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en dessous de pointes fragiles, et dont la jolie nuance contraste avec le vert velouté des mousses.

Qu'on se figure une belle soirée d'automne, quand le soleil, sur son déclin, lance obliquement de longs rayons de lumière qui éclairent le sol des bois et illuminent les voûtes de feuillage; qu'on jette les yeux sur ce riant tableau et sur ce nouveau monde que les pluies et les dernières chaleurs viennent de développer, on aura une idée de ces scènes riantes que la nature veut encore nous offrir, avant de cacher la terre sous le triste voile des frimas.

Le mystère, qui pour nous a tant de charmes, est peut-être la cause secrète qui nous attire ainsi dans les forêts sauvages, dans ces labyrinthes éclairés seulement d'une lumière mourante, qui nous laisse deviner, au lieu de nous montrer les objets.

Heureuses et paisibles retraites, inaccessibles à l'ambition, ce fléau du monde. Les orages n'existent plus à l'automne de l'année, de même que ceux des passions ont cessé à l'automne de la vie. Les trônes qui s'écroulent, les révolutions qui grondent, les nations qui s'égorgent, rien de ces tristes réalités n'atteint ce tranquille séjour. Un bruit confus de ces grandes misères passe dans l'air comme un profond soupir, et se perd dans l'horizon lointain.

L'équinoxe, qui marque astronomiquement le commencement de l'automne, arrive quand cette saison est en réalité commencée. Déjà le pôle nord s'est re

froidi, les masses d'air qui reposent sur des coupoles de neige se sont contractées, et de vastes courants aériens se dirigent vers les plaines du nord de notre hémisphère.

De proche en proche, le courant nous atteint, et les vents du sud commencent à souffler. Ils sont faibles d'abord, à peine si l'on voit remuer les derniers rameaux des arbres; puis le sifflement annonce la rapidité des ondes atmosphériques, qui, semblables à celles de l'Océan, se succèdent par bourrasques, et finissent par tout entraîner dans leur désolante vélocité.

Les nuits s'allongent, la fraîcheur descend du ciel, les vapeurs se condensent, et la lune nous réfléchit une vive lumière, qui éclaire le demi-deuil que prend la nature quand elle achève le cercle laborieux des saisons. Les étoiles, plus brillantes, sont semées sur un ciel noir et pur, et le silence des nuits contraste avec les bruyantes agitations de l'été.

C'est en vain que la rosée essaie encore, comme aux beaux jours de l'année, de déposer sur les plantes ses gouttes arrondies, que le soleil doit iriser; à peine descendue sur la terre, elle est saisie par le froid, et mille facettes glacées, colorées par l'aurore, s'effacent aux premiers rayons du soleil.

Le brouillard s'étend le matin sur la campagne; les plaines ressemblent à de vastes mers, au milieu desquelles les forêts s'élèvent comme des îles couverJanvier 1854. 3

tes de végétation. Des flocons de vapeur roulent sur le flanc des montagnes ou cachent leurs cimes élancées. Plus tard, on les voit flotter le long des collines, puis se dissoudre dans les airs. Quelquefois leurs globules grossis descendent et se transforment en pluie fine et persistante.

Admirable circulation de l'eau, qui est la vie de la terre elle s'élève en vapeur invisible à nos yeux, monte dans les hauteurs de l'atmosphère, où, demi-condensée, elle forme ces nuages si mobiles et si variés qui nous renvoient les vives couleurs du soir et la magnificence du soleil levant. Elle redescend sur la terre en pluie, en brouillard, en rosée, puis elle court vivifier les campagnes, et remonte encore former les nues.

La fraîche verdure des arbres n'existe plus; la couleur du feuillage est changée, et des nuances diverses s'étendent sur la lisière des forêts. Chaque arbre nous offre alors un coloris nouveau, qui le distingue et le sépare des autres. La verdure, sur son déclin, ne tarde pas à rougir et à prendre la couleur fauve des feuilles mourantes.

Le jaune le plus pur colore les feuilles du bouleau ; elles se détachent et couvrent l'herbe encore verte des prairies et des allées des bois. Les hêtres sont chargés de feuilles mortes d'un brun rouge; les cerisiers sauvages offrent toutes les teintes de l'orangé et du rouge vif, qui paraît surtout à l'extrémité de leurs

rameaux; ils luttent de couleur avec les néfliers et les sorbiers, et les dominent par la vivacité des nuances carminées répandues sur leur brillant feuillage. Le peuplier, comme le bouleau, passe du jaune pâle à cette même nuance plus intense. Le noyer noircit près du poirier sauvage, aux feuilles ternies et décolorées. Le chêne perd sa parure, tandis que le frêne, au sommet des coteaux, et l'aulne, sur le bord des ruisseaux, se dépouillent les derniers de leur vêtement d'été.

Les prairies sont vertes tant que la gelée n'est pas venue les atteindre; elles nous offrent encore les dernières fleurs mourantes du colchique d'automne et les tardives corolles de la parnassie des marais.

Les haies s'étendent en guirlandes panachées autour des prairies. La viorme a rougi, et l'érable champêtre, nuancé de jaune et de vert, annonce le passage de l'automne à l'hiver. La bourdaine n'a plus que des nuances de bistre et de pourpre, et la clématite domine tous les buissons et les couvre de ses bouquets plumeux et argentés.

Bien souvent, pensif et rêveur au milieu des forêts, j'étais subitement réveillé par le bruit d'une feuille qui se détachait de la branche et tombait à mes côtés. Je cherchais inutilement les chantres ailés que j'avais entendus jeter, du haut des arbres, leurs notes suaves et mélodieuses. Je me rappelais l'anémone du printemps, les splendeurs de l'été, et le gland mûri

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qui tombait du vieux chêne m'annonçait l'approche de l'hiver. Ce n'était plus le léger zéphir qui courait au milieu du feuillage, c'était le sifilement de l'air qui emportait les feuilles mortes et qui roulait sur la terre les herbes desséchées.

Combien de rêves et de sérieuses réflexions inspirent ces promenades solitaires, quand on songe au néant de nos puériles vanités, que le souffle de la fortune abat en un instant, comme la feuille desséchée qui vient de tomber à nos pieds; quand on pense à ces fleurs si belles qui parfumaient le printemps, à ces arbres si frais qui nous protégeaient contre les feux de l'été, et qui maintenant ne sont que des débris ou des cadavres debout, attendant la résurrection.

Combien d'âmes pures passent ainsi sur la terre inconnues comme la fleur des bois, et tombent comme la feuille emportée dans l'immensité de l'atmosphère !

Vous avez vu les derniers beaux jours de l'automne et les rayons presque décolorés du soleil qui descend

sous l'horizon. Il éclaire et fait briller les soies brillantes que l'active araignée attache en abondance à la motte des guérets que la charrue vient de soulever. De nombreuses espèces d'insectes sont rassemblées dans la couche d'air qui touche le sol échauffé. Ils sont réunis par phalanges, et s'agitent en tous sens. Ils montent, ils descendent, se suivent ou semblent s'égarer. Ils reviennent et voltigent encore sans que nous puissions deviner ni l'effet ni la cause de cette

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