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qu'il serait utile, à l'avantage de la postérité, de continuer de nos jours et même de généraliser, car ce qui est bon ailleurs doit l'être aussi pour nous et l'exemple du passé peut servir de règle au présent (1).

X. BARBIER DE MONTAULT,

Prélat de la Maison de Sa Sainteté.

(1) « Quod alibi rectius servatur et nos rectius custodimus. (S. AMBROS., De Sacramentis, lib. III, cap. 1, no 5).

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L'ÉCOLE MONASTIQUE D'ORFÉVRERIE

DE GRANDMONT

ET

L'AUTEL MAJEUR DE L'ÉGLISE ABBATIALE

Notice accompagnée des deux inventaires les plus anciens
du Trésor (1496-1515)

La ville de Limoges a été en France, au moyen-âge, le centre. principal de la fabrication de l'orfévrerie, de l'orfévrerie émaillée en particulier; mais si elle a joui du monopole de la réputation à ce point qu'on ait couramment désigné, pendant quatre ou cinq cents ans, tous les produits de cette fabrication sous le nom d'œu vres de Limoges, nous ne saurions prétendre qu'on n'ait pas exécuté ailleurs, durant cette période, des ouvrages du même genre. Sans parler de Paris et de Montpellier par exemple, où l'on compte, au XIe siècle, un grand nombre d'orfévres et d'émailleurs, d'autres localités moins importantes, dans les provinces mêmes du centre, paraissent avoir possédé, dès le siècle précédent, des ouvriers habiles dans le travail délicat des métaux et leur décoration. Il n'est pas bien sûr que les artistes à qui nous devons les pièces les plus caractéristiques du trésor de Conques sortissent des ateliers de Limoges. D'autre part, des textes fort anciens mentionnent des orfévres habitant de toutes petites villes, de simples bourgs du Limousin; c'est ainsi que nous avons trouvé, dans le cartulaire de l'abbaye d'Obazine, les noms de Gérald, de Turenne, avant 1160, et de Bernard, de Gimel, dans la seconde moitié du XIe siècle (1).

(1) Etienne, premier abbé d'Obazine († en 1159) achète certains droits à la femme de Gérald, orfévre de Turenne - Geraldi, aurificis de Turena; l'acte est daté du 21janvier, sous le règne de Louis (1137-1180) et l'épis

Gimel, qu'on ne l'oublie pas, conserve une des châsses les plus belles et les plus intéressantes de toute la contrée. — Enfin l'abbaye de Solignac et le monastère chef d'ordre de Grandmont paraissent avoir possédé, la première dès une date très reculée, le second à partir du dernier tiers du xn° siècle, des écoles d'orfèvrerie.

I

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Aucun document historique n'établit d'une façon explicite que Grandmont ait compté, au nombre de ses religieux, des artistes et spécialement des orfévres. Néanmoins ce monastère, plusieurs fois incendié, pillé à diverses époques, notamment au XIe siècle, par Henri le jeune (qui ne fit pas même grâce à la colombe d'or où était renfermée l'hostie consacrée) (1), et à la fin du xvre par le seigneur de Saint-Germain-Beaupré dépouillé par ses abbés euxmêmes, que les guerres et les malheurs de l'époque réduisaient aux extrêmes expédients, possédait encore, au moment de sa destruction, une quantité considérable d'objets ayant un caractère artistique. C'étaient presque uniquement, à la vérité, des châsses et des reliquaires de cuivre. La plupart de ceux de métal précieux avaient depuis longtemps disparu. Sans parler des gens de guerre, des hommes de loi le monastère eut toujours beaucoup de procès des pillards de profession ou d'occasion (2), il avait fallu

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copat de Gérald (1114-1177). On en trouve deux mentions au Cartulaire, fol. 17 v° et 56 v. Bernard, orfévre de Gimel Bernardus, aurifex de Gimellest nommé deux fois également (fol. 198 et 243) au temps de l'abbé Robert (1163-4487?). Notons qu'à la fin du xvi° siècle, le journal domestique d'un gentilhomme du Bas Limousin, Elie de Roffignac, nomme l'argentier Pillon, de Turenne » (26 février 1589).

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(1) Rex puer de cœnobio Grandimontensi thesaurum violenter accepit, et, quod auditu horrendum est, columbæ aureæ, in qua dominicum corpus habebatur, non pepercit, quam pater ejus dederat olim (Historiens de France, t. XXIII, p. 217).

(2) Parmi les documents relatifs au Limousin que M. Antoine Thomas a notés au cours de ses recherches dans les Archives du Vatican et dont il a donné le relevé dans le Bulletin de la Société archéologique du Limousin, t. XX (année 1881), p. 53 et 54, on remarque un bref de Clément V à Jourdain, prieur général de Grandmont, portant la date du 22 novembre 1313. Le souverain pontife autorise le pricur à invoquer l'aide du bras séculier contre des moines qui n'avaient pas craint de dérober, pendant la longue maladie du dernier général de l'ordre, des reliquaires et divers ornements ecclésiastiques.

pourvoir à des situations critiques: on vit l'abbé François de Neufville forcé, vers 1589, de vendre un grand nombre de bassins ou coupes d'argent, sept châsses du même métal, dix-huit calices et une croix magnifique (1). Le même général avait aussi enlevé du trésor deux statues en or de la Vierge, qu'un de ses domestiques fut chargé de porter à l'orfévre de la ville voisine (2). Nous en saurions plus long, sans nul doute, sur les déprédations dont fut victime la sacristie de Grandmont durant l'administration de cet abbé, si nous possédions tous les manuscrits du frère Pardoux de la Garde, religieux du monastère, lequel recueillait à la même époque les matériaux nécessaires à l'histoire de l'ordre; mais Pardoux de la Garde mourut avant Neufville, et le supérieur général ordonna de jeter au feu tous ses papiers. Son seul crime, au témoignage d'un religieux du xvir siècle qui a annoté l'unique volume de ce studieux compilateur échappé aux flammes: le Recueil des antiquités de Grandmont, était de n'avoir pas voulu taire la vérité (3).

A ce trésor, bien d'autres avaient puisé avant Neufville, et toutes les précieuses pièces qui en avaient été retirées pour être mises en gage n'y étaient pas revenues: il ne fallut rien moins que des lettres du roi Louis XI pour y faire réintégrer, en 1481, le fameux reliquaire de la vraie croix donné à l'abbaye par Amaury de Jérusalem et qui, engagé en 1409 à un marchand de Riom par l'abbé Pierre Redondaud, était ensuite passé aux mains d'un négociant de Limoges (4). Depuis longtemps nos prélats avaient appris ce trafic des banquiers italiens.

(1) Cum autem antedictus Neufvillius abbas... apud Grandimontem degere conaretur, bellorum civilium vel inopiæ causa... multos argenteos crateres, octodecim calices et septem capsas argenteas, speciosissimamque crucem quingentis nummis a se impignoratam vendidit (Jean LEvesque, Annales ordinis Grandimontis. — Troyes, Eustache Regnault, 1662, in-12, p. 387). L'exemplaire de cet ouvrage que possède la Bibliothèque Nationale (L 23 d 1) est complet; à la plupart des autres exemplaires que nous connaissions, il manque un certain nombre de pages.

(2) Quendam nuntium familiarem dicti Abbatis, qui, dum Lemovicis reverteretur, ubi duas aureas Beatæ Mariæ imagines, e thesauro Grandimontensi sublatas, vendiderat... (ibid.)

(3) ... libros... quos combussit R. P. Franciscus de Novavilla, abbas Grandimontis, quia veritatem non celaverat auctor (Recueil des antiquités de Grandmont, ms. du xvi siècle au Grand Séminaire de Limoges).

(4) J. Levesque, Annales, p. 325, 350 et suiv.

Malgré tant de vicissitudes, la sacristie de Grandmont était encore, en 1789, de beaucoup la plus riche du diocèse de Limoges; ses dépouilles, distribuées à cette époque à nos églises et en majeure partie conservées jusqu'à nos jours, grâce à cette dispersion, altestent l'ancienne splendeur de ce trésor.

Quand on considère l'importance et le nombre des objets qui lui ont appartenu, les analogies remarquables de forme, de décor, de style, d'exécution qu'ils présentent dans leur variété ; quand on voit l'abbaye expédier aux maisons conventuelles, dès la fin du XII° siècle, des reliquaires en même temps que des reliques (1), il n'est guère possible de mettre en doute l'existence d'un atelier d'orfévrerie dans le monastère, entre 1180 et le milieu ou la fin du siècle suivant. C'est en effet à cette période que se rapporte l'exécution des trois quarts des morceaux conservés dans la contrée et provenant de la distribution faite, en 1790, par Mgr du Plessis d'Argentré, aux paroisses du diocèse, des dépouilles de la grande abbaye supprimée au profit de sa mense épiscopale.

Ces richesses, dispersées depuis cent ans bientôt, l'Exposition rétrospective organisée en 1886 à Limoges, les a en partie réunies dans la salle des Mariages de notre bel hôtel de ville; elle a un instant, pour la plus grande gloire de l'art du moyen-âge, presque reconstitué le trésor de Grandmont: cette collection sans prix, que le savant abbé Texier avait, avec mille difficultés et mille fatigues, essayé de décrire et de faire revivre dans ses ouvrages, nous l'avons eue trois mois devant les yeux; nous avons pu l'étudier à loisir, rapprocher les pièces qui la composaient, embrasser d'un regard ce magnifique ensemble, puis examiner longuement chaque objet, déterminer ses caractères, rechercher son inspiration, préciser sa date. Cette minutieuse étude nous a confirmé dans l'opinion que Grandmont posséda une école monastique d'orfèvrerie et beaucoup de personnes compétentes nous ont paru partager notre avis sur ce point.

II

Il n'y avait, dans l'exercice d'un art dont les œuvres étaient, du reste, destinées à orner la maison de Dieu, rien de contraire à la règle donnée par saint Etienne de Muret à ses disciples. L'institut

(1) Cum aliis reliquiis, quarum nonnullæ per ordinem datæ sunt, cupro deaurato inclusæ (Annales, p. 147).

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