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époque de la fabrication d'Aubusson, que M. Georges Lézaud conserve dans son habitation des Vaseix, etc., etc.

Tous ces trésors sont du reste en bonnes mains. Ils ne sortiront pas de notre province où le goût éclairé de nos compatriotes saura, nous l'espérons, accroître ces précieux éléments de l'éducation artistique des classes élevées. Le luxe intelligent de nos jours met une juste fierté à mêler aux chefs d'œuvre de l'art et de l'industrie modernes, quelques excellents spécimens de l'industrie et de l'art anciens. Il faut nous en réjouir la vogue de ces derniers contribue à assurer la conservation des reliques du passé et à les préserver du sort funeste de tant d'objets précieux perdus à jamais pour l'art et l'érudition.

Louis GUIBERT.

MÉLANGES

SOMMAIRE. Deux vols à Limoges au XVIe siècle.-Philippe de Bourgogne en Limousin. Léonard Limosin. Baluze sous le pseudonyme de Mal

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damnat. Le poème de Grégoire Béchade sur la première croisade. Jean de Reilhac. Le poète Joseph Dorat. Lettres de Peiresc. L'humaniste Siméon Du Bois. Bonneval-Pacha. Le vicomte de Turenne pendant la Fronde. Catalogue des manuscrits conservés dans les bibliothèques de notre région. - Inventaire des archives communales de la Haute-Vienne.

La ville de Limoges fut victime, vers le milieu du xvII° siècle, d'un double vol assez singulier, dont personne n'a indiqué jusqu'ici la date exacte ni le véritable auteur. La présente note a pour objet de fixer l'une et de chercher l'autre à tâtons.

Le plus connu de ces vols est celui d'une copie du Recueil des antiquités de Limoges, qui appartenait depuis plus d'un demi-siècle à l'Hôtel de Ville. Ce Recueil, plus ordinairement cité sous le nom d'Annales ou de Chroniques manuscrites de Limoges, était l'œuvre de Jean de Lavaud († vers 1598), et rien moins que le premier produit de l'historiographie limousine (1). C'est le chanoine Jean Collin qui nous a conservé le souvenir de ce larcin, mais sans en fixer la date. Heureusement certain détail de sa narration permet de la retrouver: « MM. les consuls en gardoient anciennement une copie [des Antiquités de Lavaud] dans leurs archives, laquelle se perdit par la friponnerie du capitaine et des soldats commis à la garde de la ville et maison de ville pendant le ravage de la dernière contagion »> (2).

(1) Sous ce titre Etude critique sur les Annales françaises de Limoges, nous comptons publier prochainement une étude développée sur les diverses formes de cette compilation dans les Annales du Midi.

(2) Réponse à la lettre que le sieur Maldamnat..... (1668, p. 33). Collin prend le pseudonyme de Bonnefoy. Dans son Histoire des Saints du Limousin (1672, p. 341), il est revenu sur ce fait dans des termes à peu près identiques « L'ancien manuscrit de la maison commune de la ville de Limoges..... qui par l'adresse d'un capitaine de soldats gagés fut, il y a quelque temps, soustrait dans la maison de ville... »

Or la scule épidémie que l'on connaisse à cette époque est de 1664 (1), ce qui cadre bien avec le récit de Collin.

Mais quel est l'auteur de ce larcin? Collin ne parle que du capitaine de la milice bourgeoise, dont il est malaisé de comprendre l'intérêt personnel en cette affaire. A notre avis, il ne fut qu'un instrument au service d'une tierce personne qui ne serait autre que Pierre Benoît II de Compreignac. Ce conseiller au Parlement de Bordeaux était un homme de sac et de corde, prévenu déjà de toutes sortes de concussions et de crimes, mais qui pourtant avait échappé jusque-là au châtiment. Toutefois quelques années plus tard, en 1667, il fut condamné à mort par le Grand Conseil et mourut en prison au bout de dix ans (2).

L'idée de s'emparer par fraude d'un manuscrit qui l'intéressait et dont on lui avait peut-être refusé la vente, ne pouvait travailler longtemps un tel homme. Justement, en 1664, il était venu à Limoges pour servir de parrain à une nièce baptisée à Saint-Pierre du Queyroix (3). Bien apparenté dans notre ville, il put, sans grand peine, suborner à prix d'argent le capitaine chargé de garder la maison commune.

Notre conjecture reçoit une nouvelle confirmation de ce fait qu'au xvIe siècle on a attribué à Pierre Benoît certaines Remarques sur la Table chronologique du chanoine Collin, qui parurent en 1668 sous le pseudonyme de Maldamnat. L'attribution est fausse comme nous l'avons démontré dans un long article des Annales du Midi (4): le véritable auteur de ces Remarques est Etienne Baluze; Benoît en fut tout au plus l'inspirateur. Mais cette confusion prouve au moins que le nom de Pierre Benoît de Compreignac était demeuré lié, quoique fort obscurément, au souvenir d'une œuvre historique.

Le manuscrit dérobé ne semble pas être resté longtemps aux mains de Pierre Benoît. Nous avons admis ailleurs (5) qu'il passa presque immédiatement dans la bibliothèque de l'abbaye de Solignac où dom Col le retrouva et le transcrivit un siècle plus tard.

(1) Voy. notre Invent. des archives hospitalières de Saint-Yrieix, E. 3.

(2) Voy. le Nobiliaire du Limousin, 1, 2e édit., p. 176.

(3) A. THOMAS, Invent. des arch. communales de Limoges, GG, 20.

(4) Tome. I, p. 197 et ss.

(5) Dans une étude sur les Annales françaises de Limoges, que nous avons annoncée tout à l'heure.

Le second vol fut plus audacieux encore que le premier. Il ne consista en rien moins qu'à déboulonner une statue équestre de Constantin (mesurant un demi mètre de hauteur) qui surmontait, depuis plusieurs siècles, une fontaine de Limoges appelée communément, pour cette raison, la fontaine du Chevalet, c'est-à-dire du Chevalier (1). Les circonstances de ce nouveau larcin ne nous sont pas connues. Mais il va sans dire qu'il s'accomplit nuitamment et dans le plus grand silence, par des gens habitués aux coups de main, puisque les soldats qui gardaient, cent mètres plus loin, le palais du Breuil ne prirent point l'éveil. Ce sont les Annales françaises de 1638 qui racontent cette histoire. Une première interpolation nous dit : « Laquelle statue estoit de bronze, très bien faite; laquelle fust enlevée de nostre temps par un seigneur de marque, qui la fist mettre dans la basse-cour de son château »> (2). Une autre interpollation ajoute: « Icelle (figure de Constantin) très bien faicte, fust derobée, laquelle est de present, comme l'on tient, à Ventadour » (3).

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M. l'abbé Arbellot, qui s'est occupé de cet épisode (4), prétend qu'il se produisit vers 1650. Mais cette date résulte d'une conjecture erronée quant à la date de composition des Annales françaises. Ces Annales, œuvre du chanoine Bandel (5), étaient achevées en 1638, et les deux mentions qui nous occupent sont des interpolations ultérieures, dont il est impossible de déterminer de prime abord la véritable année.

S'appuyant sur la seconde interpolation que nous avons rapportée, M. Arbellot conjecture avec beaucoup de vraisemblance que le coupable était Charles de Lévis de Ventadour qui fut gouverneur du Limousin en 1649 et 1650. Mais les chroniqueurs limousins qui, comme Pierre Mesnagier et Pierre Robert, nous ont raconté sans ménagement les actes arbitraires de quelques intendants de ce temps, ne soufflent mot de ceux du gouverneur.

(1) Nous en avons une représentation figurée vers 1660 dans les Annales de 16.38, p. 17 de l'édit. de 1872. Elle a été reproduite par Duroux et Tripon. (2) Edit. de 1872, p. 56, 57.

(3) Bull. de la Soc. arch. du Limousin, 1858, t. VIII, p. 105.

(4) Mémoires sur les statues équestres de Constantin... dans le Bulletin Soc. arch. du Limousin, t. XXXII, p. 2 et 23.

(5) M. Arbellot avait déjà donné cette date dans sa Revue archéologique de la Haute-Vienne, (1856, p. 61).

Pierre Robert (+1658), qui était grand amateur d'antiquités, n'eut pas manqué de nous raconter l'enlèvement de cette statue de Constantin, si elle avait eu lieu de son temps. Nous avons la ressource, il est vrai, de mettre cet enlèvement sur le compte du successeur de Charles de Ventadour, Annet de Ventadour qui, tout archevêque de Bourges qu'il fût, exerça le gouvernement militaire de cette province de 1650 à 1653 (1). Mais la vraisemblance. est moins grande, en raison du caractère connu de ce prélat. Aussi inclinons-nous à placer ce méfait, comme le précédent, vers 1664, peut-être 1665, et à en charger de rechef la mémoire. de Pierre Benoît de Compreignac. Il semble bien, en effet, que, contrairement à ce qu'ou a cru, la statue en bronze de Constantin existât encore sur la fontaine du Chevalet en 1664. L'auteur anonyme d'une description de quelques édicules de Limoges (2), qui écrivait vers 1660, ne souffle mot du vol qui nous occupe, bien qu'il parle assez longuement de la fontaine du Chevalet. Malheureusement la date à laquelle la statue de plomb remplaça celle de bronze nous est inconnue (3). Si elle est un jour découverte, elle confirmera ou infirmera notre présomption, selon qu'elle sera postérieure ou antérieure à 1664.

Pourquoi les deux interpolateurs des Annales françaises de 1638 ne nous ont-ils point nommé le larron que, certes, ils connaissaient bien? Nous ne voyons qu'une réponse : ils ont eu égard à la famille de Pierre Benoit, fort considérée à Limoges où elle occupait de hautes situations (4). La discrétion leur était pour ainsi dire commandée.

Par contre, nous avouons ne point voir aussi clairement pour quelles raisons la statue dérobée fut transportée de Compreignac à Ventadour. A moins que François de Vauvert et de Ventadour, abbé de Meymac de 1665 à 1673, qui, lui, résidait habituellement au château de Ventadour, à quelques lieues de Meymac, ait acquis cette statue après l'emprisonnement de Pierre Benoît (1667), de la même manière que ses confrères bénédictins de Solignac avaient acheté le manuscrit du Recueil des antiquités de Limoges. Mais c'est là un simple rapprochement qui ne démontre rien.

(1) Voy. un court article sur ce sujet dans le Bulletin Soc. arch. du Limousin, t. XXXII, p. 136.

(2) Dans les Annales dites de 1638. La date de 1660, d'ailleurs conjecturale, sera justifiée dans l'étude dont nous avons parlé.

(3) Cette statue de plomb fut également dérobée en 1760.

(4) Voy. l'Invent, des arch, communales de Limoges, par M. Ant. Thomas, série GG, passim.

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