quelques antiquaires (1), on peut réduire à trois les principales hypothèses émises sur l'origine du style ogival.

Suivant les uns, ce genre d'architecture existait très-anciennement en Orient, et les Croisés enthousiasmés de ce qu'ils avaient observé dans ce pays, importèrent l'ogive en Europe, où elle fut généralement adoptée peu de temps après.

Les seconds sont d'accord avec les premiers quant à l'origine de l'ogive; mais ils croient que les Maures avaient introduit cette arcade en Espagne avant les Croisades, et qu'elle se répandit de là dans toute l'Europe, en même temps que la philosophie arabe.

Les troisièmes, dont le nombre s'accroît chaque jour, rejettent les deux systèmes précédents, et démontrent que l'architecture à ogives est née dans l'Europe occidentale.

Que pensez-vous de ces opinions?

On ne peut nier que l'arcade en tiers-point ne fût connue longtemps avant d'être appliquée à un système particulier d'architecture; le type de cette arcade existe dans les ouvertures formées de pierres surplombant les unes sur les autres, comme on en voit dans plusieurs monuments en Chine, en Egypte et ailleurs.

Mais il y a loin de ces arcades grossières aux ogives proprement dites et au système d'architecture dont elles forment un des principaux caractères: aussi de pareils faits ne sont-ils d'aucune importance pour la solution du problème qui nous occupe.

En Orient, le petit nombre de faits recueillis par des observateurs consommés force les antiquaires qui soutiennent que l'origine du style ogival est orientale à mettre beaucoup de réserve dans leurs assertions, et ils n'ont pu rien dire de concluant.

J'ai longuement analysé dans mon Cours d'antiquités et dans mon Histoire de l'architecture, les arguments employés par les diverses écoles. On peut consulter ce que j'en ai dit,

(1) Parmi ces opinions singulières est celle de Warburton, qui a cherché l'origine du style ogival dans les voûtes naturelles formées par les arbres séculaires des forêts. Frappé de l'analogie que présentent les grandes avenues d'arbres avec les nefs des églises à ogives, dont la décoration est empruntée au règne végétal, ce savant croyait ainsi avoir trouvé l'origine du système ogival, sans prendre garde que des innovations successives avaient de longue main préparé la révolution qui éclata au XIII®. siècle.

Si l'ogive était employée en Orient avant le XII. siècle, ce qui n'est pas probable, l'usage n'en était pas général, puisque l'église St.-Marc de Venise, élevée dans le XII. par des artistes renommés de Constantinople, les cathédrales de Pise, de Pavie, de Véronne, érigées vers le même temps avec le concours d'architectes étrangers, offrent toutes un style analogue à celui qui régnait chez nous dans le XI. siècle. Bien d'autres faits prouvent que le style roman était usité à Byzance et dans l'empire grec au XI. siècle. D'un autre côté, le style ogival de l'Orient diffère sensiblement de celui qui régna chez nous au XIIIe. siècle : il n'en a ni la légèreté ni tous les accessoires, c'était, à quelque chose près, l'architecture byzantine avec des arcades en tiers-point au lieu de cintres, en d'autres termes, notre architecture de transition avec nos premières ogives du XII. siècle.

Telle est l'idée qu'on se forme en examinant les dessins qui ont été faits des monuments orientaux à ogives, et dont aucun n'est probablement antérieur au XIIIe siècle.

De là nous pouvons conclure que si l'arc en tiers-point est imité des monuments de l'Orient, ce que personne n'a pu démontrer, le style ogival a subi dans le Nord de l'Europe une sorte de métamorphose, une régénération presque complète.

C'est là, évidemment, qu'il a pris les formes excessivement maigres et élancées qui le caractérisent dès le XIII. siècle, et qu'il a développé ces moyens d'exécution vraiment merveilleux qui excitent notre admiration. C'est là qu'il s'est revêtu d'une ornementation végétale inconnue auparavant.

Les causes qui ont déterminé l'adoption du style ogival, sont plus complexes qu'on ne l'a pensé jusqu'ici. Ceux qui ont fait des recherches sur l'origine de cette architecture, se sont attachés à certains caractères isolés, sans examiner avec assez d'attention l'ensemble des éléments qui la composent, et sans tenir compte des innovations successives qui en avaient fort anciennement préparé la naissance.

Plus on avance dans l'étude des monuments du moyen-âge, plus on demeure convaincu que l'architecture ogivale s'est développée sous la triple influence des conceptions de nos artistes indigènes, des souvenirs romains et du goût oriental qui avait pénétré en Occident.

C'est donc, je le crois, en Occident que s'est formé le style ogival.

Quand on voit de près l'architecture du XIII. et de la fin du XII®. siècle, on reconnaît que l'ogive a été commandée par les besoins et l'expérience.

La poussée des voûtes à plein-cintre sur les murs latéraux et la solidité qu'il fallait leur donner pour qu'ils puissent résister à cette poussée excluait l'ouverture des larges fenêtres; les églises étaient sombres et lourdes.

On trouva dans l'arc brisé ou ogive un moyen de diminuer cette poussée, et ce fut le principal motif de l'abandon de l'arc pleincintre pour l'arc aigu. En même temps, on dirigea le poids de la poussée sur des parties garnies de contreforts et soutenues par des arcs-boutants, alors on put alléger les murs et percer de larges ouvertures entre les piles sur lesquelles portait le poids des voûtes.

Du reste on aurait grand tort de confondre l'ogive avec le style ogival. La question de l'origine de l'ogive, si on l'isolait des autres caractères du système architectonique qui prévalut en même temps qu'elle, serait une question oiseuse; et eût-on résolu la question de l'invention de l'arc ogive, on n'en serait pas moins incertain sur l'origine du style ogival.

J'ai établi il y a long-temps que les premiers essais ont été faits d'abord dans les contrées qui avaient peu de monuments romains, et particulièrement dans l'Ille-de-France, la Normandie et l'Angleterre. Nous verrons bientôt la preuve de ce fait dans le développement précoce du style ogival dans les mêmes contrées.

Le style ogival a-t-il prévalu en même temps dans toutes les provinces de France?

Non, des églises romanes ont été bâties dans certaines contrées, lorsque l'architecture ogivale régnait déjà sans partage dans d'autres, et l'architecture à plein-cintre n'a pas été partout abandonnée au commencement du XIII". siècle, ainsi le Midi et plusieurs autres contrées de la France ont conservé fort long-temps, et quelquefois jusqu'au XIV. siècle, le style roman de transition; les innovations ont été tardives dans un pays, rapides dans un autre, et l'on aurait tort de vouloir toujours régler les progrès variables de l'art sur la marche uniforme du temps.

En résumé, l'ogive a été usitée dès la première moitié du XII. siècle dans la France occidentale; il est impossible de faire remonter

moins loin quelques parties de l'église de Chartres et plusieurs autres édifices dans lesquels l'ogive domine.

Il n'en est pas moins vrai que l'architecture romane a régné longtemps encore concurremment avec ce nouveau style et que, même dans les contrées où ce dernier a prédominé, l'arc en tiers-point ne triompha complètement du cintre qu'à la fin du XII. siècle. Il faut donc assigner comme terme moyen à l'architecture de transition la période comprise entre le XI. siècle et le XIII., dans le centre, nord et le nord-ouest de la France.

le

Sur les bords du Rhin, dans la Lorraine, le Lyonnais, le midi de la France, et dans d'autres contrées, LE ROMAN DE TRANSITION A PERSISTÉ JUSQU'A LA FIN DU XIII. siècle.

« PreviousContinue »