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emplois successifs de régent de sixième, de professeur d'humanités, de sous-principal et de principal du Collège, l'abbé Vitrac trouva le temps de rédiger pendant plusieurs années, de 1775 à 1782, la Feuille hebdomadaire de Limoges, qui renferme un grand nombre d'articles de sa façon; il trouva le temps de composer les discours académiques et l'ouvrage classique dont nous avons parlé, et de se faire un nom ou du moins un certain renom dans la carrière de l'éloquence chrétienne. Il se distingua, en effet, par les sermons qu'il prononça à diverses époques, et notamment par l'Avent de 1770, qu'il prêcha avec applaudissements à la cathédrale de Limoges. Il y prêcha l'Avent une seconde fois en 1786. De tous ses sermons, il n'a publié qu'un Eloge de l'Institut des religieuses Filles de Notre-Dame, qu'il dédia à Mgr d'Argentré en 1788.

L'abbé Vitrac était un littérateur élégant plutôt qu'un chercheur et un érudit. Après la mort de l'abbé Nadaud, arrivée en 1775, il put se procurer un manuscrit du savant antiquaire, le quatrième volume de ses Mémoires, ayant pour titre : Essai sur la littérature limousine, et qui était un travail biographique et bibliographique sur les écrivains limousins, travail rempli d'érudition et fruit d'études laborieuses. L'abbé Vitrac mit à profit, en les ornant de son style, les savantes recherches de l'abbé Nadaud, et il se les appropria peu délicatement, sans en indiquer la source. C'était se faire, à bon marché, une réputation d'érudit. Dès l'année 1776 jusqu'en 1782, il publia, dans la Feuille hebdomadaire de Limoges, une série d'articles sur les écrivains par ordre alphabétique. Le premier écrivain dont il annonça les ouvrages fut Jean Adam, jésuite, né à Limoges. Il suivit les lettres de l'alphabet jusqu'à Jean De Cordes, chanoine de Limoges, célèbre par son érudition. Il suspendit alors cette publication, ayant le projet de donner son ouvrage dans son entier, au lieu de le faire paraître par articles détachés. Il avait publié, dans le Calendrier ecclésiastique de 1781, le catalogue de trois cent cinquante-un écrivains originaires de notre province. Mais les occupations de son ministère, les troubles de la Révolution et enfin son exil en Espagne l'empêchèrent de mettre son projet à exécution.

Le manuscrit de son ouvrage, que M. Auguste Du Boys se procura chez M. Bouriaud cadet, neveu et héritier de l'abbé Vitrac, se trouve aujourd'hui, avec le quatrième volume des Mémoires manuscrits de l'abbé Nadaud, entre les mains de M. Emile Du Boys, fils de M. Auguste Du Boys, à Rochefort-sur-Mer.

Les Annales de la Haute-Vienne, de 1810 à 1813, ont publié, par articles détachés, le volume manuscrit de l'abbé Vitrac sur les

écrivains limousins: quoique la nomenclature en soit incomplète, on y trouve de curieuses et savantes indications qu'on doit plutôt aux laborieuses recherches de l'abbé Nadaud qu'à l'abbé Vitrac, son copiste. En 1851, nous avions entrepris, avec M. Auguste Du Boys, de publier, en la complétant, cette série de biographies; et en 1854, nous avons donné au public un premier volume, depuis la lettre A jusqu'à la lettre G (exclusivement), sous ce titre : Biographie limousine. Mais la mort de notre regretté collègue, M. Auguste Du Boys, notre éloignement de Limoges et les occupations du ministère pastoral nous empêchèrent de donner suite à cet ouvrage.

III. - Des talents si multiples et si remarquables devaient naturellement procurer à l'abbé Vitrac l'estime et la protection des hauts personnages de la province. Aussi, dès le premier discours qu'il prononça, il acquit la faveur de M. d'Aine, intendant de la Généralité, à qui il dédia en 1777 l'éloge de Baluze. M. d'Aiue, ami des lettres, littérateur lui-même, se plut à encourager les travaux littéraires de l'abbé Vitrac, et ne contribua pas médiocrement à sa réputation par la protection ouverte dont il l'honora. Les publications de l'abbé Vitrac le firent admettre et agréger aux Académies de Montauban, La Rochelle, Clermont-Ferrand et Châlonssur-Marne, ainsi qu'à la Société d'agriculture, sciences et arts de Limoges. M. d'Aine, qui lui avait donné une grande marque d'estime en lui confiant l'instruction religieuse de sa fille unique, voulut l'emmener avec lui lorsqu'il fut appelé à l'intendance de la Touraine (1783). L'abbé Vitrac, accoutumé à vivre sans ambition, au sein de sa famille dont il était devenu le père, n'hésita pas à rejeter cette offre séduisante qui l'aurait arraché à ses chères habitudes et privé d'une liberté qu'il regardait comme son plus précieux trésor. La riche cure de Verteuil, en Angoumois, lui avait été offerte de la part de la duchesse d'Anville. Cette noble dame, qui cultivait et encourageait les belles-lettres, avait cherché à s'attacher, dans la personne de l'abbé Vitrac, un homme propre à répandre de l'intérêt et de l'agrément dans sa société, pendant le séjour qu'elle faisait chaque année dans ses terres (1). L'abbé Vitrac refusa ce poste avantageux, et borna toute son ambition à la petite cure de Mont-Jauvy, à laquelle il fut nommé au mois de janvier 1783. Cette cure, située à l'extrémité d'un faubourg de Limoges, et qui ne comprenait que

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(1) Calendrier ecclésiastique de 1806, p. 61. L'abbé LEGROS, Dictionnaire ms. des hommes illustres du Limousin, p. 400.

143 habitants, lui laissait beaucoup de loisirs pour l'étude et la prédication; et, de la maison qu'il habitait, rue MontantManigne (1), il pouvait facilement gouverner son petit troupeau. Deux ans après cette nomination, il vit s'augmenter ses revenus par son élection au prieuré-cure de La Tronchette (alias BelleSelve), paroisse de Saint-Genest, diocèse de Bourges, vacant par le décès de M. Croisier (31 décembre 1784) (2). De plus, il fut élevé à la dignité de promoteur de la métropole de Bourges dans le diocèse de Limoges (3). L'abbé Vitrac profita des loisirs que lui faisait sa position nouvelle pour achever son ouvrage sur l'Histoire littéraire du Limousin et pour se livrer à la prédication. La bibliothèque communale de Limoges possédait, il y a quelques années, plusieurs sermons manuscrits qu'il a composés à cette époque (4), et nous même avons de lui deux volumes manuscrits très bien reliés qui renferment vingt-neuf sermons pour une retraite de dix jours, prêchée dans des communautés religieuses. Ce recueil porte la date de 1792.

IV. — L'abbé Vitrac fut appelé à exercer son ministère sacerdotal auprès d'un homme dont le nom, en Limousin, a une certaine notoriété. Il confessa, à ses derniers moments, le comédienarchéologue Beaumesnil, correspondant de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, qui mourut le 27 mars 1787, et fut inhumé le lendemain dans le cimetière de Saint-Michel-de-Pistorie ou des Pénitents-Noirs. Dans son acte de décès, publié par M. Louis Guibert, il est dit que M. Pierre de La Ruette de Beauménil, correspondant de l'Académie, mourut à l'âge de soixante-neuf ans, muni du sacrement de pénitence par M. Vitrac, curé de Mont-Jovis (5).

<< La signature de J.-B. Vitrac, curé de Montjauvy, se lit pour la première fois dans les registres de cette paroisse sous la date du 1er juin 1783. Mais Vitrac signe plusieurs fois comme prêtre commis a partir de 1773.

(1) Calendrier ecclésiastique de 1788.

(2) A. LEROUX, Archives départementales de la Haute-Vienne, série D., p. 31, 94.

(3) L'abbé LEGROS, loc. cit.

(4) Emile RUBEN, Catalogue de la bibliothèque communale de Limoges, Belles-Lettres, p. 195.

(5) Bulletin de la Société archéologique, t. XXIX, p. 96. Voir sur Beaumesnil une note intéressante de M. L. Guibert, dans sa Notice sur le Bénédictin dom Col (p. 73, 76), un article de M. l'abbé Lecler (Bulletin de la Société archéologique, t. XIX, p. 27, 30) et un article de M. P. Ducourtieux (Bulletin de la Société archéologique, t. XXXI, p. 139, 140).

» En 1787 (2 janvier), il mentionne sur le registre qu'il a publié, conformément aux ordonnances royaux et mandement de l'évêque, l'édit d'Henri II contre les femmes qui cèlent leur grossesse » (1).

L'abbé Vitrac avait trois frères puînés, à l'instruction desquels il avait travaillé lui-même, et qui embrassèrent comme lui l'état ecclésiastique 1° Jean-Baptiste Vitrac cadet, né le 12 novembre 1740, qui fut nommé curé de Saint-Sylvestre, et qui rentra dans son ancienne cure après la Révolution; 2o Elie Vitrac, qui après avoir été professeur de sixième et de quatrième au Collège royal, donna sa démission en 1782, au moment de la retraite de son frère, et fut nommé curé de La Bregère, près Limoges ; 3° Léonard Vitrac, qui était vicaire de Saint-Martin-le-Vieux avant la Révolution et qui fut nommé curé de cette paroisse, en 1803, après le Concordat. L'abbé Vitrac avait de plus une sœur, nommée Léonarde, qui épousa M. Léonard Bouriaud, et dont le fils aîné, J.-B. François, mort principal du collège de Saint-Junien, à traduit en vers français quelques ouvrages classiques (2).

V. La Révolution de 1789 fit illusion à un grand nombre de membres de la noblesse et du clergé, qui saluèrent avec enthousiasme le nouvel ordre de choses. Le 16 mars 1789, l'assemblée des Trois-Etats de la sénéchaussée de Limoges eut lieu dans l'église du Collège sous la présidence du comte des Roys, grand sénéchal du Haut-Limousin. L'abbé Vitrac faisait partie de l'assemblée du clergé avec deux de ses frères, Jean-Baptiste, curé de SaintSylvestre, et Elie, curé de La Bregère (3). L'abbé Vitrac fut chargé de rédiger les cahiers de doléances du clergé. Plus tard, ses concitoyens le choisirent, avec l'abbé Martin, curé de Saint-Michel, pour être l'un des notables de la commune (4).

Mais les espérances que l'aurore de 1789 avait fait naître ne tardèrent pas à se changer en d'amères déceptions. Les EtatsGénéraux, réunis le 5 mai 1789, se transformèrent quelques mois après en assemblée constituante; le Tiers-Etat absorba la noblesse et le clergé; et l'année suivante (24 août 1790), la constitution

(1) Notes communiquées par M. Alfred Leroux.

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(2) Voir dans la Biographie limousine, p. 87, un article sur J.-B. François Bouriaud, rédigé par Auguste Du Boys. Léonarde Bouriaud mourut le 25 octobre 1812, âgée de soixante-cinq ans. (Annales de 1812.) (3) Limoges et le Limousin, Guide de l'étranger. 1865, p. 147, 151. (4) Calendrier de 1866, p. 63. Journal de la Haute-Vienne, 1805 (12 floréal an XIII).

civile du clergé établissait en France une église schismatique. Ce schisme constitutionnel et les mesures tyranniques contre les ordres religieux ouvrirent les yeux aux plus aveugles, et montrèrent clairement que l'objectif principal de la Révolution était l'abolition du catholicisme.

Des ecclésiastiques, en certain nombre, donnèrent malheureusement dans le mouvement révolutionnaire; et quelques-uns d'entre eux, après avoir embrassé le schisme, descendirent de degrés en degrés non seulement jusqu'à se laïciser en quittant l'habit ecclésiastique, mais jusqu'à faire abjuration publique de la foi chrétienne. Les plus en vue furent Léonard Gay-Vernon, curé de Compreignac, qui devint évêque constitutionnel de la HauteVienne; le P. Foucaud, prieur des dominicains de Limoges, dont le talent comme fabuliste n'a pas racheté les excès révolutionnalres; Xavier Audoin, vicaire de Saint-Maurice dans la Cité, qui devint directeur du personnel à l'Administration de la guerre. L'abbé Vitrac fut au nombre de ces prêtres fidèles qui préférèrent l'échafaud, la déportation ou l'exil à l'abjuration de leur foi.

VI. En 1791, l'abbé Vitrac prit une part active aux controverses qui eurent lieu entre quelques ecclésiastiques limousins relativement à la constitution civile du clergé. Le P. Foucaud, prieur des Jacobins, que la garde nationale de Limoges avait choisi pour aumônier, et qui célébra la messe, le 9 mai 1790, sur l'autel de la Fédération, en face de la porte Tourny, au milieu d'une foule immense, était, comme nous l'avons dit, un des chefs du mouvement. Le 9 février 1791, il débita dans l'église des Feuillants, un discours civico-theologique dans lequel, pour justifier la constitution civile du clergé, il s'appuyait sur un prétendu texte du concile de Chalcédoine, d'après lequel « il est permis à l'empereur de fixer les bornes des provinces ecclésiastiques, de leur enlever leurs privilèges, d'accorder de nouveau à d'autres villes épiscopales le titre et les honueurs de métropoles et de faire autres choses de cette nature ». Ce discours fut imprimé, et la Société des amis de la Constitution en fit distribuer deux mille exemplaires (1).

A la prière de l'abbé Vitrac, un de ses anciens collègues, l'abbé de Montbrial, chanoine de Saint-Martial et professeur de

(1) OTHON PÉCONNET, Notice biographique et littéraire sur Jean Foucaud, ap. Bulletin de la Société archéologique du Limousin, t. V, 1854, p. 37, et dans J. FOUCAUD, Poésies en patois limousin, édition philologique par Emile Ruben. Limoges, Ve Ducourtieux, 1866, in-8.

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