Page images
PDF
EPUB

pour être entendu et pour être aimé, il n'arrive dans cet objet aucun changement.

Les quatre autres catégories s'entendent par elles-mêmes, et ne marquent, selon Aristote, que des rapports. L'étre dans le lieu et l'être dans le temps marquent le rapport qu'ont les êtres à ces deux choses, la situation marque celui des parties les unes avec les autres, et l'avoir ou étre habillé, celui qu'a un corps avec l'habit dont il est vêtu.

Aristote distingue encore d'autres manières d'avoir qui se répandent dans les autres catégories 64: on dit, dans la qualité, avoir de la santé ou de la science; dans la quantité, avoir trois pieds, ou plus ou moins; dans la relation, avoir un père, avoir un fils, un mari, une femme, et ainsi du reste. Mais l'avoir, qui est propre à cette catégorie, c'est avoir un anneau, un habit, une arme, et cet avoir est une espèce de relation.

L'action même et la passion, selon qu'Aristote les explique en ce lieu, ne sont qu'une espèce de rapport. Si le feu m'échauffe, je suis échauffé par le feu; si je suis échauffé par le feu, le feu m'échauffe. Cela n'est au fond que la même chose; c'est ce qu'on appelle en grammaire tourner l'actif par le passif, et au contraire; de sorte que l'action et la passion, considérées en cette sorte, ne diffèrent en rien 65.

Voilà ce que nous apprennent les catégories. Elles accoutument l'esprit à ranger les choses et à les réduire à certains genres, pour de là descendre au détail des effets de la nature, et aux autres enseignements plus précis de la philosophie.

CHAPITRE LVIII.

Des opposés.

Après les catégories 66, Aristote explique (Cat., c. 40) en combien de sorte les choses sont opposées l'une à l'autre, et il en marque quatre.

L'opposition est entre deux choses qui se regardent l'une l'autre, et qu'on regarde aussi par cette raison, comme mises à l'opposite. Tous les opposés s'excluent l'un l'autre ; mais en différentes façons.

Le premier genre d'opposés est fondé sur la relation. Car les choses, par leur rapport, se regardent mutuellement, et s'excluent aussi l'une l'autre. Le double est opposé à la moitié, et la moitié au double; le semblable est opposé au semblable qui lui répond,

et l'égal à l'égal; le père et le fils, comme tels, se regardent mutuellement, et sont mis à l'opposite l'un de l'autre.

Le second genre d'opposition est la contrariété, comme le froid est contraire au chaud, le blanc au noir, le sec à l'humide; et Aristote remarque que ce genre d'opposition ne se trouve que parmi les qualités, quoiqu'elle ne se trouve pas entre toutes.

Le troisième genre d'opposition est l'habitude; l'habitude est la privation. Avoir la vue, c'est l'habitude; l'aveuglement, c'est la privation de la vue.

Le dernier genre d'opposition est appelé opposition contradictoire qui consiste en affirmation, et en négation; cela est, cela n'est pas; il est sage, il n'est pas sage, sont choses contradictoirement opposées.

La différence de la contrariété avec l'opposition privative et la contradictoire, consiste en ce que les termes des deux contraires sont positifs, par exemple, le chaud et le froid, au lieu que parmi les termes des deux autres oppositions, l'un est positif et l'autre privatif ou négatif, ainsi qu'il a été dit 67.

Au reste, on regarde quelquefois comme opposées les espèces qui sont rangées sous le même genre; et, en effet, elles sont incompatibles. Être chien et être cheval sont choses qui s'excluent mutuellement. Mais ces choses et autres semblables s'appellent choses différentes ou choses de divers ordres, plutôt que choses opposées.

CHAPITRE LIX.

De la priorité et postériorité.

Ensuite des opposés, Aristote fait le dénombrement de toutes les manières dont les choses peuvent être devant ou après l'une l'autre. Elles sont donc devant ou après, ou selon l'ordre des temps, comme Alexandre est devant César; ou selon la dignité et le mérite, comme les rois sont devant leurs sujets, et les vertueux devant les rois mêmes; ou selon l'ordre d'apprendre, comme les lettres sont devant les mots, les mots devant le discours, les principes devant les sciences; ou selon l'ordre des conséquences, secundùm existendi consecutionem 68, quand une chose suit de l'autre, et non du contraire; par exemple, de ce que deux sont, il s'ensuit qu'un est aussi; mais comme de ce qu'un est, il ne s'ensuit pas de même que deux soient, il faut dire qu'un est devant deux, parce qu'il peut être et être entendu avant qu'on songe à deux, c ou que deux soient,

Et quand même les propositions se convertissent absolument, en sorte que si l'une est, l'autre est aussi, celle qui marque la cause est censée antérieure à celle qui marque l'effet. Car si le Roi a pris Cambrai, le discours qui dit qu'il l'a pris, est véritable; et si ce discours est véritable, il est vrai aussi que Cambrai a été pris par le Roi. Mais parce que la vérité de ce discours n'est pas cause que la place a été prise, et au contraire que la prise de la place est cause que le discours est vrai, il s'ensuit que cette prise est antérieure à la vérité de ce discours. Cette priorité s'appelle priorité de nature, à cause qu'elle est fondée sur l'ordre naturel des causes; c'est par là que le soleil est antérieur à ses rayons et à sa lumière, et ainsi du reste.

Cette priorité de nature étant jointe aux quatre autres, nous avons cinq manières d'être devant ou après, qu'il est nécessaire de bien observer, pour parler et raisonner avec justesse.

En autant de manières qu'on peut dire que les choses sont l'une devant l'autre, on peut dire aussi qu'elles sont ensemble.

CHAPITRE LX.

Des termes complexes et incomplexes.

Jusqu'ici nous n'avons parlé que des termes simples, qu'on appelle aussi incomplexes, parce qu'ils ne contiennent qu'un seul mot, comme Dieu, homme, arbre, et ainsi des autres; il n'est pas moins nécessaire d'entendre les termes complexes.

Les termes complexes sont plusieurs termes unis qui, tous ensemble, ne signifient que la même chose. Comme si je dis : Celui qui, en moins de six semaines, malgre la rigueur de l'hiver, a pris Valenciennes de force, mis ses ennemis en déroute, et réduit à son obéissance Cambrai et Saint-Omer, tout cela ne signifie que Louisle-Grand.

Par ces termes, je n'affirme ni ne nie rien; et ainsi cette longue suite de mots appartient à la simple appréhension.

On se sert de termes complexes, ou pour exprimer en quelque façon ce qu'on ne sait pas, ou pour expliquer plus distinctement ce qu'on sait. Ce qui fait que le fer va à l'aimant, que l'aiguille aimantée se tourne au pôle, que l'eau régale dissout l'or, et les autres expressions semblables, sont termes complexes qui servent à signifier quelque chose qu'on n'entend pas; et on en emploie souvent qui expliquent en particulier ce qu'on n'avait entendu qu'en confusion.

Parmi ces termes complexes, les uns expliquent seulement, comme ceux que nous avons vus; les autres déterminent et restreignent comme quand je dis la figure quadrilatère ou à quatre côtés, qui les a tous quatre égaux, le mot de figure quadrilatère est restreint par les derniers mots au seul carré.

Le roi de France qui a pris deux fois la Franche-Comté pendant l'hiver, cela détermine la pensée à Louis XIV.

CHAPITRE LXI.

Récapitulation; et premièrement des idées.

Il est bon maintenant de recueillir ce qui a été dit, et d'en tirer les préceptes nécessaires pour la logique.

Son objet est de diriger à la connaissance de la vérité les opérations de l'entendement.

Il y en a trois principales, dont la première conçoit les idées, la seconde affirme ou nie, la troisième raisonne.

Ces trois opérations de l'esprit divisent la logique en trois parties. La première opération de l'esprit est la simple conception des idées que les termes signifient, sans rien affirmer ou nier.

Ainsi cette première opération de l'esprit oblige à considérer la nature des idées et des termes.

Les idées sont les premières, et les termes ne sont établis que pour les signifier.

Il faut donc commencer par les idées.

DÉFINITIONS ET DIVISIONS.

I. L'idée est ce qui représente à l'esprit la vérité de l'objet entendu.

II. Les idées représentent leur objet, ou comme subsistant en soi-même, comme quand on dit Dieu, homme, esprit, corps, animal, plante, métal; ou comme attaché et inhérent à un autre, comme quand on dit science, vertu, figure, rondeur, mouvement, durée.

Les premières peuvent s'appeler des idées substantielles, et les autres des idées accidentelles.

III. D'ailleurs, ou ces idées représentent dans leur objet quelque chose d'intelligible de soi, comme dans l'âme, qu'elle pense ou qu'elle raisonne, et dans le corps qu'il soit rond ou pointu; ou ce qu'elles y représentent n'est pas intelligible de soi, comme,

dans l'aimant, la qualité qui lui fait attirer le fer, et, dans la blancheur, la qualité qui lui fait dissiper la vue.

Les idées qui représentent dans leur objet quelque chose de clair ou d'intelligible de soi, s'appellent claires et distinctes; les autres s'appellent obscures ou confuses.

Il faut ici remarquer que l'idée confuse marque quelque chose de clair, mais non pas dans son objet même, comme quand on dit que l'aimant attire le fer, ce qui est clair, c'est que le fer va à l'aimant, et cela n'est pas dans l'aimant même : mais ce qui est dans l'aimant même, c'est-à-dire ce qu'il a en lui, par où le fer est disposé à s'y attacher, n'est pas clair.

IV. On peut donc donner pour axiome indubitable que toute idée a quelque chose de clair, mais non pas toujours dans son objet; et c'est ce qui fait la différence des idées confuses d'avec les distinctes.

PROPRIÉTÉS DES IDÉES.

Les propriétés des idées s'expliquent par ces propositions dont les unes suivent des autres :

I. Les idées ont pour objet quelque vérité, c'est-à-dire quelque chose de positif, de réel et de véritable.

II. Tout ce qui est négatif est entendu par quelque chose de positif.

III. Les idées suivent de la nature des choses qu'elles doivent représenter. C'est pourquoi elles représentent les substances sans les attacher à un sujet, et les accidents comme étant dans un sujet.

IV. Les idées semblent quelquefois changer la nature, mais pour la mieux exprimer. Cette proposition a deux parties dont la dernière est une suite de la première, et la première va être expliquée.

V. Les idées font des précisions, et représentent une même chose, selon de différentes raisons; par exemple, le même homme comme citoyen, comme prince, comme père, comme fils, comme mari, et le reste; la même âme comme sensitive, comme imaginative, comme intellectuelle, et le même corps comme long, comme large, comme profond.

VI. Les idées sont universelles, et représentent plusieurs choses sous une même raison, comme l'homme, le chien, le cheval, sous la commune raison d'animal; l'équilatéral, l'isocèle, le scalène, etc., sous la commune raison de triangle rectiligne.

« PreviousContinue »