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Grignard reçut sans doute encore de bonnes paroles, mais ce fut tout. Il songea alors à se tourner du côté de la Société archéologique et historique du Limousin. En août 1859, il se fit présenter comme membre correspondant par MM. Emile Ruben et Maurice Ardant. On savait que son Dictionnaire géographique était rédigé, et comme on se proposait justement de publier le Pouillé de Nadaud, on ne demandait pas mieux que d'obtenir de Grignard des renseignements précis, dans la crainte que les deux ouvrages ne fissent double emploi (1).

A la suite d'un rapport de M. Joseph Brunet, qui fut lu en présence de Grignard, à la séance du 28 décembre 1860, on décida. que la Société accorderait à l'auteur le patronage qu'il demandait pour la publication de son Dictionnaire géographique, mais on ne crut pouvoir le lui donner pour son Répertoire archéologique, M. l'abbé Arbellot ayant été chargé dans une précédente séance de la préparation de cette œuvre (2).

C'était le Ministère de l'Instruction publique qui avait promis en principe de faire les frais d'impression du Dictionnaire géographique. Mais M. Buisson de Masvergnier s'étant enquis personnellement, en avril 1863, de la suite donnée à cette promesse, il lui fut répondu que « on avait trouvé le travail de M. Grignard beaucoup trop considérable et pas assez châtié » (3). Grignard protesta deux ans plus tard contre la seconde partie de ce jugement dans une lettre adressée à M. Bonnin, président de la Société archéologique (4). En réalité le jugement était fondé.

Voici maintenant le relevé descriptif des œuvres d'Emile Grignard:

170 000*

1o Carte générale et détaillée du département de la Haute-Vienne à l'échelle de 1846. Elle indique les pierres levées et dolmens, les tumulus, les bornes miliaires, les inscriptions, les basreliefs, les pierres tumulaires, les restes des murs anciens, les excavations, les châteaux et demeures seigneuriales, les forteresses et villes fortifiées, les églises, abbayes et prieurés, les anciens travaux de mine, les mosaïques, les aurières, les retranchements, les fanaux, les champs de bataille, les monuments celtiques, romains et du moyen-âge.

Cette carte ayant été mise dans le commerce, on est surpris de lire dans le procès-verbal d'une séance de la Société archéologique

(1) Cf. le Bulletin de la Soc. arch. du Limousin, X, 189 et suiv. (2) Cf. le Bulletin, X, 264.

(3 et 4) Cf. le Bulletin, XIII, 243, et XV, 58.

du Limousin, tenue le 19 juillet 1852, la mention suivante, qui ne fait pas même allusion à l'existence du travail de Grignard.

« Un membre parle de la nécessité de dresser une carte archéologique du Limousin, sur laquelle on indiquerait, avec des signes particuliers, le style et les principaux caractères des divers monuments de la province. Un autre membre annonce que M. Auguste Du Boys s'occupe de cette carte archéologique » (Bulletin, IV, 116.) 2° Tableau synoptique des distances de toutes les localités de la Haute-Vienne. Vers 1850. Ce tableau, format grand aigle, est teinté de plusieurs nuances suivant les catégories de longueurs. Il permet de trouver immédiatement la distance d'un point quelconque du département à un autre. Dans l'angle inférieur de droite. se trouve une carte routière de la Haute-Vienne pour servir à l'intelligence du tableau.

3o Plan topographique de la ville de Limoges chef-lieu du département de la Haute-Vienne, dressé d'après les plans du cadastre et autres documents, publié avec l'approbation du Conseil municipal sous l'administration de M. Edouard de Mentque, officier de la Légion d'honneur, préfet; M. Louis Ardant, chevalier de la Légion d'honneur, maire de Limoges, par Emile Grignard, géomètre de 1re classe, à Limoges, 1851.

4o Dictionnaire des communes du département de la Haute-Vienne, contenant par ordre alphabétique la nomenclature des différentes positions habitées du département, telles que villes, bourgs, villages, hameaux, châteaux, moulins, maisons éparses, usines, etc. Donnant dans leur véritable orientement les distances géométriques de tous ces lieux à ceux dont ils dépendent administrativement, et présentant pour chaque localité l'état actuel de sa population ainsi que le nombre de maisons et de feux qui le composent, par Emile GRIGNARD, ingénieur attaché au cadastre de la France, 1er grand prix de statistique, 1852.- In-4o de 192 feuillets, inachevé. 5o Dictionnaire géographique, statistique et historique du département de la Haute-Vienne, contenant la description particulière et détaillée des différentes positions habitées du département, telles que villes, bourgs, villages, hameaux, châteaux anciens et modernes, moulins, usines, etc.; donnant les distances géométriques de tous ces lieux, au nombre de 12,800, à ceux dont ils dépendent administrativement; renfermant la description des étangs et lacs disséminés sur la surface du département, leur étendue, leur importance, la circonscription à laquelle ils appartiennent; des forêts et bois domaniaux, communaux et particuliers; des routes royales, départementales et des chemins de grande communication; des rivières, ruis

seaux et cours d'eau importants; résumant pour chaque localité tous les faits présentés par les chroniqueurs légendaires et annalistes, l'étymologie et la définition des noms d'un grand nombre de villes, bourgs, villages, etc.; offrant en précis l'histoire, les antiquités, la division politique, administrative et religieuse, les renseignements statistiques sur la population générale et partielle du département, l'industrie, le commerce, l'agriculture, les richesses territoriales, etc., et présentant séparément un aperçu statistique du département, des arrondissements, des cantons et des communes. Dédié à M. T. Morisot, maître des requêtes, préfet du département de la Haute-Vienne, et publié sous son patronage, par Emile Grignard, géomètre de 1re classe.

Le tome I (comprenant les lettres A-C) est seul dédié à M. Morisot, préfet du département.

Le tome II (lettres D-K) n'a plus de feuille de tête.

Le tome III (lettres L-M) est dédié à M. Petit de Lafosse, préfet du département, avec le millésime de 1853. L'auteur y prend le titre d'«< ingénieur, attaché au cadastre de la France, premier grand prix de statistique. »

Le tome IV (lettres N-S) et le tome V (lettres T-Z) portent même dédicace, même date et mêmes qualités que le tome III.

A la suite de la lettre Z, Grignard a inséré les plans de plusieurs monastères et châteaux qui n'avaient pu trouver place à leur rang alphabétique. A remarquer aussi que, dans les trois derniers tomes, beaucoup d'articles et de plans n'ont pas été achevés.

Un sixième volume, non tomé, porte ce sous-titre : Renseignements sur quelques villages, fournis par MM. les Maires. Il est, en effet, précédé d'une lettre lithographiée (avec tableaux annexes) par laquelle Grignard demande aux maires de chaque commune un complément d'informations sur les localités désignées. Cette lettre porte le millésime de 184.. Mais quelques-unes des réponses fournissent la date complète : 1847.

Une particularité à relever, c'est que Grignard, dans la lettre en question, se dit « sur le point de faire imprimer le Dictionnaire géographique de la Haute-Vienne, deux forts volumes grand in-4° ». Déclaration un peu prématurée, puisque l'auteur n'avait point

encore achevé la mise au net de ses fiches.

Il y a dans ce Dictionnaire trois parties à considérer, celles mêmes qu'indique le titre. Les indications topographiques sont sûres et précises; il suffirait d'un peu de patience pour les mettre au point. Les renseignements statistiques sont également puisés aux bonnes sources, mais ils n'ont plus, naturellement, qu'une valeur rétrospective. Quant aux données historiques et philologiques, elles forment

la partie faible de l'œuvre et c'est là sans doute ce qui motiva le jugement du ministère que nous avons rapporté. Il n'y a pas à en tenir compte. Grignard a fait entrer dans son Dictionnaire, suivant un classement nouveau, mais sans le moindre examen et sans vraie science, tout ce que lui ont fourni Bonaventure de SaintAmable, Allou et Tripon. C'est une compilation après tant d'autres.

6o Répertoire archéologique du département de la Haute-Vienne, sans date. Ms. de v-122 feuillets, in-4°. Les matières sont classées par arrondissements, cantons et communes. Table alphabétique des noms de lieux. Table méthodique et raisonnée.

En 1878, Mme veuve Grignard fit proposer au Conseil général de la Haute-Vienne de lui vendre les manuscrits de son mari. La proposition, présentée par M. Louis Guibert, appuyée par la Société archéologique, fut admise à la session d'août 1879, sur avis favorable de l'archiviste du département (1). Les huit volumes in-4° que nous venons de décrire, furent payés à raison 100 francs le volume. Cette générosité posthume fit ainsi entrer aux Archives de la Haute-Vienne le plus volumineux travail d'ensemble dont le département ait été l'objet depuis le cadastre.

Et maintenant où est l'éditeur intelligent et osé qui voudra achever l'entreprise de Grignard en donnant au public, sous une forme amendée et réduite, la substance de son Dictionnaire géographique et de son Répertoire archéologique? Combien d'années encore la Haute-Vienne devra-t-elle attendre ce que tant d'autres départements possèdent depuis si longtemps?

Les dernières années d'Émile Grignard furent sombres et difficiles. Il mourut à Paris, pauvre et découragé, aux environs de 1870.

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Nous connaissons trois notices sur Bosvieux : celle de l'Almanach limousin (1873, partie historique, p. 123), celle de M. Adolphe Magen (brochure de 36 pages, in-8°. Agen, Lamy, 1878), et celle de M. H. Bonhomme de Montégut en tête du Catalogue de la bibliothèque de notre compatriote (1887). Aucune n'a le mérite

(1) Cf. le Rapport du Préfet et les Procès-verbaux du Conseil général, 1879, p. 127, 186 et 293.

d'avoir suffisamment montré la place que tient cet érudit dans l'historiographie limousine, ni même d'avoir indiqué toutes les productions de sa plume. C'est ce qui nous détermine à reprendre sa biographie, en utilisant quelques notes recueillies depuis longtemps. Jean-Baptiste-Auguste Bosvieux est né à Saint-Yrieix le 22 janvier 1831, d'une honorable famille bien connue dans cette ville. Il fit ses études classiques au Lycée de Limoges et son droit à la Faculté de Paris où il suivit aussi, pendant seize mois seulement, les cours de l'École des chartes (1).

Nommé archiviste de la Creuse en janvier 1852, il se voua résolument à la tâche de réunir les matériaux d'une histoire de la Marche. Une tentative analogue, faite au milieu du xv siècle par Pierre Robert, n'avait point abouti, et celle de Joullietton, bien que condensée en deux volumes (1814), laissait fort à désirer à tous égards. Pendant douze ans, Bosvieux organisa le dépôt départemental de Guéret, classa les fonds, ramassa, analysa, transcrivitdes milliers de textes et, le premier dans sa province, voulut fonder l'histoire provinciale sur une étude critique des documents existants. En même temps que les documents d'archives, il collectionnait les livres publiés par des auteurs marchois et limousins ou imprimés à Limoges, Guéret, Tulle et Brive. Il se forma ainsi une bibliothèque spéciale telle qu'il n'y en avait point encore dans la province. Il fut assez heureux pour acquérir les Heures à l'usage de Limoges, imprimées par Gillet Hardouyn vers 1510, les Coustumes de la Marche (édition de 1526), les Heures de Nostre-Dame à l'usage. de Limoges, imprimées chez Hugues Barbou en 1582, et beaucoup d'autres raretės bibliographiques que les connaisseurs seuls savent apprécier à leur juste valeur.

En 1864, Bosvieux eut le tort irrémissible, paraît-il, de soutenir dans son département un candidat non officiel à la députation. Il fut aussitôt transféré dans le Lot-et-Garonne (2), à Agen. Il profita de cet exil pour dépouiller les archives de la vicomté de Limoges conservées à Pau, et qui n'étaient point encore inventoriées à cette date (3). Il visita aussi en curieux une partie de l'Espagne centrale, mais il n'en avait pas moins perdu le goût de son métier. Cédant aux instances d'un parent, premier président de la Cour de Colmar,

(1) Il n'a donc point été pourvu du titre d'archiviste-paléographe, comme l'affirme M. de Montégut. La date du 6 août 1850 qu'il cite est celle de l'entrée de Bosvieux à l'École, non de sa sortie.

(2) Et non point dans la Lozère, comme le dit par erreur l'Almanach

limousin.

(3) Depuis lors il n'y a que MM. Marvaud et Clément Simon qui les aient directement interrogées au profit du Limousin.

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