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et le 20 mars nous attendions encore dans les cours de la Bibliothèque royale, lorsqu'on nous annonça le départ de Sa Majesté! Huit jours avant le retour de ce prince, ces mêmes volontaires s'apprêtaient à marcher audevant de lui, et tous étaient armés; des cartouches leur avaient été secrètement distribuées; et les mêmes dispositions étaient faites parmi les royalistes de plusieurs arrondissements. On pouvait d'autant plus compter sur eux qu'ils étaient convaincus que ces premières démonstrations eussent entraîné une grande partie de la garde nationale, dont tous faisaient partie, que d'ailleurs il n'y avait plus dans la capitale d'autre force que celle-là, d'autre pouvoir que la commission de gouvernement; et que le président de cette commission, Fouché, après avoir successivement frappé aux portes de touts les partis, semblait s'être définitivement arrêté à celui du roi, par la raison sans doute qu'ainsi que son confrère Talleyrand, il y voyait plus de chances de succès, et que d'un autre côté Wellington avait déclaré que le duc d'Orléans, pour être près de la légitimité, ne serait qu'un usurpateur de bonne maison. La cause de la révolution n'était d'ailleurs plus fondée que sur les haines et les terreurs de tribuns impuissants, d'orateurs dont il était possible en quelques minutes de fermer les portes et de prendre les clefs comme avait fait autrefois Cromwell. Telle était la situation de Paris pendant

que le roi attendait paisiblement à Arnouville, retenu par les intrigues de Fouché et de Talleyrand, qui voulaient, comme l'année précédente, le faire capituler, et, comme l'avait dit Wellington, l'entourer de personnes véritablement intéressées au main

tien de la charte. Pour tout cela il fallait du temps; Fouché n'avait demandé que trois jours; mais les choses n'allaient pas toujours à son gré, ni aussi vite qu'il l'eût voulu. Et les hommes tels que les voulaient le généralissime n'étaient pas faciles à trouver. D'ailleurs l'activité du duc d'Otrante se portait sur tant d'objets à la fois! Pendant plus d'une semaine il y eut des conférences tous les jours à Suresne, à Arnouville et enfin à SaintCloud, au quartier général anglais,où vinrent successivement lord Stewart, Pozzo di Borgo et le prince de Bénévent. Fouché, n'ayant pu s'y trouver, se fit représenter par un émissaire que Talleyrand chargea hautement de dire à son maître qu'il avait vu en conférence les ambassadeurs d'Angleterre, de Russie et le ministre des affaires étrangères du roi de France... C'était évidemment pour en imposer à tous les partis que Talleyrand parlait ainsi. Le duc d'Otrante le comprit sans peine, et il remplit très-habilement les vues de son confrère, qui, tout persuadé qu'il fût de sa propre supériorité, ne douta pas que,dans des circonstances aussi difficiles, il l'eût réellement surpassé, ainsi qu'il le reconnut dans un moment d'effusion par ces flatteuseset très-significatives paroles. Je vous salue mon maître.

Enfin, après beaucoup de discussions, les ministres de l'étranger et de la révolution réunis tombèrent d'accord sur le point le plus important et le plus difficile, le choix d'un ministre de la police; ce fut le duc d'Otrante, le régicide Fouché qui réunit tous les suffrages, et le duc de Wellington, le généralissime de la coalisation des rois, se chargea de le conduire lui-même au château d'Arnouville dans sa voiture, et de le présenter au frère de Louis XVI!

Mais le jour où les ennemis de la France, réunis au parti de la révolution, tombaient d'accord sur un pareil choix, beaucoup de royalistes, surtout ceux qui s'étaient formés en volontaires royaux avant le 20 mars, se rendaient aux mêmes lieux, les uns avec des armes, les autres avec l'es poir d'en trouver, tous avec le désir le plus vif de ramener le monarque dans sa capitale. Aux cris de Vive le roi qu'ils faisaient retentir dans les cours du château où ils entrèrent en foule, Louis XVIII parut s'être ému, et l'on crut qu'il allait partir pour se rendre à Paris avec une escorte aussi flatteuse, aussi touchante. Plusieurs officiers, mettant l'épée à la main, lui montrèrent radieux le chemin de sa capitale. Il ne s'y refusa pas d'abord, et ce fut sans doute pour prendre conseil qu'il quitta ces braves serviteurs. Ils espéraient encore qu'il se rendrait à leurs vœux ; mais ils n'y comptèrent plus quand ils virent M. Pasquier, venu de Paris, entrer dans le château et y rester longtemps en conférence avec Sa Majesté. On ne douta pas alors que l'ancien préfet de police ne fût venu annoncer la nomination de son chef le duc d'Otrante, et faire connaître à Louis XVIII qu'avant qu'il se rendît dans sa capitale, il fallait que le nouveau ministre y préparât son entrée et surtout qu'il disposât toutes choses pour sa sûreté, attendu que le parti de la révolution, les fédérés, enfin ses ennemis de toutes les couleurs, étaient encore armés et très menaçants. Ce fut avec ce vain épouvantail que le maître de Talleyrand réussit à tenir éloigné de sa capitale pendant une semaine le roi qui brûlait de s'y rendre et que tout Paris attendait, que tout Paris eût salué de ses acclamations!

Les circonstances de ce second avénement des Bourbons, qualifié si improprement de restauration monarchique, sont aussi remarquables que celles du premier; les causes, les résultats ont été les mêmes, et nous ne fûmes pas moins bien placé pour les voir, les observer; nous pouvons donc en parler avec plus de vérité et d'exactitude qu'aucun des historiens qui nous ont précédé. Comme Talleyrand, principal objet de cet ouvrage, y eut encore une grande part, ce sont des faits qui lui appartiennent également.

Depuis les derniers jours de juin, où Paris était, non pas assiégé, ni même bloqué, mais seulement environné d'une armée anglo-prussienne, qui osait à peine en approcher, beaucoup d'agitation et d'inquiétude s'y manifestait sans qu'on en sût positivement la cause. Ce n'est que bien plus tard et après un long examen qu'on a pu savoir que ce tumulte n'était que le résultat des intrigues, des sourdes menées de Fouché et Talleyrand, qui, d'accord avec les chefs des armees étrangères, voulaient un jour effrayer le parti révolutionnaire et les chambres par des rapports sur les haines, les fureurs du royalisme, et le lendemain épouvanter les royalistes par d'autres mensonges sur l'audace et la force du parti révolutionnaire! C'est avec ces fantasmagoriques apparitions que le président de la commission de gouvernement parvint à dominer la capitale, et en tint si longtemps éloigué le trop crédule Louis XVIII, qui cependant etait aussi un homme rusé, et non moins dissimulé peut-être que ceux dont il allait faire ses ministres! Personne ne fut mieux que nous à portée d'apprecier la force et les efforts des partis a

à cette époque. Comme Énée, nous pouvous dire de cet autre siége d'Ilion miserrima vidi, et rien n'empêche aujourd'hui que nous disions toute la vérité sur de misérables faits où figurèrent des hommes non moins fourbes, non moins perfides qu'Ulysse et Sinon. Pour parler d'abord des révolutionnaires, je puis affirmer que, surtout après le départ des débris de Waterloo, qui se retirèrent derrière la Loire, ce parti ne consistait guère qu'en quelques agents de police sous la main de Fouché, et quelques fédérés des faubourgs qu'il faisait également mouvoir à son gré, mais dont il se serait bien gardé de lâcher à la fois la meute tout entière. Quant aux royalistes, je puis en parler plus exactement encore, puisque, à la fatale époque du 20 mars, ils avaient bien voulu me reconnaître pour un de leurs chefs, et que notre éphémère organisation s'était secrètement maintenue pendant l'interrègne; que, tous connus les uns des autres, nous avions eu de fré quentes réunions, même des mots d'ordre, des instructions que les embarras de cette époque avaient singulièrement favorisés. Comme, pour la plupart, nous appartenions à la garde nationale, nos armes étaient prêtes, et je ne doutais pas que dans l'occasion tout le monde se fût conduit comme nous l'aurions fait trois mois auparavant, si nous avions été commandés. Mais, ainsi que l'a dit un orateur à la tribune des députés, - ce n'est pas les bras qui ont manqué • au vingt mars!» Dès que nous apprimes l'arrivée du roi à Arnouville, nous ne doutâmes point qu'il ne voulût entrer aussitôt dans sa capitale, et il fut décidé par les volontaires dont j'avais le commandement, que nous nous réunirions

dès le lendemain, et que nous irions au-devant de Sa Majesté, ce qui nous paraissait très-facile, très-simple, et ce qui aurait certainement eu lieu si le même jour on ne nous eût pas fait dire que cette démarche ne serait point approuvée par le roi, et qu'il fallait nous en abstenir. Comme cet avis nous vint des compagnies de la rive gauche, plus particulièrement placées sous l'influence de Fouché, j'ai toujours pensé que ce fut un des moyens qu'il employa pour retarder le retour de S. M. Quoi qu'il en soit, il fallut renoncer à une entreprise qui, faite partiellement, ne pouvait réussir, et qui, par une réunion bien concertée devait avoir les plus grands résultats. Pour être bien persuadé que ce n'était pas une chimère ni une vaine illusion, il faut se rappeler qu'il n'y avait plus dans Paris d'autre pouvoir que celui de la commissiou de gouvernement que présidait Fouché, d'autres troupes que la garde nationale, dont la grande majorité attendait le roi, et qu'un mouvement des volontaires royaux, qui appartenaient à toutes les légions, eût certainement entraînée! Aucun étranger n'avait pénétré dans Paris, et les appartements des Tuileries étaient prêts; sur tout son chemin il n'eût reçu que des applaudissements; Fouché lui-même, voyant que dans son propre intérêt il n'avait rien de mieux à faire, serait venu au-devant de lui, et Talleyrand n'eût pas manqué de le suivre.

J'étais livré à ces tristes réflexions avec quelques amis, lorsque, dans la soirée du 5, il me vint un message du roi avec le manuscrit de sa proclamation de Cambrai et l'ordre de l'imprimer et faire afficher sur-lechamp. Comme, depuis la Déclaration du 31 mars 1814, rien ne m'avait

été ordonné ni demandé pour le service de Sa Majesté, je fus surpris, mais très-flatté, qu'on voulût bien se souvenir de moi dans de pareilles circonstances. Dès le lendemain de très-bonne heure, la proclamation royale fut affichée sur tous les murs de la capitale, et principalement dans les faubourgs où se trouvaient les fédérés, ainsi que je l'avais recommandé. Tout le monde la lut avec le plus grand empressement, et des groupes nombreux se formèrent pour celà au coin des rues, même devant ma porte au centre de Paris, sans que personne proférât aucune injure ni une menace contre le roi Louis XVIII au nom duquel tout cela se faisait, ni contre les afficheurs qui poursuivaient impassibles leur importante opération,ni même contre l'imprimeur qui n'avait pas craint d'y apposer son nom,son adresse et sa qualité d'imprimeur du roi, qu'il avait perdue de puis trois mois, mais qu'il osa reprendré dans une aussi belle occasion! Pendant ce temps, j'étais resté fort paisible chez moi, où quelques volontaires du mois de mars venaient à chaque instant et me proposaient d'aller à Arnouville. N'ayant reçu aucun autre avis que celui de la veille, je ne savais que leur répondre, lorsqu'un ami vint me faire compli. ment sur l'affiche royale, et me prévint qu'il avait vu des agents de police l'arracher, qu'il pensait que c'était par ordre, et que je devrais en porter mes plaintes au préfet de police, proposant de m'y accompagner. Comme, c'était un magistrat honorable (30) et que sa présence donnait à ma démarche un caractère d'authenticité, je n'hésitai point, et nous nous

(30) M. Roussiale, alors substitut du procureur du roi près le tribunal de la Seine,

rendimes ensemble à la préfecture de police, alors occupée par M. Cour tin. Les huissiers qui étaient à sa porte m'ayant demandé de quelle part je voulais lui parler, je leur répondis hautement, et de manière qu'il pût m'entendre lui-même, que c'était de la part du roi! Comme depuis plusieurs jours on annonçait que Louis XVIII était aux portes de Paris, et qu'on disait à chaque instant qu'il allait y entrer avec des projets de vengeance, ces huissiers parurent effrayés, et ils entrèrent aussitôt dans le cabinet du préfet, qui sortit immé diatement lui-même avec un air également très-effrayé, et me demanda l'objet de ma visite: « Je viens me

a

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plaindre, lui dis-je, que vos gens ⚫ se permettent d'enlever une affiche « que j'ai fait poser ce matin sur les murs de Paris, par ordre du roi... – J'ai bien connaissance de cette affiche, me dit-il, mais je n'ai donné . aucun ordre de l'enlever.-Eh bien, monsieur, répliquai-je, si vous n'a«vez pas donné d'ordre pour qu'on « l'enlève, ayez la bonté d'en donner « pour qu'on la respecte... Je rendrai compte au roi de ce que vous aurez

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fait...Et il promit de donner ces ordres aussitôt. Sur quoi, M. Roussiale lui ayant adressé quelques interpellations un peu vives, je mis fin à la conversation'en lui faisant observer que, monsieur le préfet promettant de donner immédiatement des ordres, nous n'avions plus rien à dire. Le préfet réitéra sa promesse, et nous nous retirâmes. M. Roussiale m'ayant alors dit qu'il conviendrait de faire une pareille démarche auprès du com mandant de la garde nationale, afin qu'il donnât aussi des ordres pour que la proclamation du roi fût respectée, je m'y refusai, en faisant observer à mon brave ami que nous

pourrions bien n'avoir pas aussi bon marché du maréchal Masséna que du préfet Courtin. Il trouva que mon observation était juste, et nous revînà mon domicile, où nous vîmes encore plusieurs volontaires du mois de mars qui, malgré les avis contraires, voulaient aller ce jour-là même au-devant du roi, et me pressèrent vivement de les accompagner. Je ne pus résister à leurs sollicitations, et malgré les prières, les larmes de ma famille, je partis avec eux pour Arnouville. Nous trouvâmes sur le chemin beaucoup de royalistes qui, comme nous, allaient au-devant du roi, et ne doutaient pas que S. M. ne revînt avec eux. Sans les dirimantes intrigues de Fouché et de Talleyrand, je crois que nous y eussions trouvé la moitié de Paris! A notre entrée dans le village, nous fûmes témoins d'une scène fâcheuse, mais qui ne nous étonna pas. Les gardes du corps indignés avaient arraché les épaulettes d'un de leurs chefs qui, après avoir été comblé des bienfaits du roi, s'était rangé sous les drapeaux de l'usurpation, dès qu'il l'avait vu triomphante, et venait insulter en quelque façon à la fidélité de ses camarades. C'était, hélas ! l'histoire de beaucoup de gens dont on n'arrachait pas les épaulettes, et qu'on allait, au contraire, une seconde fois combler de bienfaits! Ce petit événement causa un grand effroi dans le château, où cependant personne ne devait redouter un pareil châtiment; mais on sait que dans cette maison l'on a trop souvent eu peur du courage des autres, même de celui des meilleurs amis! Sans nous arrêter à cet incident,nous nous précipitâmes en foule dans les cours où nous ne vîmes d'abord que des visages sombres et quelques rares amis qui osaient à peine nous

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reconnaître, qui nous félicitaient d'avoir échappé aux fureurs des fédérés. Nos vivat, nos cris de joie purent à peine les dissuader.... Cependant le roi, qui jusque-là était resté dans le fond de son appartement, parut enfin nous avoir entendus; nous le vîmes paraître et venir à nous jusque sur la pelouse de la première cour, voulant être, nous dit-il gracieusement, au milieu de ses vrais amis! Il serait difficile d'exprimer ce que furent alors les cris, les transports qui éclatèrent dans tous les groupes de ces vrais amis qui pressèrent, supplièrent le monarque de partir à l'instant pour Paris, où tout le monde l'attendait, où tout était prêt pour le recevoir. Cette scène fut véritablement touchante; elle dura près d'une heure, et Louis XVIII en parut très ému. Sans consentir précisément à un départ immédiat, il ne s'y refusa pas formellement, et s'éloigna en nous laissant croire qu'il allait s'y préparer. Quelques-uns le pensèrent; pour moi, je le crus d'autant moins, qu'au même instant je vis entrer dans le château un des hommes destinés à faire partie du ministère de conciliation et d'oubli qui venait d'être définitivement arrêté avec toutes les garanties exigées par la révolution, au quartier général anglais, sur les indications de Fouché, de Talleyrand, qui devaient eux-mêmes en être les chefs! On sut bientôt que ce grand œuvre de réformation serait présenté au roi le lendemain, et que ce prince ne devait pas s'éloigner d'Arnouville, qu'il devait surtout bien se garder d'aller à Paris,où sa proclamation avait été mise en pièces et l'imprimeur obligé de prendre la fuite! Il y eut des gens de la cour qui, tout consternés, vinrent me raconter ce fait à moi-même, dé

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