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l'humanité. Enfin, la poésie n'est pas tout à fait oubliée, et nous avons eu à applaudir d'heureux et faciles essais.

Ainsi l'Académie de Clermont s'efforce de conserver dans notre Auvergne la tradition de l'étude et de la culture intellectuelle. Nous ne pouvons prétendre à ajouter des noms à la glorieuse liste des hommes célèbres, magistrats, philosophes, écrivains, que cette province a donnés à la France, mais nous nous faisons un devoir de les honorer. C'est afin de témoigner notre culte pour le plus éminent de tous, que nous avons fixé cette séance publique au jour anniversaire de la naissance de Pascal.

CONCILE DE CLERMONT,

EN 1095,

Par M. le comte MARTHA-BEKER,

Vice-Président de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Clermont-Ferrand (1).

Clermont est le berceau des Croisades. C'est dans son enceinte que des hommes, animés d'une foi profonde et naïve, ont décidé cet immense mouvement qui a poussé vers l'Orient toute la chrétienté latine. L'humanité n'avait jamais cédé à un entraînement aussi spontané, aussi général, et les contemporains eux-mêmes furent frappés d'étonnement à la vue de ce pieux enthousiasme, qui soudain s'empara d'un peuple, et se communiqua par un frémissement instantané aux nations les plus lointaines de l'Europe.

Il est dans cet événement extraordinaire, qui eut de si vastes conséquences pour l'Occident, une circonstance bien digne de notre attention. Depuis un siècle, la Papauté tentait des efforts inutiles pour

(1) Lu dans la séance publique annuelle de l'Académie, le 18 juin 1854. Juin 1854. 17

provoquer la délivrance des Lieux-Saints. Dès l'an 1,000, alors que les esprits étaient encore sous l'appréhension de la prochaine fin du monde, un pape né en Auvergne, Gerbert, devenu Sylvestre II, avait dénoncé aux chrétiens les profanations du Saint-Sépulcre. Grégoire VII, le plus puissant des évêques de Rome, avait essayé de reprendre la tentative de Gerbert, mais sa voix s'était perdue au milieu du bruit de la fameuse querelle des investitures, son courage avait été impuissant pour dominer l'ambition des princes et l'indifférence des peuples. Victor III ne fut pas plus heureux que ses prédécesseurs, et les prédications d'Urbain II lui-même demeurèrent infructueuses en Italie et en France, jusqu'au jour où il vint raconter aux Arvernes les misères de Jérusalem, et implorer leur secours pour une mission divine.

Livrée aux passions brutales et à la corruption, l'Europe était restée sourde à tant d'appels faits à sa piété; elle n'était point, ainsi qu'on pourrait le croire, sous l'empire de cette foi vive et pure qui prédispose et qui porte aux grandes actions. Bannie de presque toute la chrétienté, la foi s'était réfugiée au centre de la France, vers les montagnes de l'Auvergne, comme autrefois, au delà des Pyrénées, la croix et l'indépendance nationale avaient trouvé un asile dans les rochers des Asturies, après l'invasion des Arabes en Espagne. Cette situation explique le succès inespéré que la cause des Croisades obtint au concile de Cler

mont, et c'est ce qui fit dire au patricien de Venise, Torsellus, que la semence de la parole du Seigneur était tombée sur une bonne terre. Toutes les chroniques, toutes les histoires attestent la barbarie, l'ignorance, la démoralisation et les calamités du xe siècle, appelé à juste titre le siècle de fer, et le x1o ne manifestait encore que de légers symptômes de rénovation, de faibles progrès vers un état meilleur. « Une épaisse » forêt de crimes, dit Guillaume de Malmersbury, a » envahi toute la terre, et les noms les plus puis»sants ont été appelés à pénitence. >> Saint Bernard, dont la parole véhémente accuse avec tant d'éloquence les vices de son époque, venait à peine de naître lors du concile de Clermont, et n'opéra sa grande réforme que cinquante ans plus tard.

La Papauté veillait seule au milieu de cette anarchie; seule, elle luttait contre tant d'éléments de désorganisation, excommuniant les princes adultères ou homicides, imposant la Trève de Dieu pour mettre un frein à l'acharnement des guerres privées qui désolaient le monde, évoquant en tous lieux les préceptes de charité du christianisme. Voici le tableau que trace le moine Fulcher de Chartres, parlant d'Urbain II: « Mais voyant la foi s'abîmer de fond > en comble par les efforts de tous, tant des clercs » que du peuple, les princes armés les uns contre » les autres, les guerres et les dévastations continues, beaucoup de chrétiens captifs, les églises profa

»> nées, les monastères et les villages livrés aux >> flammes, nul mortel en sécurité, toutes les choses >> divines et humaines tournées en dérision; informé >> d'autre part des progrès des Turcs et de l'oppres»sion déplorable des fidèles en Asie, Urbain, ému » de piété et de compassion, touché par la grâce et >> par l'amour de Dieu, passe les Alpes, descend dans » les Gaules et arrive dans la ville des Arvernes. >> Ce triste récit initie aux angoisses que le sort de la chrétienté, tant en Occident qu'en Orient, fit naître dans le cœur du Souverain Pontife, qui, en se rendant à Clermont, semble obéir à une révélation du ciel.

Les esprits étaient dans l'attente de quelque grand événement, pressentiment mystérieux, toutes les fois que l'humanité est aux prises avec de vives souffrances. En 1095, une horrible famine décimait les populations, et des prodiges nombreux semaient l'épouvante. Les chroniques se plaisent à mentionner une pluie d'étoiles qui, au printemps de cette année, s'étaient détachées du ciel et avaient traversé les airs plusieurs nuits durant. Chaque soir, montait au haut d'une tour le vieil évêque de Lizieux, Giselebert, médecin, physicien, versé dans les sciences occultes, et habile, dit le moine Orderic de Vital, à tirer des horoscopes de la marche des astres qu'il étudiait avec soin. Il suit d'un œil inquiet dans le firmament ce phénomène étrange, et appelant le serviteur qui veillait auprès de lui: « Galther, lui dit-il, en lui montrant

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