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BIOGRAPHIES

LIMOUSINES ET MARCHOISES

I.

LE PRÉSIDENT CHORLLON.

Le nom du président Chorllon, à peine connu de quelques personnes il y a deux ans, est aujourd'hui définitivement tiré de l'injuste oubli où il était enseveli. Ses Mémoires ont été publiés en 1886; son Registre de famille figure dans le recueil tout récemment paru des Livres de raison et registres de famille limousins et marchois. Et voilà qu'une œuvre d'un autre genre (des Collectanea restés manuscrits), peut être restituée en toute sureté à notre compatriote, grâce à une heureuse découverte de fraîche date dont nous entretiendrons plus loin les lecteurs du Bulletin.

Aucun Limousin ou Marchois des siècles passés (j'entends les Limousins limousinant) ne nous a laissé sur lui-même un aussi grand nombre de renseignements. Il y aurait donc matière à un portrait historique des plus intéressants et qui devrait tenter une plume exercée. Nous nous bornerons à consigner ici les faits acquis, en attendant que notre magistrat trouve un jour dans la Biographie limousine la place qu'il mérite.

Jean-Baptiste Alexis Chorllon, sieur de Cherdemont, était fils d'Isaac Chorllon, greffier en chef de l'élection de Guéret. Il naquit dans cette petite ville le 25 mars 1634, comme il nous l'apprend lui-même. Ses premières années s'écoulèrent toutes dans le milieu d'hommes de robe, d'avocats, de procureurs et de plumitifs que l'institution d'un présidial venait justement de grouper à Guéret. Tout collège faisant encore défaut dans sa ville natale, Chorllon fut envoyé à Moulins à l'âge de treize ans pour commencer ses études chez les Jésuites. Il les acheva plus tard à Bourges, dans un autre collège de la même compagnie. Il fut donc entraîné de

bonne heure dans le mouvement catholique qui caractérise la première moitié du xvI° siècle et y prit l'air de son temps. Ses humanités finies (1651), Chorllon passa du collège à l'université (c'était alors de tradition dans les familles riches), et fit son droit dans cette même ville de Bourges qu'illustrait encore le souvenir laissé par quelques savants du xvIe siècle. Reçu licencié à l'âge de dixhuit ans, il se rendit aussitôt à Paris pour obtenir le titre d'avocat en Parlement et s'adonner à la pratique des affaires juridiques.

Il n'en eut guère le temps; les troubles de la Fronde le ramenèrent à Guéret au bout d'un an. Il s'y maria sans autre délai (1652), et prit ainsi rang dans le monde à un âge où d'autres se consument encore en vains efforts à la poursuite du premier grade universitaire.

L'oisiveté n'était point le fait de Chorllon. Il accepta donc les fonctions de receveur des tailles, quoique peu conformes à ses goûts, et les conserva douze ans. En 1664, au prix de 12,000 livres, il acquit la charge de président au présidial de Guéret, vacante par la mort d'un M. Laboreys de Mastribut. Chorllon avait à peine

trente ans.

Cette charge fort enviée il l'exerça jusqu'en 1698, c'est-à-dire qu'il fut en fait, pendant un tiers de siècle, le premier magistrat de sa province, le gouverneur militaire de la Marche ne résidant guère. Il s'acquitta de ses devoirs professionnels avec zèle et assiduité, et s'il dut en partie à cette présidence la considération dont il jouissait parmi ses concitoyens, il lui apporta par une sorte d'action en retour l'autorité personnelle que lui donnaient la dignité de sa vie et le sérieux de son esprit.

Chorllon se démit de sa charge en 1698 pour la transmettre à son fils aîné, et mourut deux ans plus tard, le 1er août 1700, dans la ville même où il était né.

Chorllon était possesseur d'une assez belle fortune. Il en fit usage pour améliorer et embellir ses domaines ruraux, et nous a laissé sur ce point des détails instructifs dans son registre de famille. Ses enfants étaient nombreux : 5 garçons et 3 filles. Il eut des deuils de famille, qu'il nous a racontés avec une simplicité émue. Ses goûts intellectuels, sans être peut-être bien variés ni bien profonds, étaient tels qu'il convenait à son caractère. Il semble n'avoir eu pour les satisfaire que les ressources fort limitées de sa bibliothèque personnelle. Mais au xvIIe siècle les livres d'une bibliothèque de magistrat étaient choisis pour nourrir l'esprit plutôt que pour le divertir. Ils traitaient de théologie, de morale, de droit, de sciences plus ou moins dignes de ce nom, d'histoire pédante et ennuyeuse mais pourtant instructive. Pour

s'en approprier le contenu, il fallait y revenir souvent et les étudier plutôt que les lire. Quant aux œuvres d'imagination et de littérature proprement dite, on ne les connaissait guère encore au fond des provinces.

Chorllon fit comme tout le monde et nous avons une idée fort précise du champ de ses lectures dans ces extraits qu'il commença de rédiger dès son retour à Guéret, sous le titre de Collectanea ex variis authoribus, et qu'il poursuivit jusqu'en l'année 1659.

Son activité intellectuelle chercha ensuite une autre direction. Ancré à tout jamais dans sa province par son office de président autant que par ses intérêts domestiques, il aurait aimé en connaître l'histoire et se désolait de ne trouver aucun livre qui put la lui raconter (1). Il y avait dans ce sentiment élevé le germe des curiosités qui font l'historien et qui, quelques années plus tôt, avaient déterminé au Dorat la vocation d'un autre magistrat, Pierre Robert.

Chorllon ne se sentit point assez de talent pour imiter en tout son confrère. Il ne fit rien de lui-même pour dissiper l'ignorance où il se trouvait, rien pour redonner à la Haute-Marche le lustre historique que Pierre Robert venait de rendre à la Basse-Marche. Mais du moins il a voulu raconter son temps à ses neveux, et ceux-ci lui pardonneront aisément de ne s'être point fait historien puisqu'il a si bien su se faire chroniqueur. L'intérêt de ses Mémoires et de son Registre de famille égale certainement, s'il ne surpasse, celui que nous présentent les trois chroniques de Pierre Robert.

Chorllon a laissé :

1o Des Mémoires personnels qui furent commencés en 1664, mais qui s'étendent de 1635 à 1685 et traitent presque uniquement d'événements survenus dans la Marche. Ils ont été publiés pour la première fois, en 1886, par M. F. Autorde, archiviste du département de la Creuse. (Guéret, P. Amiault, in-8° de vi1-223 pages).

2o Un Registre de famille qui va de 1652 à 1673. Il continue celui des ancêtres et fut continué de même par le fils de Chorllon. Publié en 1886 dans le Bulletin de la Société historique de Brive, il se retrouve dans le recueil des Livres de raison et registres de famille limousins et marchois (Brive, M. Roche, 1888, p. 329 et suiv.), d'après une copie fournie par M. P. de Cessac.

3o Un registre manuscrit de Collectanea que nous allons décrire soigneusement.

Ce manuscrit, dont on ne connaissait pas même l'existence, a été acquis, il y a quelques mois seulement, par M. le pasteur Calluaud,

(1) Mémoires, p. 4 et 79.

de Limoges, chez un bouquiniste de la ville, au prix de quelques sous. Il est pourvu d'une forte reliure du temps (0,20 sur 0,14) avec filets d'or sur les plats et même sur le dos entre chaque nervure. Les tranches sont jaspées. Le tout est en bon état. Ce volume est intitulé: Collectanea ex variis authoribus sive opus suavissimis floribus celebriorum sententiarum Bibliæ, Doctorum ecclesiæ et aliorum Sanctorum, philosophorum, poetarum, ordine alphabetico refertum. Joannes Baptista Alexius Chorllon D. de Cherdemont.

Ce titre du feuillet de tête est entouré d'un large cadre fort joliment dessiné à la main sous la signature: JOLLAIN EXCUD. Les parties verticales sont remplies par des plants de fleurs variées. La partie horizontale supérieure est occupée par des volatiles et des insectes butinant leur nourriture de chaque côté d'un cartouche ovale surmonté des initiales I H S.

La partie horizontale inférieure est également pourvue d'un cartouche avec cette indication: ANNO DOMINI 1652, qui complète le titre. De chaque côté de ce second cartouche on voit des Amours chevauchant sur des bâtons.

Le titre que nous avons reproduit se retrouve un peu abrégé à la page 1, mais le mot Collectiones est substitué au mot Collectanea. Puis le recueil commence avec l'article Absentia et se continue jusqu'à la fin sans autre interruption que celles des rubriques répétées au haut de chaque page en forme de « titre courant ». Cependant au bas de la page 246, on lit en grosses lettres : JOANNES BAPTISTA ALEXIUS CHORLLON D. DE CHERDEMONT, 1654, au milieu de l'article Crudelitas. De même encore au bas de la page 576, avec la date 1656, à la suite de l'article Invidia.

L'ordre alphabétique est, en effet, rompu à partir de ce mot et les articles Superbia, Tyrannus occupent les pages 577-599 par suite d'une erreur de transcription. A la page 600 vient l'article Ira et l'ordre alphabétique reprend sans autre interruption qu'un avertissement après l'article Studium (p. 884) pour renvoyer aux articles S et T. Notons pourtant cette autre irrégularité que les mots Tyrannus et Virginitas ont chacun deux articles rédigés par reprise.

Ces légères imperfections sont atténuées par la table alphabétique avec renvoi aux pages, qui remplit les quatre derniers feuillets suivis de cette mention finale: Joannes Baptista Alexius Chorllon D. de Cherdemont, anno Domini 1659.

C'est donc entre 1652-1659 que cette œuvre a été composée, au temps où Chorllon était simple receveur des tailles. La seule note personnelle qu'on y relève est le cri de soulagement que pousse l'auteur en terminant son œuvre Deo laus et gloria Virginique matri. Finis, à la suite du dernier article.

Il y avait, en effet, de quoi se sentir satisfait. Ce gros volume de 988 pages (sans compter le feuillet liminaire) est d'une écriture très nette, très fine, très régulière, sans aucune rature, d'où nous inférons qu'elle est une « mise au net » de notes recueillies d'abord sur feuilles volantes. Nous retrouvons ici les qualités d'ordre et de clarté que le président Chorllon révèle si bien dans son Registre de famille. La variété de ses connaissances, que l'on pouvait soupçonner déjà par quelques passages de ses Mémoires, devient manifeste par ce volume de Collectanea. Nous allons le montrer plus à plein en indiquant maintenant quel est le contenu de ce volume.

Il contient exactement 365 articles, les uns concernant la morale Adversitas, Adulterium, Gaudium, Modestia, Solitudo, etc.; Les autres, le droit Adoptio, Advocatus, Domaine du roy, Vectigal, etc.;

D'autres, la philosophie: Animus, Deus, Homo, Instructio liberorum, Principia rerum, Vir magnus, etc.;

Ou bien les sciences Metallum, Oculi, etc.;

Astrologia, Bibliotheca, Medicina,

Ou encore l'histoire des mœurs: Balnea, Banquet, Castratus, Cælibatus, Incantatio, Maleficium, Masques, Meretrix, Peregrinus, Sodomia, Venatio;

Ou enfin l'histoire ecclésiastique et profane Cloches, Concilium, Conjuratio, Historia, Imperator, Respublica, Sepultura, Tyrannus, etc.

C'est donc une sorte de memento ou, si l'on veut, un recueil d'extraits d'auteurs, tel que les écoliers en rédigent encore de nos jours sur un plan moins développé. Nous ne connaissons rien de semblable dans les dépôts publics de nos trois départements limousins. C'est ce qui nous a déterminé à décrire aussi longuement celui que nous a laissé le président Chorllon.

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Tripon est un modeste dessinateur lithographe qui, au commencement du règne de Louis-Philippe, entreprit de doter le Limousin d'un ouvrage descriptif et reproductif de ses principaux monuments. Le goût était à cette sorte de publications depuis que M. de Caumont avait ramené la curiosité savante des monuments de l'antiquité sur ceux du moyen-âge, et que Charles Nodier et le

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