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théologie au Collège de Limoges, réfuta le discours du P. Foucaud, et fit paraître une lettre, datée du 17 janvier 1791, sous ce titre Lettre de M. M. (Montbrial), professeur de théologie, à M. N. (l'abbé Vitrac aîné), curé des environs de Limoges (Mont-Jauvy). Une seconde lettre, avec ce même titre, parut le 29 janvier suivant. L'abbé de Montbrial réfutait victorieusement le P. Foucaud, et démontrait en particulier, de la façon la plus péremptoire, qu'il avait cité à faux le concile de Chalcédoine.

Le P. Foucaud ayant répondu à l'abbé de Montbrial par un factum intitulé: Résumé civico-critique, l'abbé Vitrac entra en lice et fit paraître une brochure de quarante-six pages dans laquelle il donne de rudes leçons à son adversaire. Elle a pour titre Lettre de M. N..... (l'abbé Vitrac), curé des environs de Limoges (Mont-Jauvy), au révérend père Foucaud.

Le révérend père fut obligé de reconnaître que la prétendue citation du concile de Chalcédoine avait été puisée dans les œuvres d'un moine grec schismatique nommé Blastarès, et il dit, pour se justifier, que cette cilation contestée lui avait été adressée de Toulouse avec la fausse indication.

On comprend, après cela, que l'abbé Vitrac ait refusé de prêter serment à la constitution civile du clergé (1); mais il devait payer cette désobéissance à une loi inique par la prison et l'exil. Avant de quitter Limoges, il dut être témoin des faits attristants qui précédèrent les saturnales de 93: l'intrusion de l'évêque constitutionnel (19 mars 1791), la prise de possession des églises par le clergé schismatique, les scènes révoltantes qui eurent lieu dans la chapelle du Refuge, près de l'hôpital, le second dimanche de carême (4 mars 1791), etc.

Le 1er octobre 1791, l'Assemblée législative succéda à l'Assemblée constituante, et le 26 mai 1792, elle condamna à la déportation les prêtres qui refuseraient de prêter serment. L'abbé Vitrac fut emprisonné dans les bâtiments de l'abbaye de la Règle avec ses trois frères, Jean-Baptiste, curé de Saint-Sylvestre, Elie, curé de La Bregère, et Léonard, vicaire de Saint-Martin-le-Vieux.

VII. Le 21 septembre 1792, l'Assemblée législative fut remplacée par la Convention, et la République fut proclamée. Dans

(4) Son refus de serment, motivé, se trouve manuscrit aux archives de la Haute-Vienne. (Renseignement fourni par M. le chanoine Tandeau de Marsae). Et son frère Elie, curé de La Bregère, écrivit sur son registre paroissial, en quittant sa cure, ces nobles paroles: Potius mori quam foedari. (Renseignement fourni par M. Alfred Leroux, archiviste).

ce même mois, l'abbé Vitrac et ses trois frères partirent de Limoges avec les vicaires de Saint-Pierre, deux vicaires de SaintMichel, et d'autres prêtres, au nombre de quatorze. Arrivés à Uzerche, ils faillirent être tous massacrés par une partie du bataillon de Tulle; et ils l'auraient été le lendemain matin, malgré la surveillance du maire, M. de Clédat; mais M. Ardant de La Grénerie, commandant de la garde nationale, après leur avoir procuré des passeports pour retourner sur leurs pas, les fit évader pendant la nuit, par des chemins détournés, et escorter par la garde nationale. Ils partirent de Limoges par une autre route, qui ne se trouva pour eux ni libre d'obstacles ni exempte de dangers (1). L'abbé Vitrac se réfugia en Espagne, dans la province de Catalogne, et, pendant neuf ans, il éprouva « combien le pain de l'exil est amer, et combien il est pénible de descendre et de monter par l'escalier d'autrui » (2).

Le 21 janvier 1793, la tête du roi-martyr tomba sur l'échafaud de la place de la Concorde. La sinistre nouvelle ne tarda pas à arriver en Espagne; et un mois après, le 21 février, l'abbé Vitrac prononça l'oraison funèbre de Louis XVI, en langue latine, dans la petite ville de Castellon-de-la-Plane, située en Catalogne, non loin des frontières de France (3).

Deux mois avant de quitter sa ville natale, l'abbé Vitrac avait été péniblement impressionné par la mort de l'abbé Chabrol, prêtre insermenté, que la populace avait massacré en pleine rue, devant la fontaine des Barres (15 juillet 1792). C'était un prélude des tristes évènements qui se passèrent à Limoges dans les derniers mois de 1793 et au commencement de 1794: l'exécution capitale de l'abbé Esmoingt de La Grelière (4), suivie de celle de

(1) L'abbé BULLAT, Tableau historique de Limoges, ms. (Eglise de Saint-Michel).

(2)

Tu proverai siccome sa di sale

Lo pane altrui, e com'è duro calle

Lo scendere e'l salir per l'altrui calle.

(DANTE, Paradiso, canto XVII, v. 58).

(3) M. Emile du Boys, à Rochefort-sur-Mer, possède le manuscrit de cet éloge funèbre.

(4) Curé de Notre-Dame-d'Eymoutiers, guillotiné sur la place de la Fraternité (!!), aujourd'hui place d'Aine, le 24 brumaire an II (14 novembre 1794). C'est à tort que l'abbé Labiche, dans la Notice qu'il a consacrée à l'abbé Esmoingt, place sa mort au 12 novembre. (Vie des Saints, 1. III, p. 432).

six autres prêtres du canton d'Eymoutiers (1); l'orgie révolutionnaire et la procession sacrilège du 5 décembre 1793, terminée par l'exécution capitale de l'abbé Rampnoux du Vignaud. Comme le cœur de l'abbé Vitrac dut saigner en apprenant ces lugubres évènements qui désolaient et déshonoraient sa patrie!

VIII. — Pendant son séjour à l'étranger, dans le cours des années 1793, 1794 et 1795, l'abbé Vitrac prononça les oraisons funèbres de Louis XVI, de Marie-Antoinette, de Madame Elisabeth et du Dauphin (Louis XVII) dans plusieurs églises d'Espagne, en présence des grands du royaume, des membres de la noblesse et du clergé de France, réfugiés dans ce pays, il prononça ces oraisons funèbres en langue espagnole mais il les traduisit lui-même en français et elles ont été publiées neuf ans après sa mort (1814), par les soins d'un de ses neveux, fils d'une de ses sœurs, M. Bouriaud cadet, professeur au Lycée de Limoges.

L'abbé Vitrac employa laborieusement les années de l'exil il acquit dans l'étude de la Bible et des Pères de l'Eglise, spécialement de saint Ambroise, de saint Jérôme et de saint JeanChrysostome, une érudition ecclésiastique qui lui manquait. Le 22 février 1797, il se trouvait à Bénicarlo, dans le royaume de Valence, comme le prouve une lettre écrite de cette localité à Mgr D. Vicente-Maria de Palafox y Rebolledo, amiral d'Aragon (2).

A la suite du concordat passé entre le Saint-Siège et le premier consul, le 26 messidor an IX (15 juillet 1801), le clergé français revint des diverses parties de l'Europe où il s'était réfugié. Il revint avec le prestige qui lui donnaient les malheurs de l'exil et les persécutions vaillamment supportées pour la cause de la religion. L'abbé Vitrac, après neuf ans d'absence, rentra à Limoges avec ses trois frères, ajoutant à son ancienne réputation d'orateur l'auréole de confesseur de la foi.

(1) Jean-Joseph Raymond, vicaire de Bonnat, trente-sept ans; Jean Raymond, curé de Bussy-Varache, près Eymoutiers, soixante ans ; PierrePsalmet Cramouzaud, curé de Beaumont, soixante-deux ans ; Jean Tiquet, vicaire de Châteauneuf, trente-cinq ans, guillotinés le 1er frimaire an II (21 novembre 1793); Jean Gaston, curé de Sainte-Anne, quarante-trois ans ; Melchior Perol, vicaire d'Eymoutiers, quarante-deux ans, guillotinés le 20 janvier 1794. (Louis GUIBERT, Bulletin de la Société archéologique, t. XXIX, p. 108).

(2) Cette lettre se trouve entre les mains de M. Emile Du Boys, à Rochefort-sur-Mer.

IX. Un an après la signature du Concordat, le dimanche 22 messidor an X (11 juillet 1802), Mgr Dubourg, évêque de Limoges, fut installé dans sa cathédrale par l'abbé Romanet, ancien doyen du chapitre, délégué de l'archevêque de Bourges, en présence de M. Texier-Olivier, préfet de la Haute-Vienne, du général d'Espagne, commandant la subdivision, du maire de Limoges, et des autres autorités civiles et militaires. La 28° demibrigade, en garnison dans cette ville, était sous les armes; une foule immense de citoyens garnissait la Cathédrale, la place de l'Evêché et les rues adjacentes. Le Préfet présenta les clefs de la Cathédrale à l'évêque, et lui adressa une allocution, ainsi qu'aux citoyens ecclésiastiques. Pendant la messe, qui fut chantée par Mgr Dubourg, l'abbé Vitrac, ancien curé de Mont-Jauvy, prit la parole. Nous lisons dans le compte-rendu officiel de la cérémonie: « Le citoyen Vitrac, prêtre, a prononcé un discours où il a célébré les vertus et les talens du premier consul, et prêché la réconciliation des divers partis qui ont divisé l'Eglise et l'Etat (1) ». Nous possèdons une copie authentique de ce discours: nous en détachons le passage suivant relatif au premier consul.

« Un jeune guerrier qui, vainqueur au pont de Lodi, avait déjà éclipsé la gloire des plus fameux conquérants, tant anciens que modernes, pouvait arracher aux dominateurs de la France asservie un sceptre qui, dans leurs mains, était une torche funèbre et dévastatrice. Il ne faut donc plus s'étonner s'ils l'éloignèrent du territoire français, sous le spécieux et flatteur prétexte de l'envoyer conquérir et civiliser l'antique patrie des sciences et des arts, mais, dans la réalité, avec le dessein perfide et l'intention homicide qu'eut David lorsqu'il envoya Urie à Joab.

» O mon Dieu! un si horrible machiavélisme aura-t-il le succès qu'on ose s'en promettre? Rassurez-vous, chrétiens; le jeune héros, à la tête de sa valeureuse et toujours triomphante armée, franchit les mers, étonnées de sa bravoure, désembarque ses intrépides phalanges, et avec la rapidité de l'éclair, s'empare d'Aboukir, d'Alexandrie, du Caire et de l'isthme de Suez. La conquête de toute la Haute-Egypte couronne bientôt de si brillants triomphes. Au milieu de ses glorieux exploits, l'esclavage de sa patrie, qu'il chérit plus que la célébrité, déchire son cœur vraiment citoyen (sic). Je me le représente se dérobant aux acclamations que lui prodiguent ses frères d'armes et méditant dans le

(1) Relation de l'arrivée et de l'installation de Monsieur l'Evêque de Limoges, p. 7.

silence sur les moyens de briser les lourdes et honteuses chaînes qui oppriment la France. Il me semble le voir, traçant au général qui doit le remplacer le plan qu'il doit suivre pour conserver le fruit de ses conquêtes, pour attaquer et pour vaincre; il part: Moyse sortit de l'Egypte dans le dessein généreux de délivrer le peuple Hébreu du joug de Pharaon; Bonaparte s'éloigne des rives du Nil avec le projet civique de délivrer le peuple français de la tyrannie de ses despotes.

>> Avec moins d'intrépidité, il aurait dû craindre d'éprouver à son arrivée le sort d'une foule de généraux plus malheureux que coupables. Mais enveloppé de sa gloire et surtout de l'amour de ses concitoyens, il se présente courageusement aux directeurs, j'ai presque dit aux destructeurs de la France. La rage s'empare de leurs cœurs, s'y concentre et y cache ses fureurs avec la plus astucieuse dissimulation; elle combine mystérieusement les moyens de punir un général qui, sans autorisation légale, a abandonné l'armée qu'il commandait. Le prudent héros pénètre et prévient ces projets de vengeance, et presqu'en un clin d'œil le colosse du despotisme est renversé. La statue de Nabuchodonosor fut réduite en poudre avec moins de facilité. En vain un monstre vomi par les enfers s'est précipité sur le libérateur de la patrie et a tenté de plonger le poignard dans son sein: le Dieu qui veille avec tant de soin sur les destinées de la France a rendu impuissants les barbares efforts de l'anarchiste forcené.

» Bientôt à un gouvernement qui inspirait le mépris et l'horreur par son ineptie, ses injustices et sa férocité, succèdera une administration qui, par sa loyauté, sa prudence et son humanité, commandera la confiance et l'amour. Déjà sont abrogées toutes les lois de sang et d'usurpation; déjà le choc des opinions, des intérêts, des passions est moins bruyant; déjà la paix, la douce paix est assise sur des bases honorables et solides; déjà les emplois, jusqu'alors presque exclusivement exercés par l'impéritie jointe à l'immoralité, sont accessibles aux talents joints à la probité; déjà la patrie a ouvert son sein maternel à une foule d'infortunés, proscrits parce qu'ils aimaient leur religion et le bon ordre et parce qu'ils avaient fui les cachots et les supplices.

>> Que les amis des troubles et des réactions, que les ennemis de Dieu et de ses autels s'agitent, se coalisent et inventent une machine vraiment infernale qui, vomissant de son sein embrasé l'épouvante et la mort, puisse précipiter dans les horreurs du tombeau le grand homme qu'ils redoutent et détestent, la divine providence fera en sa faveur, ou plutôt en faveur de la République française un nouveau prodige. Le même Dieu qui l'a défendu

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