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L'AGNUS DEI

DU CLOCHER DE SAINT-LÉONARD

Le clocher de Saint-Léonard, remarquable type d'architecture limousine des xr et x11° siècles, a été réparé en 1880. Sur la fin de décembre on a démoli, pour la reconstruire plus solidement, toute sa partie supérieure. Avant d'abattre la flèche, on a descendu la boule et le coq qui la surmontaient.

« Le coq est en laiton; il pèse 42 kilogrammes. Sa plus grande longueur est de 0,65 centimètres, sa plus grande hauteur 0,45, et sa plus grande circonférence 0,77 » (1).

La boule qui est située au-dessous a 0,20 centimètres envirou de diamètre. Elle contenait une boîte en fer blanc, dans laquelle on a trouvé 1° L'Agnus Dei, qui fait le sujet de cet article; 2° une petite urne en cristal, ayant la forme d'une amphore, munie d'une ause d'un seul côté; elle a 0,15 centimètres de hauteur et contenait les reliques indiquées plus loin; 3° quatre procès-verbaux sur parchemin : l'un de 1600, le deuxième de 1639, le troisième de 1789, et le quatrième de 1819.

Ces objets n'ayant pas été remis à leur place, et ayant ainsi perdu leur destination, il est bon d'en conserver le souvenir par. la gravure et la description.

L'usage des Agnus Dei remonte aux premiers temps de l'Eglise. Depuis saint Grégoire-le-Grand qui, au vi° siècle, en envoya, avec des présents, à Théodelinde, reine des Lombards, ils sont demeurés en grande vénération parmi les fidèles.

(1) M. ARBELLOT.

T. XXXVI.

Semaine religieuse de Limoges, t. XIX, p. 35

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Pour les faire, on emploie de la cire, de l'eau bénite, du baume et du saint-chrème. C'était autrefois le sacriste du pape qui les composait. Aujourd'hui ce sont les moines cisterciens de SainteCroix-de-Jérusalem, à qui le pape Clément VIII a confié ce privilège. Les papes les consacrent avec des cérémonies particulières, d'abord l'année de leur couronnement, et ensuite tous les sept ans. Urbain V, en 1366, en envoya à l'empereur, comme témoignage d'estime et d'affection; il les accompagna des huit vers léonins suivants, qui étaient de sa composition et faisaient connaître leur vertu :

Balsomus et munda cera cum chrismatis unda
Conficiunt Agnum, quod munus do tibi magnum
Fonte velut natum per mystica sanctificatum.
Fulgura de sursum depellit et omne malignum,
Peccatum frangit, ceu Christi sanguis et angit.
Prægnans servatur, simul et partus liberatur,
Munera fert dignis, virtutem destruit ignis,
Portatus munde de fluctibus eripit unde (1).

L'Agnus était mis quelquefois, comme protection, dans les édifices que l'on construisait. Mgr Barbier de Montault en a décrit un du pape limousin Grégoire XI, qui avait été placé sous la première pierre de l'ancien château de Poitiers, au confluent des deux rivières du Clain et de la Boivre :

Le duc de Berry, en commençant la construction de ce château, en 1375, ne se contenta pas de la bénédiction ordinaire; il voulut y ajouter, pour protéger plus efficacement sa demeure et les fortifications qui devaient repousser l'assaut de l'ennemi, un Agnus, que probablement il avait reçu en don de Grégoire XI, sinon de ses propres mains. C'était une pensée pieuse, à laquelle je ne trouve d'analogue qu'au siècle dernier, et encore s'agit-il là d'une église. Ce document, par sa rareté, mérite d'être reproduit intégralement : « Nell'anno 1728, Benedetto XIII, solemnente misse » la prima pietra fondamentale per la nuova chiesa di S. Clau>> dio dei Borgognoni..... pose nella detta pietra, fatta a guisa di » cassetta, una pigna dorata, un' ampolla d'olio santo, tres Agnus » Dei grandi ed alcune medaglie. » (MORONI. - Dizion. di erudizione stor. ecclesiast., t. XI, p. 236,t. LIII, p. 12) (2).

(1) Histoire d'Urbain V, par l'abbé MAGNAN, p. 271. M. TEXIER, dans son Dictionnaire d'orfévrerie, donne ces mêmes vers, avec quelques variantes.

(*) Bulletin de la Société archéologique de Tulle, t. IX, p. 96.

L'Agnus que Grégoire XI bénit en 1371 est orbiculaire et son diamètre mesure 0,06 centimètres. Les deux faces sont semblables. Le champ est entièrement rempli par l'agneau divin, qui porte son étendard, et marche, pour me servir de l'expression du blason, sur une terrasse, au-dessous de laquelle est écrit le nom du pape consécrateur: Gregorius PP. XI. Le sang versé sur la croix coule, de la poitrine percée de l'agneau, dans un calice. Le nymbe crucifère atteste sa divinité. La légende suivante, en belle gothique ronde, forme la bordure extérieure:

Agne. Di. miserere. mei. qui. crimina. tollis.

Le Glossaire archéologique de M. Victor GAY, donne le dessin d'un Agnus d'Urbain VI, vers 1380, qui reproduit assez exactement le précédent; toutefois sa légende est en gothique carrée.

En 1870, j'ai rapporté de Rome un Agnus béui par Pie IX; il est de forme ovale, environ 0,04 centimètres et demi de largeur, sur 0,05 de hauteur. On y voit d'un côté l'agneau nimbé, portant son étendard, et placé sur le livre aux sept sceaux. Sur la face opposée se trouve la Sainte Vierge tenant l'Enfant Jésus. C'est au commencement du siècle dernier qu'on a cessé d'imprimer la figure de l'agneau sur les deux faces, et qu'on l'a remplacée sur une par la Sainte Vierge, les apôtres, ou d'autres saints pour lesquels le pape a une vénération particulière.

Pour mieux conserver ces Agnus en cire, on ne tarda pas à les renfermer dans des médaillons en forme de reliquaire. Celui de Charlemagne est encore conservé dans le trésor d'Aix-la-Chapelle, et il figure au moyen-âge parmi les objets de piété que les orfèvres exécutaient avec le plus de recherche, d'élégance et de goût. Les textes anciens nous en font connaître un grand nombre; ils sont cités dans le Glossaire archéologique et le Dictionnaire d'orfèvrerie. On en trouve d'émaillés, comme celui de SaintLéonard «< 1399. Un Agnus Dei d'argent, esmaillé à rondeaux et ymages. (Invent. de Charles VI). - Un Agnus Dei d'argent, esmaillé environ, aux armes de France et de Navarre » (1).

:

Tout en conservant le nom d'Agnus Dei, et en portant constamment la figure de l'agneau divin, ces petits reliquaires servirent aussi à renfermer des reliques de quelques saints. On trouve dans l'inventaire de Charlotte de Savoie, en 1483, « un Agnus Dei, garny d'or, où il y a des ossements de sainte Théodore ». C'est le cas de celui que les habitants de Saint-Léonard avaient inis,

(1) M. TIXIER. Dictionnaire d'orfévrerie, p. 45.

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comme préservatif, à leur beau clocher; il représente l'agneau et renfermait des reliques de la vraie croix.

Il est en argent émaillé, et a 0,023 millimètres de diamètre. L'agneau, qui en occupe tout le champ, a un nimbe cruciforme, garni d'émail rouge. Il est debout, portant son étendard, qui est une croix, à la hampe de laquelle est fixée une bannière rectangulaire, avec une pointe découpée en deux flammes qui onduleut. Cet agneau est à longue laine, suivant le langage du moyenâge. Il se détache sur un fond d'émail bleu, semé d'étoiles d'argent.

Au revers, la plaque qui ferme le médaillon porte au centre une ouverture en forme de quatre-feuilles, qui laissait voir la relique placée à l'intérieur. Autour, et sur un fond d'émail bleu, on lit, en belle gothique ronde du XIVe siècle De ligno S. Crucis.

L'émail de cet Agnus est tombé on plusieurs endroits; à part cela, sa conservation ne laisse rien à désirer; mais il ne contient plus la relique de la vraie croix.

Il nous reste à voir les procès-verbaux trouvés avec cet Agnus. Ils sont au nombre de quatre, et ils signalent tous ce petit reliquaire. Les deux premiers sont en mauvais état, et en très grande partie illisibles; on ne peut y voir que la date et un fort petit nombre de mots. Heureusement qu'ils sont reproduits dans le troisième, dont voici le texte (1):

« Aujourd'hui, trente juillet mil sept cent quatre-vingt-neuf, le clocher de la ville de Saint-Léonard ayant été cimenté par les maîtres de la ville de Limoges, aux frais et dépens de Messire Charles du Plessis d'Argentré, évêque de Limoges, auxquelles réparations ledit seigneur est tenu, Nous, Guillaume Daniel de Garenne, maire; Jean-Baptiste Jarry du Theil, bourgeois, et Pierre-Léonard Fraisseix de Veyvialle, docteur en médecine, échevins de ladicte ville, avons fait descendre la boîte en plomb qui est dans la boule de la flèche dudit clocher, et, l'ayant fait ouvrir en présence de vénérables Messires Pierre Daniel Delaganerie, François Sauvage, Mathieu Lafout, Antoine Lanoaille, Jean-Baptiste de Bruxelles, Léonard Fargeau-Despié, Paul-Guillaume Beaure d'Augères, Jean-Baptiste Veyrier de Maleplane et

(1) Ce texte a été donné par M. Arbellot, d'après une copie faite par M. le docteur Du Basty. Semaine religieuse de Limoges, t. XIX, p. 36).

Etienne Thomas, tous chanoines de l'église collégiale du chapitre de Saint-Léonard, il s'y est trouvé deux pièces de parchemin fort mangées par vétusté et trouées en plusieurs endroits, la première en date du vingt-deux octobre mil six cent, dont la teneur suit:

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« Nous, Jean Beaure, Pierre Leblois, Joseph Chalard, Jean Denaud, Christophe Bordes et Jacques Peyraud, consuls de la présente ville de Saint-Léonard de Noblac, avons fait cimenter » et réparer le présent clocher et avons trouvé dans cette coupe. » les reliquaires ici contenus, qui sont un Agnus où il y a du >> bois de la vraie croix, une dent et des cheveux de Monsieur » Saint-Léonard, que vénérable frère Guillaume Constantin, >> curé de ladite ville, a nétoyées; et ont été ici remis par véné»rable frère Georges Texier, prieur de la Galamache, et Messire » Guillaume Temple, en présence de vénérable frère François » de Bridieu, prieur dudit Saint-Léonard; frère Mathieu Pey>> raux, chanoine régulier et prieur de Mirabel et autres. Fait à » Saint-Léonard, ce vingt deuxième jour du mois d'octobre, l'an >> mil six cent. Signé : CHALARD, consul. »

» La seconde, du mois d'août 1639, aussi dont la teneur s'en suit :

<< Au mois d'aoust de l'année mil six cent trente-neuf, le pina»cle, qui était grandement ruiné comme et par aventure davan» lage qu'il n'était auparavant les précédentes réparations de l'an » mil six cent, a été remis et réparé par deux maîtres de la ville » de Limoges, nommés MM. Etienne La Soury et......., aux diligences des consuls de cette ville étant en charge, à sca» voir MM. Jacques Raby, Léonard Veyrier, Léonard Desmai» sous, notaire et procureur, et sieurs Jean Glaudet, Geoffre » Peyrusson et Léonard Fargeau; dont la dépense a été fournie, » scavoir sept vingt quinze livres par Révérend Pere en Dieu >> Messire François de la Fayette, seigneur évêque de Limoges, » des deniers qu'il avait reçus au temps de l'Ostention, aupara» vant mil six cent trente huit. Et dans cette coupe ont été mises » les reliques qui s'y étaient trouvées, qui sont une dent du précieux corps de saint Léonard, quelque partie de cheveux et » un petit reliquaire fait en forme d'Agnus, sur lequel il est » écrit: Lignum veræ crucis (1). Et, ladite coupe ayant été rap

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(1) Le rédacteur de ce procès-verbal de 1639 a mal lu cette inscription, et on a reproduit cette fausse lecture dans les procès-verbaux de 1789 et de 1819. Il y a † De ligno S. Crucis, et non pas Lignum veræ crucis.

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