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LA VIERGE OUVRANTE DE BOUBON

A l'extrémité méridionale de la commune de Cussac, canton d'Oradour-sur-Vayres (Haute-Vienne), au milieu des bois et dans un lieu des plus sauvages, on trouve, à côté de quelques pauvres habitations, les restes de l'ancien monastère de Boubon. Fondé par le Bienheureux Robert d'Arbrissel, en 1106, grâce aux libéralités de Pierre de Montfrebœuf, Ithier de Bernard et Aimeric de Brun, il fut, pendant des siècles, le lieu que choisirent les filles de familles nobles pour embrasser les austérités de la règle de Fontevrault, et donner aux jeunes filles de la contrée l'instruction et l'éducation chrétiennes. Pendant des siècles, ce couvent a fait la prospérité et la richesse du pays. Mais depuis que les ennemis de l'instruction chrétienne ont chassé de cette retraite les religieuses qui l'habitaient, Boubon, qui avait une certaine renommée et attirait grand nombre d'étrangers, a tout perdu : monastère, église paroissiale, commune. Il est aujourd'hui le dernier des villages.

En recherchant dans le voisinage les souvenirs et les objets. d'art qui ont survécu à la Révolution, j'ai été assez heureux pour découvrir une Vierge ouvrante en ivoire, qui, au siècle dernier, appartenait à ce monastère. Elle est aujourd'hui la propriété de M. Hugonneau-Beaufet, curé de Dournazac. Il la tient de sa tante, qui était religieuse à Boubon.

Cette statue est taillée dans un bloc d'ivoire de 0,35 centimètres et demi de hauteur. Elle représente une vierge assise, tenant Notre-Seigneur sur ses genoux. Elle s'ouvrait en forme de triptyque et montrait, sculptées au-dedans d'elle-même, la vie, la mort, la résurrection et la gloire du Sauveur.

Au nombre de ses œuvres d'art les plus précieuses, le Musée du Louvre conserve un ivoire des premières années du XI° siècle en tout semblable au nôtre: même sujet, mêmes scènes à

T. XXXVI.

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l'intérieur, mêmes personnages et dans les mêmes attitudes. On dirait que l'un est la copie de l'autre. Celui du Louvre a été publié dans les Annales Archéologiques de M. Didron, par Mer Barbier de Montault, à l'occasion de sa savante étude sur le Chemin de la Croix (1). Les deux dessins de celui de Boubon qui accompagnent cet article ont été faits, d'après des photographies, par notre habile peintre-émailleur, M. Bourdery; ils permettront de comparer ces deux précieux ivoires. Par ce rapprochement on constatera que celui de Boubon est d'un travail plus soigné et plus fini que celui du Louvre.

L'ivoire du Louvre est complet. La statue s'ouvre sur le devant en deux parties, et ces deux parties mobiles, rattachées à la moitié de derrière par des charnières, forment les deux tableaux latéraux du triptyque ouvert.

Malheureusement il n'en est plus de même de celui de Boubon; on ne possède que la moitié antérieure. L'autre moitié, qui formait le tableau central du triptyque, n'existe probablement plus. Des recherches continues depuis plus de quinze ans n'ont pu me faire connaître son sort. On croit que les religieuses, chassées de l'asile où elles s'étaient consacrées à Dieu, partagèrent, avant de se séparer, les objets auxquels elles tenaient le plus. Sœur Hugonneau-Beaufet eut la moitié du triptyque qui nous reste; une autre religieuse dut emporter l'autre moitié.

Cet ivoire, lorsqu'il est fermé, comme le donne la planche première, forme la statue de la Sainte Vierge. Sa hauteur, telle qu'elle est aujourd'hui, est de 0,35 centimètres et demi. L'élégante tunique dont Marie est vêtue, est ornée autour du cou et au bas de la jupe de riches orfrois, semés de pierreries alternativement ovales et losangées. Sous cette première tunique on en voit une seconde, plus longue, retombant en plis nombreux sur les pieds à demi couverts.

La Vierge est assise et tient Notre-Seigneur sur ses genoux. On rencontre fréquemment ce motif vers la fin du xr et dans le XIe siècles.

Le Christ est placé dans une auréole. On sait que l'auréole qui entoure le corps, symbole de la plus haute glorification, ne se donne qu'aux personnes divines, et dans quelques cas particuliers à la Mère de Dieu. Dans notre ivoire, cette auréole diffère par sa forme de celles qu'on trouve ordinairement. Au lieu d'être elliptique, elle a la forme d'un quatre-feuilles de 0,10 centimètres

(1) T. XX, 316, et XXII, 251.

de largeur sur 0,13 de hauteur. Jésus-Christ est assis, retenant de la main gauche le globe du monde posé sur son genou. Il élève la main droite dans l'attitude de quelqu'un qui instruit des auditeurs. Ou, peut-être, il bénit à la manière latine, c'est-à-dire en élevant les trois premiers doigts. Les pieds nus ne reposent sur aucun escabeau, contrairement à ce qu'on trouve le plus souvent, comme au tombeau de saint Junien, etc.

Il est vêtu d'une tunique aux plis gracieux, ornée autour du cou d'un large galon. De longues draperies sont jetées avec élégance sur son épaule gauche et retombent le long de son bras. La figure est bien le type connu de Notre-Seigneur, figure barbue, des deux côtés de laquelle descendent les longs cheveux bouclés du Nazaréen.

Dans le champ de l'auréole, on voit, à droite un calice, et à gauche les tables de la loi ancienne : symbole du Nouveau et de l'Ancien Testament.

La seconde planche donne la moitié de l'intérieur de la statue. On y trouve sculptés, avec une finesse incroyable, trente et quelques personnages, nous retraçant d'une manière remarquable les scènes attendrissantes de la Passion. Ce sont :

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V. Les Saintes femmes au Sépulcre.

VI.

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Marie-Madeleine retrouvant Notre-Seigneur.

Ces six tableaux sont renfermés dans un gracieux cartouche de 0,26 centimètres de hauteur, sur 0,10 de largeur, trilobé en haut et en bas. La hauteur des personnages varie de 0,05 à 0,06 centimètres.

I. Le Jugement de Notre-Seigneur. Dans ce premier tableau, Pilate est assis; un riche manteau tombe de son épaule sur le siège et sur les genoux; il le retient d'une main et gesticule de l'autre en s'adressant à Jésus-Christ, dont il pronouce le jugement. Celui-ci est devant lui, debout, les mains liées. Ses pieds sont sans chaussure, comme dans toutes les autres scènes. Quatre gardiens l'accompagnent et l'entourent. II. La Flagellation. Notre-Seigneur est attaché par les deux bras à une colonne que surmonte un chapiteau. Il a le visage tourné du côté de la colonne. Il est dépouillé de ses vêtements jusqu'à la ceinture. Deux bourreaux le frappent alternativement. L'un, dont la figure respire la cruauté, et qui semble

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