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16- Année. – N° 2. Omnes omnium caritates patria una complexa est.

28 février 1878.

ON S'ABONNE

EN FRANCE

REVUE SAVOISIENNE

Par un bon postal à l'or- JOURNAL PUBLIÉ PAR LA SOCIÉTÉ FLORIMONTANE D'ANNECY

dre du Directeur;

A L'ÉTRANGER

Par un effet sur une maison d'Annecy.

La Revue rendra compte des ouvrages dont deux exemplaires lui auront été adressés.

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On connaît l'ingénieuse classification proposée par M. de Mortillet pour l'âge de la pierre. Prenant comme base, non les animaux caractéristiques, mais les produits industriels, il divise cet âge en périodes dont les noms sont empruntés à des gisements célèbres. Pour la Haute-Savoie, nous n'aurons pas à nous occuper des trois époques les plus anciennes, l'Acheuléen, époque de Saint-Acheul, offrant comme types les grands instruments de pierre en forme d'amande; le Moustiérien, époque du Moustier, avec ses pointes de silex retaillées d'un seul côté; et le Solutréen, époque de Solutré, distinguée par ses silex en feuille de laurier, travaillés des deux côtés. Après ces trois premières phases de l'industriê humaine, où les instruments sont uniquement en pierre taillée, se place le Magdalénien, époque de la Madeleine; alors apparaissent, associés à la pierre taillée, les instruments en os: les grottes du Salève nous en offriront des exemples. Vient enfin le Robenhausien, époque de Robenhausen, avec ses haches polies en pierre, dont nos stations troglodytiques présentent plus d'un spécimen.

Après l'âge de la pierre, celui des métaux, divisé en époque du bronze et première époque du fer, est largement représenté; nous trouverons même dans les grottes de la Haute-Savoie des preuves que ces logements naturels ont été utilisés jusqu'à l'invasion romaine et au-delà.

STATION DE VEIRIER. La plus ancienne trace d'habitation humaine signalée jusqu'à ce jour dans la Haute-Savoie existe au pied du mont Salève, sur les pentes qui confinent la frontière genevoise, entre le sentier du Pas-de-l'Echelle et Veirier. Elle appar

tient aux beaux temps de l'époque de la Madeleine, que l'on n'a pu encore rattacher à l'apparition de la pierre polie. Comme l'attestent les ossements conservés dans les musées de Genève, d'Annecy, de Saint-Germain et dans plusieurs collections particulières, le renne paissait alors dans nos plaines. A côté de ces animaux relégués aujourd'hui dans les régions les plus septentrionales se trouvait la faune de nos montagnes plus élevées, le bouquetin, le chamois, la marmotte, le lièvre variable, plus connu de nos chasseurs sous le nom.de lièvre blanc, l'ours brun, le lynx ou loup-cervier, le tétras lagopède ou perdrix blanche. Les autres espèces rencontrées dans cette localité sont le cerf, le chevreuil, le castor, le cheval, le bœuf, le cochon, le renard, le loup, le blaireau, le lapin, la cigogne. On a signalé aussi le chat, le putois, la marte, le campagnol, la poule et la grive, mais il se pourrait que ces animaux fussent entrés là plus tard, l'un emportant l'autre pour le

croquer.

Les principaux explorateurs ont été, vers 1835, MM. Mayor père, Deluc et Taillefer; puis, dès 1863, M. Hippolyte Gosse, suivi de M. Alphonse Favre en 1867 et de M. Thioly en 1868. Il règne quelque incertitude sur l'emplacement précis de plusieurs trouvailles, et M. Troyon a même attribué à la grotte d'Etrembières quelques objets provenant de Veirier. Quoi qu'il en soit, les découvertes ont eu lieu sur cinq ou six points assez rapprochés, groupés dans les terrains d'éboulement et dans les carrières de pierre calcaire qui se trouvent sur le territoire de la commune française de Monnetier-Mornex, tout près du village suisse de Veirier; c'est pour cela que ces stations ont pris le nom de stations de Veirier. Les blocs amoncelés ont laissé entre eux des intervalles qui ont servi d'habitation permanente, ou tout au moins d'abris de chasse.

Une riche moisson a récompensé les efforts des travailleurs. Les silex ont été recueillis par centaines. La plupart, il faut le dire, ont une chétive apparence: ils sont de petite dimension, souvent mal taillés, et n'auraient pas fait envie aux ouvriers qui fabriquaient vers le même temps les blondes lamelles des Eyzies, de la Madeleine ou de Laugerie-Basse. La matière employée est le plus souvent un silex gris ou noir, d'aspect mat, semblable à celui que j'ai rencontré sur l'autre versant du Salève, dans les

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ont été détachés les couteaux (fig. 2, id.), les grattoirs et lissoirs (fig. 3, 4, 5, 6, id.), les scies (fig. 7, id.), les pointes de flèches, les perçoirs (fig. 8, id.).

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sur l'une des faces, un bouquetin facilement reconnaissable à ses longues cornes; sur l'autre côté est une branche de feuillage élégamment burinée. Si les hommes de ces âges reculés sont les descendants d'une famille de singes, il faut convenir que les bimanes d'alors, succédant à leurs grands-pères les quadrumanes, avaient déjà singulièrement progressé pour arriver à faire de telles compositions... Sur la partie évasée de ce bâton il existe des encoches régulières était-ce une marque de dignité, comme les

chevrons de nos sergents, ou des additions indiquant le nombre des grandes bêtes sauvages abattues par le chasseur? Un autre bâton (fig. 20, Musée de Genève) a des entailles analogues, et des creusures autour de la perforation; sur la seconde face est gravé un animal à museau pointu (fig. 21). Un autre bâton offre une bête à large queue, qu'on pourrait prendre pour un castor (fig. 22, id.); à côté, des traits moins nettement tracés semblent représenter l'arrière-train d'un cheval.

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Tandis que les hommes décoraient avec orgueil les poignées de leurs armes, les femmes paraissent ne pas avoir montré moins de sollicitude pour leur parure un grain de collier en lignite, un grand disque percé ou fusaiole en molasse polie, une trentaine de coquilles marines perforées pour être suspendues, entre autres des pétoncles et des buccins, prouvent que dans ce temps-là les dames aimaient déjà, suivant la pittoresque expression de saint François de Sales, entendre le doux et amiable grillotis des colliers et des pendants d'oreilles. Il est intéressant de noter la présence de coquilles marines à cent lieues de la Méditerranée et à deux cents lieues de l'Océan. Pourtant il ne faut pas trop s'en étonner, car les populations adonnées à la chasse, que rien ne fixe au sol, sont éminemment nomades et parcourent de vastes étendues de pays.

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GROTTES DU SALÈVE. Après la station de Veirier, les grottes du Salève présentent une suite chronologique depuis la pierre polie jusqu'aux temps historiques. Le mélange de plusieurs époques sur un même point ne permet pas d'établir une classification régulière; il faut se borner à la nomenclature des localités explorées.

La grotte d'Aiguebelle, commune d'Etrembières, fouillée par MM. Gosse, Thury et d'autres, recélait des ossements, quelques os taillés en instruments et des poteries très grossières.

Dans la caverns des Faur-Monnayeurs, sur le Pas-de-l'Echelle, commune de Monnetier-Mornex, de nombreux débris de vases, appartenant à l'époque du bronze, ont été recueillis par M. Thioly. Près de là est la grotte de la Côte. En 1872 on y a trouvé une pierre à broyer et une hache polie en pierre, déposées au Musée de Genève.

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en terre cuite; un péroné d'ours appointé, et d'autres os travaillés en pointes et en spatules; une canine de chien avec trou de suspension, et une bucarde également percée; une épingle en bronze semblable à celles des stations lacustres (collection Thioly). Nous n'avons pas à nous occuper ici des objets romains, comme épingles et aiguilles en os, poteries, monnaies impériales.

En fouillant les grottes de Collonges, dans un groupe de rochers au-dessus du Coin, le même explorateur a fait les découvertes suivantes. Voûte à Pillet: poteries de l'âge du bronze. - Voûte des Burdons: amas énorme de poteries très fragmentées, semées de grains siliceux et offrant, soit une ligne de creux obtenus par l'impression des doigts (fig. 26 et 27, Musée d'Annecy), soit un cordon à torsade (fig. 28, id.), ou une lignée de trous près du bord (fig. 29, id.); - anses pleines (fig. 30, id.);

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morceau de vase avec losanges en lamelles d'étain comme ceux du lac du Bourget; fusaiole. Meules plates, caillou à broyer, grain de collier en pierre, pendeloque en pierre noire, petite hache en serpentine polie. Pointes en os. Les objets en bronze sont : un ciseau, un ardillon de fibule et la moitié d'une espèce de crotale (collection Thioly). Voûte à la Pierre-Plate: poteries épaisses. -Voûte du Serpent, au-dessus de la Tête de Sphinx pierre à broyer et sa meule, nombreux débris de poterie, os brisés; enfin, des objets romains en bronze et en fer. Au-dessus du Coin, commune de Collonges, trois autres cavernes avaient été explorées dès 1861 par MM. Grasset, Revon et Thury: Caverne du Corpsde-Garde, fragments de vases. 1re caverne du

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Sphinx, un os travaillé, poteries, arcade orbitaire de foetus, crâne d'enfant sillonné par la dent des rongeurs, ossements de cochon et de ruminants (Musée d'Annecy). 2me caverne du Sphinx, morceaux de vases. Au fond de cet emplacement est une ouverture percée de main d'homme, communiquant avec un chemin qui se terminait à la partie supérieure de la montagne. Ces cavernes ont été habitées aussi à l'époque romaine, comme l'indique une sonde de chirurgien (specillum) en bronze, un style en os et des vases vernissés.

A Chavardon, à côté de la Tête de Sphinx, un chemin facile à défendre est creusé dans le roc, avec coulisseaux taillés verticalement, comme pour l'introduction d'une porte.

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En 1871, MM. de Magny et Revon, après avoir enlevé la couche de terre et de concrétion calcaire, ont trouvé, à 50 centimètres, des os et mâchoires de sanglier, cerf, boeuf, veau, chèvre et mouton. La plupart des os sont striés

par les rongeurs. Tous les os longs sont brisés dans le sens longitudinal, sans doute pour en extraire la moëlle ce qui porte d'autant plus facilement à le croire, c'est qu'un de ces éclats a été aminci et arrondi aux deux bouts pour en faire une spatule (fig. 32, Musée d'Annecy). Des charbons, des cendres étaient mêlés à des fragments de vases épais, en terre brune et semée de grains de sable, caractéristiques de l'époque du bronze. On remarque parmi ces débris des anses évidées, des bords de vases en terre grise ou noire

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(fig. 33, id.), quelques-uns ayant une ligne de dépressions faites avec le doigt (fig. 34 et 35, id.). On voit que les pauvres gens qui avaient installé sous cet abri leur cabane de branchages, demandaient déjà à l'art industriel une distraction dans la monotonie de leur existence : leurs ongles et des outils pointus faisaient courir des ondulations capricieuses sur le bord de leurs humbles ustensiles.

LA PIERRE D'ANGEROUX. C'est un rocher au sortir de la petite ville de La Roche. Il est par tagé en deux par une fissure. L'intervalle, 2m,50, a servi de refuge. En juillet 1865 on y a trouvé un bois de cerf et trois andouillers coupés pour en faire des emmanchures (musée d'Annecy). A un mètre au-dessus, mêlés à des cendres, gisaient quatre squelettes d'adultes et plusieurs squelettes d'enfants l'un est un foetus de trois mois et un autre paraît âgé de trois ans, d'après l'examen fait par M. le docteur Andrevetan. Deux. monnaies romaines, l'une de Marianna, l'autre de Maximien, étaient superposées aux ossements. Des blocs en équilibre instable étant suspendus sur la couche de débris, les ouvriers n'ont pas pu continuer les fouilles.

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Dans cette contrée plusieurs anfractuosités ont servi d'abris aux vivants et aux morts: telle est la Pierre du Villard, près de Saint-Sixt. J'y ai recueilli une tête d'homme adulte, un crâne d'enfant, des os longs humains, associés à des ossements de cochon et de ruminants.

Vers la Corbière, sur la pente méridionale des Voirons, près d'une ancienne carrière de grès, des abris sous roche passent pour avoir été utilisés à diverses époques.

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GROTTES DU BASSIN D'ANNECY. Les personnes peu familiarisées avec la topographie de la Savoie devront éviter de confondre Veirier, village suisse et station du Salève dans la Haute-Savoie, avec le village savoyard et la montagne de Veyrier, au bord du lac d'Annecy. Cette dernière montagne est criblée de cavernes qui ne paraissent pas devoir donner des résultats bien brillants pour les études préhistoriques, étant presque privées de sol terreux. Je les ai explorées en majeure partie, notamment la Bornale des Sarrasins (Revue savoisienne, juillet 1863), la Grotte ogivale, la grotte du Pré-Vernet, celle qui porte le nom peu idéal de Chapeau de gendarme, la grotte de l'Ermite, habitée encore en plein XIX siècle par un pieux troglodyte qui grimpait le long d'un escalier de bois, fixé au roc vertical par des consoles.

Les poteries les plus anciennes se rapportaient à l'époque romaine. Quant aux foyers et aux ossements de ruminants, il est difficile de leur assigner une date.

Sur les parois verticales de presque toutes ces cavernes j'ai remarqué des entailles rectangulaires, larges de 10 à 15 centimètres, profondes de 3 à 8, et placées les unes vis-à-vis des autres à des hauteurs symétriques, par exemple de 2 en 2 mètres. Mon imagination y avait élevé jadis un bel échafaudage de planchers et de portes à coulisse, destinés à rendre le logis plus confortable. M. de Mortillet me fit ob

server que ces entailles étaient peut-être les supports des poutrelles employées pour d'anciennes mines de fer, à l'époque romaine ou au temps de l'invasion sarrasine. Il signalait des exploitations analogues, faites encore actuellement près de Ferrières, dans la montagne de Mandallaz. Effectivement, en visitant dans cette montagne la grotte du Château des fées, j'ai dessiné aux étages supérieurs plusieurs rangées horizontales qui peuvent avoir été disposées pour des planchers volants. Cependant, à la Bornale des Sarrasins, les rainures verticales de l'entrée et celles qui précèdent deux réduits achevés de main d'homme, paraissent avoir été faites pour des clôtures. Il sera bon de les comparer avec les coulisseaux de Chavardon, au Salève, dont il a été parlé plus haut.

Une monnaie de Posthume a été découverte dans la Bornale des Sarrasins. M. Serand y a recueilli avec moi des cendres et des poteries vernissées. Sous la Bornale et devant le Château des fées il existe des ruines du moyen-âge.

Dans le roc de Chères, le Grand-Pertuis offre aussi des entailles étagées.

A l'autre extrémité du roc, MM. Calloud, Serand et moi avons fouillé minutieusement les grottes de Menthon, au bord du lac, qu'il ne faut pas confondre non plus avec les célèbres grottes de Menton au bord de la Méditerranée. Au milieu d'ossements sans intérêt, les restes les plus anciens étaient des tuiles romaines.

Sur Perroix, le four du Gargué et le four de la Pertuise ne m'ont offert aucun débris qui soit digne d'être mentionné.

J'ai fait des recherches dans les deux grottes de Duingt et n'ai rencontré que des briques romaines et des os. L'année suivante, M. Gosse n'a pas été plus heureux.

GROTTES DIVERSES. - La grotte de Mègevette passe pour recéler dans ses profondeurs un amas de très grands ossements. M. le docteur Thonion n'y a découvert aucun vestige pouvant être attribué avec certitude aux temps préhistoriques. Les archéologues qui jouissent de grands loisirs et qui ne craignent pas trop de revenir les mains vides, pourraient tenter des recherches dans les grottes suivantes : la Diou, sur Thorens ; la danna à Cocrin, près de Rumilly; la caverna dé Faya, aux Voirons; la GrandeBarme, sur Sévrier; la Balme-de-Thuy, la grotte de Féternes, celle de la Balme, entre Cluses et Magland; la tanna des Fées, près de Vailly; les corridors des Fées, près du Tour, la barme des Fées, dans la montagne de Sales; la danna dé Fayes, près de La Caille; la grotte du Pissus, près de Seythenex, etc. En s'aventurant dans les corridors interminables de la grotte de Seythenex, M. Serand a rencontré un autre amateur de recherches, mais réduit à l'état de squelette et ayant à ses côtés une lanterne, un panier et des lambeaux de vêtements. Je n'ai nullement la prétention d'avoir épuisé les recherches dans les grottes que j'ai déjà visitées. Il est probable qu'en affectant une somme considérable à un déblaiement complet, ceux qui ne redoutent pas de payer 40 à 50 francs une hache ou un tesson, trouveront un très léger dédommagement à leurs peines.

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