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SCÈNES

DU

MONDE ANIMÉ,

Par M. H. LECOQ,

Professeur d'Histoire naturelle de la ville de Clermont-Ferrand.

LES DONS DE L'AUTOMNE.

La plus heureuse des saisons s'avance; la terre, éveillée par le printemps, animée par l'été, nous montre maintenant les dons de l'automne et répand l'abondance devant les glaces de l'hiver.

du

Quelquefois le soleil conserve encore les feux brûlants de l'été, ou bien sa lumière, tempérée par les voiles nuageux de l'atmosphère, apparaît sur la terre avec ce calme enchanteur qui annonce les douceurs repos après l'agitation et les travaux de la nature. L'atmosphère se repose; une soie blanche, plus légère que l'air, se balance avec lenteur, s'approche, s'éloigne et se perd dans les hautes régions, sans que nous soyons sensibles au souffle qui l'entraîne et la dirige. C'étaient autrefois des parcelles de fil neigeux qui se détachaient du fuseau de la Vierge et qu'elle Janvier 1854.

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daignait laisser descendre sur nous. Aujourd'hui c'est le travail caché d'une araignée imperceptible qui, mollement fixée à sa blanche nacelle, parcourt le monde au gré du vent qui règne et la conduit au port.

A cette époque de l'année, la terre abandonne ses biens à l'homme et aux animaux: Elle se dépouille pour fournir à leurs besoins et laisse le sol dénudé exposé aux rigueurs des frimas. L'automne avance ou recule selon les climats; elle commence réellement le jour où les moissons mûries tombent sous la faucille du laboureur, le jour où la verdure des champs a perdu son éclat et touche à son déclin.

Mais si déjà la campagne a perdu une partie de ses trésors, elle conserve encore au commencement de l'automne de splendides parterres et des fleurs nouvelles que la nature tenait en réserve ses derniers tableaux.

pour orner

Les prairies, d'un vert pur, ressemblent à d'immenses tapis de velours sur lesquels on voit successivement apparaître de nouveaux décors. Les centaurées y étalent leurs couronnes purpurines, la scabieuse succise offre ses capitules azurés au papillon vulcain que distinguent les taches de feu placées sur le fond noir de ses ailes. Les trèfles, aux corolles roses et blanches, fleurissent de nouveau et attirent les argynes nacrées dont la violette a nourri les chenilles; elles étalent leurs miroirs d'argent et voltigent de fleur en fleur pour en savourer l'ambroisie.

L'eupatoire borde les ruisseaux de ses tiges élancées et de ses corymbes légers et lilacés, l'aulnée montre ses grandes fleurs jaunes, et enfonce ses racines odorantes dans le sol profond où la bardane et la patience puisent la nourriture de leur ample feuillage.

Les chemins sont bordés des fleurs bleues symétriques de la chicorée sauvage qui ne s'ouvrent qu'au soleil du matin, des armoises cotonneuses, des bouquets dorés de la brillante tanaisie, et des gazons découpés de la mille-feuille. La verveine, dont le prestige a depuis longtemps disparu, y passe inaperçue, éclipsée par les fleurs apparentes de la linaire commune, par les épis des Verbascum, et par cette longue série de carduacées qui attendent les premiers jours de l'automne pour atteindre leur plus beau développement.

Les plantes se hâtent de traverser les dernières phases de leur existence. Les forêts sont remplies de nombreuses épervières dont les fleurs en épis ou en ombelles offrent les nuances les plus pures du jaune et de l'orangé. Des œillets sauvages y mélangent leurs fleurs, d'un coloris si pur, aux parasols rosés des ombellifères. Des verges d'or croissent près des grands seneçons, et les jeunes taillis sont remplis de Galeopsis aux graines oléagineuses et de touffes ondoyantes d'Aira flexuosa aux tremblantes panicules.

Les pelouses des montagnes ont aussi leurs jardins. Au milieu des tapis de graminées on voit paraître les élégantes corolles blanches de la parnassie des marais; les Sphagnum, déjà rougis par les premiers froids, se distinguent à peine des rosettes ponctuées du Drosera rotundifolia, dont les fleurs blanches et régulières sont encore épanouies. L'euphraise officinale, abondante partout, déploie tout le luxe de ses charmantes corolles, multipliant à l'infini les stries noires et les macules jaunes et violettes dont ses fleurs sont ornées. Une petite gentiane, G. campestris, se transforme en buissons de fleurs violettes; une autre, G. Pneumonanthe, entr'ouvre à peine une profonde corolle d'un bleu pur, annonce élégante des mauvais jours qui s'approchent.

De vastes terrains se teignent d'un lilas violet par les mille corolles de la bruyère. Ces plantes se réunissent pour couvrir d'immenses étendues; elles nous offrent dans leurs innombrables individus toutes les nuances du rose, du blanc, du lilas et du violet. Les campagnes, pendant leur floraison, ont un aspect tout différent, et plus tard, si la lune vient éclairer ces pelouses fleuries, nous les voyons habitées par cette belle tribu des noctuelles, papillons des nuits, dont les ailes sont ornées des dessins les plus riches et les plus variés. Leurs yeux étincelants ressemblent à des topazes, leurs trompes allongées puisent le nectar jusqu'au fond du calice, et parfois le matin les sur

prend encore endormies sur les tissus satinés qui ont servi de couche à leurs amours.

Combien de plantes, souvent insignifiantes par elles-mêmes, mais compagnes de notre enfance, ont le pouvoir de réveiller en nous de douces sensations ou d'amers souvenirs? La bruyère fleurie nous reportera toujours à ces belles journées d'automne où la liberté nous était rendue pour quelques instants; les prairies semées de pâquerettes et de primevères, les bosquets tapissés de pervenches aux corolles azurées nous rappelleront encore l'arrivée du printemps, les joies de la jeunesse et ces temps d'innocence où l'avenir est si loin.

Comme l'âme est différemment impressionnée par les objets extérieurs, et comme ils réagissent à notre insu sur nos sentiments! Le murmure d'un ruisseau qui court dans une prairie, l'ombre touffue des hêtres, le silence d'une forêt de sapins, la vue de riches moissons, ou l'aspect pastoral des troupeaux, font naître en nous des sensations entièrement différentes. Il s'établit entre le monde physique et notre âme une série de rapports réciproques et cachés que nous ne pouvons analyser, et qui souvent nous plongent dans des rêveries dont nous ne sortons qu'à regret.

Ces impressions dépendent aussi du jour souslequel nous avons aperçu le paysage: le même site, vu sous un ciel pur, avec la température attiédie du printemps, brûlé par un soleil d'été ou placé sous

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