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Presque aussi sommaire est la description de M. de Lépine, subdélégué de l'Intendant, chargé de procéder à l'inventaire général un an plus tard :

« Plus, du côté gauche (de l'autel), avons trouvé une chapelle à laquelle on a rapporté l'ancienne décoration et devant d'autel qui étoit dans l'ancienne église, de cuivre jaune, émaillé en bleu, anciennement doré avec grand nombre de figures en relief; et au devant d'autel est Notre-Seigneur, les quatre évangélistes et les douze apôtres, enrichie de plusieurs pierres dont il manque près de la moitié..... »

Ainsi la décoration complète du maître autel était de cuivre doré, émaillé en bleu et orné de pierreries et de figures en relief. Le devant de la table de l'autel présentait Jésus-Christ (la Majestas Domini sans doute), les évangélistes et les apôtres, et à cette partie du monument ont pu appartenir le saint Mathieu du Musée du Louvre et le saint Jacques du cabinet de M. Astaix, de Limoges, statuettes en plein relief, fixées sur des panneaux cintrés, décorés d'émaux où le bleu domine et dont les dimensions correspondraient assez à cette destination ou à une autre analogue. La paroi du rétable en retraite présentait sur des plaques de cuivre doré, également rehaussées d'émaux et de pierreries, les principales scènes de la Passion de Notre-Seigneur et de la vie du fondateur de l'ordre.

VII

Mais, si riche qu'elle fût, cette ornementation ne constituait que le fond du décor. Au dessus et des deux côtés de l'autel, disposées autour du tabernacle, sept grandes châsses toutes resplendissantes des feux des pierreries et de l'éclat des émaux, se détachaient sur ce fond magnifique et donnaient à l'ensemble du monument sa physionomie particulière et son caractère original (1).

Reprenons la description de Pardoux de la Garde.

« Sur le contretable, au plus eminent lieu dudit autel, est eslevée une fort belle et grand chasse dans laquelle repose le corps de sainct Estienne, confesseur, premyer instituteur de l'ordre de Grandmont. Ladite chasse est de cuivre dore esmaille, enrichie de perles,

(1) Supra idem altare, septem prægrandes capsæ, ex cupro deaurato gemmisque ornato confectæ sunt. (Annales, p. 93) Voir aussi l'Histoire de Saint-Martial, du P. Bonaventure de Saint-Amable, t. II, p. 19.

T. XXXVI.

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de cristal et aultre petite pierrerie, ou est par personnaiges, le pourtraict en bosse de la vie du dict sainct, entièrement... »

Dans l'inventaire des reliques de 1666 (1), il est dit que la châsse de saint Etienne, «< en cuivre doré émaillé par le dehors et de bois par le dedans, ornée de toutes parts de grand nombre de petites figures en bosse, garnie de pierreries et curieusement travaillée »>, est placée « vers le milieu de l'autel, par dessus le tabernacle ».

Levesque atteste l'art avec lequel avait été exécutée cette fierte, la plus grande, la plus riche et la plus belle de toutes les châsses de Grandmont elle avait trois pieds trois pouces de long (un tiers environ en plus que la châsse conservée à Ambazac), un pied de large et deux pieds neuf pouces de haut. Il ajoute qu'elle était placée entre les autres châsses, lesquelles se trouvaient disposées plus bas, de chaque côté du tabernacle (2). A son tour, le délégué de l'Intendant constate qu'elle est « extrêmement enrichie de pierres précieuses, dont il en manque pourtant quelques unes » (3).

M. Sicelier, supérieur du grand séminaire de Limoges, fut chargé par Mer d'Argentré, au mois de mai 1790, de procéder à l'inventaire des reliques et reliquaires enlevés de l'église et de la sacristie de Grandmont et transportés, sans grandes précautions, au palais épiscopal. On adjoignit comme secrétaire à cet ecclésiastique le studieux abbé Legros, alors vicaire de la collégiale de Saint-Martial. Voici en quels termes s'exprime le procès-verbal dressé par ces ecclésiastiques au sujet de la châsse dont nous venons de parler :

<«< Plus, nous avons trouvé, aussi sur le plancher, devant la croisée de la dite chambre, une grande châsse en bois, en dos d'âne, couverte de cuivre doré et émaillé, extrêmement ornée et enrichie de pierres précieuses, de cristaux, etc., dont il manque pourtant plusieurs. >>

(1) Publié par M. Aug. Du Boys dans le Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, t. VI, p. 5, et reproduit par l'abbé Texier dans son Dictionnaire d'orfévrerie, article Grandmont.

(2) Quas inter multum supereminet prima capsa, singulari artificio concinnata, in qua requiescit corpus Sancti Stephani, fundatoris. Hæc media est inter capsas, non secus, ac inferius tabernaculum inter alias. Le P. de Saint-Amable dit « Il y a... sur le grand autel, le corps de saint » Etienne... au milieu de saint Machaire, martir de la Légion Thébéenne, » qui est du côté de l'Epitre et un des corps des onze mille vierges ap>> portés là de Cologne. Les autres quatre des mêmes vierges, sont décem»ment rangés sur l'autel dans leurs châsses. » (Hist. de Saint Martial, t. II, p. 19).

(3) Inventaire de M. de Lépine et procès-verbal de distribution des reliques.

Détail à noter ni cet inventaire ni le procès-verbal de distribution des reliques, dressé au mois d'août suivant, ne font mention des figures qui décoraient cette châsse et que signalent, après Pardoux de La Garde, les auteurs de l'inventaire de 1666.

Cette magnifique fierte fut donnée à l'église de Razès; mais le curé en prit-il livraison et fut-elle réellement transportée dans la localité à laquelle elle avait été destinée? On n'a pu l'établir. De ce transport, de sa réception, de sa présence, durant quelques mois au moins, dans l'église de Razès, nous n'avons, pour notre part, réussi à découvrir aucune trace. Les curés qui ont successivement desservi cette paroisse depuis vingt ans n'en ont jamais entendu parler et n'ont pu recueillir aucune tradition, noter aucun souvenir ayant trait à ce morceau capital du trésor de Grandmont.

Un article des plus acerbes, publié dans le numéro des Nouvelles ecclésiastiques du 14 août 1789, accusa Mgr d'Argentré d'avoir emporté à Paris, en se rendant aux Etats Généraux, une châsse provenant de Grandmont, « enrichie de pierreries et valant 40,000 livres ». Cette accusation fut reproduite un peu plus tard par le rédacteur des Annales patriotiques et littéraires (5 décembre 1790); celui-ci affirmait que la châsse en question était en argent et que c'était celle-là même où reposaient les ossements de saint Etienne de Muret. Mais il n'existait aucune grande châsse d'argent dans le trésor de l'abbaye au moment de la suppression de l'ordre, et on constate la présence de la châsse de Saint Etienne dans une salle du palais épiscopal de Limoges aux mois de mai et d'août 1790, c'est-à-dire un an après l'apparition de l'article des Nouvelles (1).

Le curé de Saint-Sylvestre répondit par un démenti formel à l'article des Annales. On sait que le savant abbé Texier, peu favorable cependant à Mer d'Argentré, a réduit à néant l'accusation portée contre ce prélat, accusation qui du reste ne supporte pas un instant l'examen.

Mais le doute n'en subsiste pas moins sur la question que nous posions plus haut. La châsse de Saint Etienne a-t-elle été réellement transportée à Razès, où elle aurait été détruite au cours de la période révolutionnaire? A cette interrogation, personne jusqu'ici n'a répondu. Le procès-verbal de distribution des reliques est le dernier document qui mentionne l'existence de cette fierte; à partir

(1) Voir notre livre sur la Destruction de l'ordre et de l'abbaye de Grandmont, pages 613 à 619.

du 6 août 1790, elle est perdue pour nous et nul ne connaît le sort de la pièce la plus importante du trésor de Grandmont.

VIII

« A costé dextre (1), continue l'auteur des Antiquités de Grandmont, sur ledit autel, est une aultre chasse de cuyvre doré esmailhé, bien ouvrée, toute garnye de petite pierrerie, dans laquelle repose le corps de Saint Machaire... (2) Par dessoubs sont aultres deux chasses, ou reposent le corps de deux vierges martires, du nombre de celles que souffrirent pour la foy de Jesus Christ, a Coloigne Agrippine, sur le Rinh. »

Levesque à son tour ne fournit aucune note intéressante sur ces trois châsses; il indique toutefois que les reliques de sainte Panafrète, compagne de sainte Ursule, renfermées dans l'une d'elles, proviennent, non des libéralités faites aux quatre envoyés de 1181, mais d'un don de Thibaut de Champagne, en 1269.

L'Inventaire de 1666, parlant de la châsse de Saint Macaire, énonce qu'elle est « de mêmes matière et figure » que celle de Saint Etienne, mais « plus petite, enrichie de quantité de grosses pierres et sans personnages ». Retenons ce détail qui est assez caractéristique et dont il est facile de constater l'exactitude, car cette châsse n'est autre que celle conservée aujourd'hui dans l'église d'Ambazac. Ce coffret, au procès-verbal de distribution des reliques, est ainsi décrit : « une châsse de moyenne grandeur, en bois et en dos d'âne, couverte de lames de cuivre doré et émaillé, avec quelques figures et autres ornemens, des cristaux et autres pierreries, dont plusieurs manquent. » A l'inventaire qui précède la distribution, il est dit que la pièce a «< environ deux pieds de long (ce qui correspond, à peu de chose près, à la longueur de la fierte d'Ambazac: 0,73), et qu'elle ferme par une porte placée à l'une des extrémités.

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L'énonciation « avec quelques figures» est justifiée par les anges

(1) Juxta primam, in cornu epistolæ (Annales).

(2) Cette chasse avait été d'abord, parait-il, destinée à l'église de Compreignac; mais le curé Gay Vernon le futur évêque constitutionnel de la Haute-Vienne la trouva trop rouillée et refusa de faire la dépense du nettoyage dont elle avait besoin.

émaillés à tête de cuivre rapportée qu'on y observe; mais ces anges ne jouent qu'un rôle accessoire dans la décoration de la pièce, sur laquelle il n'existe, comme l'indique l'inventaire de 1666, aucune statuette, aucun personnage apparent, aucune représentation de scène pieuse.

La troisième et la quatrième châsses étaient placées au dessous de celle de Saint Macaire. L'une, renfermant le corps de Sainte Panafrète et d'autres reliques, était la plus rapprochée du tabernacle; elle en avait été autrefois la plus éloignée; elle représentait << au devant, l'image de la Vierge et de trois autres saintes avec des couronnes à leurs mains, et par dessus un Sauveur et six autres figures aux côtés; par derrière », au haut, « neuf vierges tenant chacune un lis à la main. » Au bas « était dépeint leur martyre ».

Cet intéressant morceau avait été laissé, avec la châsse dont nous parlerons en dernier lieu, dans la petite chapelle réservée pour le service du culte à Grandmont. Un de ces deux coffrets fut transféré, le 15 août 1791, dans l'église paroissiale de Saint Sylvestre. Le procès-verbal de translation décrit ces deux châsses « de cuivre jaune émaillé, ornées tout autour de figures debout en gravure, dont les têtes seules sont saillantes, et, par le haut, sont aux extrémités de chaque châsse deux petites boules de cuivre; au milieu d'une (sic) petite pierre plate de cristal, et de quatre oils intermédiaires de même matière, le tout enchâssé sur une bande de cuivre terminant la hauteur des châsses, dont une de ces bandes est à jour et l'autre bande est unie... Ces deux châsses, du reste, ne diffèrent en rien, étant de même grandeur dans tous les sens, savoir de la longueur de 23 pouces, de la hauteur de 18 et de la largeur de 9 et demi (1). L'autre châsse fut, à son tour, transportée peu après à SaintSylvestre et déposée dans l'église.

Ce que devinrent ces deux précieux objets, le registre des délibérations du conseil municipal de cette commune va nous l'apprendre.

Le 20 vendémiaire an III (14 octobre 1794), sur la réquisition de l'agent national, réclamant du métal pour une chaudière, le conseil décide que « tout le cuivre qui se trouve dans la cydevant eglise sera incessamment et de suite renvoyé par un expret à Limoges et par la vois de deux commissaires nommés a cet effet,

(1) Registre des baptêmes de Saint-Sylvestre; ce procès-verbal a été inséré en entier, p. 621 et suiv., dans notre ouvrage sur la Destruction de l'ordre et de l'abbaye de Grandmont.

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