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Au delà, on ne distingue plus rien, à l'exception d'un fragment d'arceau et d'une sorte de treillis figurant peut être un vitrail et au travers duquel on aperçoit le ciel bleu.

La composition de ces diverses scènes est d'une grande simplicité et d'une naïveté charmante. On a vu que la perspective n'existe pas à proprement parler ou tout ou moins n'est pas indiquée. Le modelé ne s'accuse que par quelques traits noirs, assez sobrement distribués. Les couleurs, posées par teintes plates, sont franches, mais en général d'un ton assez doux la plupart des bleus sont clairs; le vert, quoique assez corsé, ne manque pas de transparence; le blanc n'est pas très vif; le jaune tire le plus souvent sur le chrôme. Seuls les rouges sont d'un vermillon un peu cru, et présentent en même temps un aspect lourd et opaque. Les carnations montrent un rose fade, allant parfois, néanmoins, jusqu'au violacé. La joue de tous les personnages est avivée d'un point de vermillon. Les traits sont finement indiqués; les figures régulières. Les yeux longs, mais non relevés ni contournés. Sauf l'exagération des extrémités, des mains en particulier, les proportions paraissent exactes. Le dessin est, en résumé, net et assez correct. Les contours des personnages et des objets sont accusés par un large trait noir, qui fait penser au réseau de plomb cernant les figures représentées sur les anciens vitraux.

Ce qu'il y a de remarquable surtout dans la fresque de saint Victurnien, c'est la vérité de l'attitude de chaque personnage et l'intensité expressive du geste. Sous ce rapport, les plus exigeants. ne sauraient désirer mieux. Là surtout est l'intérêt et la valeur de ces peintures, en même temps que la caractéristique de l'art. dont elles sont un précieux monument.

En matière d'art, c'est une grave erreur de prétendre appliquer les mêmes théories à tous les peuples et à tous les temps. Il faut savoir faire la part non-seulement de l'éducation esthétique et des moyens d'exécution de chaque époque, mais encore du but en vue duquel les artistes de cette époque ont dirigé leur effort. Il faut aussi se tenir en garde contre son propre tempérament et son goût particulier.

Ce n'est point chose fort rare de rencontrer des personnes qui considèrent la plus petite des pyramides, le plus modeste des obélisques, comme une œuvre d'art supérieure à nos plus belles églises romanes, à nos plus majestueuses cathédrales gothiques. Certains hommes, et non des moins instruits, passeront dédaigneux à côté d'une gracieuse statuette du XIVe siècle et se

påmeront devant l'œil morne, l'aspect glacial et mystérieux d'un sphinx, devant la lourde et étrange silhouette d'un colosse assyrien. Il faut à ces esprits le vague, le grandiose, l'inconnu : le démesuré et l'incompréhensible, loin de les rebuter, éveillent au contraire des imaginations qui se plaisent aux vastes rêves. Les gens de ce tempérament prennent volontiers l'impression de surprise qui les saisit pour un signe impérieux de la présence du beau et pour la manifestation de son irrésistible pouvoir sur les sens et sur l'âme.

Ce n'est pas qu'il nient l'art grec. La beauté classique garde toujours, en effet, un caractère général et en quelque sorte synthétique dont ils s'accommodent fort bien. Ils admirent cette recherche exclusive de l'harmonie des lignes, cette esthétique un peu abstraite, ces images, pour ainsi dire impersonnelles, ne traduisant ni les émotions ni les passions propres à tel ou tel individu et ne représentant en somme autre chose, sous des dénominations plus ou moins bien justifiées par l'attitude, le costume, les attributs, que l'humanité à divers âges, en diverses conditions ou à différents degrés de culture. Tout autre est l'art du moyen-âge, qui aime l'analyse et recherche surtout l'expression individuelle. L'homme moral joue ici le grand rôle; et il faut absolument, pour comprendre les inspirations artistiques de ce temps là, admettre la domination de l'âme sur le corps. Les hommes dont nous parlions tout à l'heure ne possèdent pas le sens de cet art, l'intelligence de cette beauté, qui n'est plus ni le produit d'une combinaison savante de lignes ni la réalisation correcte d'un type général, mais le résultat d'une étude psychologique toute individuelle, parfois très raffinée.

En Ꭹ réfléchissant un peu, on arrive à discerner la raison de cette inaptitude de certaines personnes à goûter l'art médiéval. Il y a des esprits qui manquent essentiellement de simplicité et de naturel, partant de sincérité. La naïveté les étonne; l'émotion leur fait peur. Or, il n'y eut jamais rien de plus naïf et de plus sincère que les conceptions des artistes du moyen-âge. Le corps n'étant plus considéré que comme le serviteur et l'instrument docile de l'esprit, n'est qu'un accessoire souvent fort négligé. La mimique devient sa principale raison d'être, son seul rôle nécessaire. Il n'est plus, comme dans l'art antique, cette incarnation même, cette forme visible du beau idéal sur laquelle doit avec complaisance se reposer le regard il n'est qu'un vêtement sans importance en soi, qu'une enveloppe passagère destinée à s'évanouir le jour où l'esprit sera rendu à la liberté. L'artiste daignerait à peine s'occuper de cette dépouille s'il

n'était obligé à certains ménagements vis à vis de ce corps si dédaigné, à cause du service qu'il en attend: il ne peut, en effet, se passer de la matière pour traduire sa pensée. Le corps deviendra donc à ce point de vue exclusif, l'objet de son attention, de son étude et de ses soins, et parfois il arrivera dans ses créations géniales à réaliser des types qui, même sous le rapport de la beauté physique, n'auront rien à envier aux plus splendides types de l'art ancien; mais on ne verra jamais la beauté extérieure, la beauté plastique, envisagée par les maîtres du moyenâge, même au XIIIe siècle, comme le but du travail artistique; celui-ci doit avant tout et par dessus tout, rendre sensible une pensée très concrète et très personnelle. Pour peu qu'on étudie ces œuvres, surtout celles où l'artiste a été en situation de se rapprocher de son but et de réaliser dans une certaine mesure son idéal, pour peu qu'on cherche à se pénétrer de l'esprit qui animait l'auteur et ses contemporains, on parvient à apprécier les réelles beautés de cet art si chercheur, si consciencieux, si délicat, si élevé, et on s'étonne d'entendre des hommes intelligents, des hommes instruits et réfléchis traiter de période « d'abominable barbarie » (1) une époque qui a légué à notre admiration les statues de la cathédrale d'Amiens, et le gracieux édifice de la Sainte-Chapelle, c'est-à-dire des œuvres pouvant compter au nombre des conceptions les plus belles du génie et des créations les plus merveilleuses de l'art humain depuis le commencement du monde.

Revenons aux peintures de l'église de Saint-Victurnien, dont cette digression nous a un peu éloigné.

A quelle époque doivent-elles être attribuées? Sont-elles, comme paraissent l'indiquer certains détails, de la fin du XIV siècle, ou faut-il reporter au siècle suivant la date de leur exécution?

Disons d'abord qu'aucun document, aucun texte ne fournit d'indice sur ce point. On n'a même pas, croyons-nous, de renseignement précis sur l'époque du remaniement de l'église et de l'adjonction de la seconde nef. Il faut donc recourir, pour être fixé, à l'examen de ces peintures elles-mêmes et à l'étude attentive de leurs caractères intrinsèques.

La forme contournée du corps du Christ et la longue et mince colonne qu'on distingue parmi les rares fragments subsistants de la scène de gauche, paraissent se rapporter au xve siècle. Cette

(1) Le mot est tombé, il n'y a pas bien longtemps, d'une bouche officielle; il a déjà été relevé avec juste raison.

indication est corroborée par la forme de la coiffure d'une des saintes femmes de la scène de droite.

D'autre part, les peintures à teintes plates, dans le goût de celles de Saint-Victurnien, ne sont pas rares au xve siècle, et à partir du xiv on trouve assez fréquemment les rétables ornés de sujets peints. Ajoutons que la gamme de couleurs qu'on observe sur notre fresque est bien celle de cette époque.

En fixant à la première moitié ou même au milieu du xv siècle la date des peintures découvertes à Saint-Victurnien, on ne saurait donc s'éloigner beaucoup de la vérité. M. R. de Lasteyrie, à qui nous avons soumis un croquis de ce rétable, estime que sa décoration n'est pas antérieure aux dernières années du moyen-âge. Un avis aussi autorisé nous dispense d'insister davantage sur ce point.

Le département de la Haute-Vienne possède peu d'anciennes peintures. La curieuse chasse qui décore une salle du château de Rochechouart, est, à notre connaissance, dans cette catégorie d'ouvrage d'art, un des morceaux dont la date se rapproche le plus de celle du rétable de Saint-Victurnien. Cette chasse semble toutefois postérieure de cinquante ans au moins aux peintures auxquelles nous avons consacré céite courte et trop incomplète notice.

Nous ne connaissons, dans toute la province, aucun rétable peint dont on puisse rapporter l'exécution au xve siècle. L'autel de Saint-Victurnien est donc doublement précieux pour nous. Les ecclésiastiques qui seront successivement appelés à administrer la paroisse n'oublieront pas que, derrière les boiseries du maître-autel se cache un intéressant débris de l'art médiéval, et ils devront se garder de faire ou de laisser faire rien qui puisse y porter dommage.

Nous joignons à cette notice un croquis de notre fresque pris par nous le jour même où elle a été définitivement recouverte. Nous en possédons une belle aquarelle exécutée d'après nos indications par M. Ferdinand Guybert, de Paris.

Louis GUIBERT.

BIBLIOTHÈQUE

DE LA

SOCIÉTE ARCHÉOLOGIQUE ET HISTORIQUE

DU LIMOUSIN

Nous avons rédigé récemment, pour le Ministère de l'Instruction publique, l'inventaire des pièces et volumes manuscrits que possède notre Société archéologique. Cet inventaire devant figurer dans le recueil général que prépare le Ministère, il n'y a point lieu de le reproduire ici. Nous donnerons donc seulement:

1o Le catalogue des ouvrages à figures, des cartes et plans relatifs au Limousin, que possède ladite Société;

2o Le catalogue de tous les ouvrages imprimés, antérieurs à la Révolution, qui sont entrés d'une manière ou d'une autre dans sa bibliothèque. Nous réservons pour une autre fois le catalogue des livres liturgiques, parce que la collection est à la veille d'un accroissement considérable. Quant à celui des publications modernes relatives à l'histoire du Limousin et des autres provinces de l'ancienne France, il peut être ajourné sans grand inconvénient dans une bibliothèque qui compte à peine un millier de volumes.

1.

I

CATALOGUE DES OUVRAGES A FIGURES,

DES CARTES ET PLANS RELATIFS AU LIMOUSIN

Plan figuratif, à la plume, des fontaines de Limoges, sous ce titre: C'est la figure des dohactz dez fontaines. P. REGINA. -Commencement du xvi° siècle. Parchemin, 0m,27 sur 0,40. (Cf. M. Paul DuCOURTIEUX dans le Bull. de la Soc. arch. du Limousin, XXXV, p. 96.)

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