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nous la pressons cette chère ville d'Amiens, notre mère et notre honneur, d'accepter ce royal accroissement de sa richesse immobilière et de son apanage municipal.

Quelques considérations d'économie administrative ont paru la faire hésiter un instant.

Nous ne pouvons que louer tout d'abord la prudence des hommes expérimentés qui ont en main la garde de nos intérêts communaux; mais aussi nous nous félicitons de savoir que leur esprit éminemment communal égale leur prudence; et, qu'à l'heure qu'il est l'attention de notre édilité se porte sérieusement sur l'examen de certaines combinaisons à l'aide desquelles il sera désormais possible de donner satisfaction à l'instinct patriotique qui fait vouloir à tout le monde, aussi bien au sein du Conseil municipal que dans cette salle de vos séances et à tous les foyers de la cité, que, ce qui a été fait pour appartenir à la Commune, ce qui a été donné à la Commune, ce qui ne peut aller de droit qu'à la Commune, aille à la Commune, et soit, à tout jamais communal.

Ce vœu sera réalisé, Messieurs, la grande cause de la conmunalisation du Musée Napoléon ne peut tarder à être complètement gagnée. Les adversaires vraiment sérieux de cette rationnelle et noble idée ne forment qu'une minorité imperceptible, le plus grand nombre, ceux dont aucun parti pris n'enchaîne à priori la liberté d'examen, n'ont jamais réprouvé, en principe et au fond, la communalisation; et ils ne reculeraient que devant les impossibilités matérielles, ou devant la crainte de voir nos galeries appauvries et nues par suite de l'enlèvement des toiles venues du Louvre et confiées à nos soins à titre de dépôt.

La lumière se fait maintenant, les préventions tombent, les malentendus disparaissent.

Tout le monde sait que l'entretien du Musée ne peut pas creuser d'abime dans la Caisse municipale, que les charges qu'il doit

imposer au budget ne peuvent que diminuer progressivement à mesure que s'accroîtra, comme elle est en voie de s'accroître, la fortune publique; et que ces charges, dans tous les cas, ne seront jamais en proportion avec les services qu'un établissement de cette sorte et de cette importance est appelé à rendre à la Ville en l'aidant à maintenir son rang de grande cité, en attirant dans son sein le monde savant et artistique, et en constituant sous sa main une école des beaux-arts en même temps qu'un élément actif de moralisation. Et qui peut douter que les moyens d'obtenir ces précieux résultats ne nous soient assurés, assurés dès maintenant, et surtout pour l'avenir.

La direction des beaux-arts qui a eu tant de confiance, et une confiance si bien justifiée, dans l'hospitalité magnifique qu'une simple Commission a offerte aux chefs-d'œuvre des Musées impériaux, peut-elle manquer de rencontrer plus de garantie encore dans la responsabilité acceptée par l'Administration puissante d'une grande cité.

Mais je me hâte d'ajouter qu'à côté de ces trésors artistiques, en supposant qu'ils nous restent, ou bien à leur défaut, si j'admets que des nécessités administratives nous condamnent à les voir partir, nos collections locales, vous le savez, Messieurs, sont déjà considérables et précieuses en elles-mêmes; elles ont le mérite inestimable d'être à nous; et, douées que je les crois, par leur nature, d'une propriété mystérieuse pareille à celle de l'aimant, elles ne peuvent manquer d'attirer vers elles et de s'assimiler les richesses nombreuses qui dorment oubliées et inertes dans les cabinets et les bibliothèques particulières, et qui, vos galeries et vos vitrines en renferment déjà plus d'une preuve, deviennent volontiers l'héritage assuré de la famille communale, mais non jamais, que je sache, l'héritage de l'Etat. Voilà pour l'avenir.

L'avenir, Messieurs, fait défaut aux individus, non aux nations;

et il fera, vous partagez ma confiance, n'est-ce pas, l'avenir fera que, l'obscur Musée de la nation picarde grandira, et prendra rang un jour parmi les grands et célèbres Musées de la nation française et des autres nations.

Mais il est bien entendu, je le suppose dans tout ce que je viens de dire, et vous comprenez comme moi que, de tous ces trésors que nous admirons, que nous sommes jaloux de posséder, le plus précieux, quoique le plus moderne, est assurément l'édifice lui-même. Or, voici le petit argument que je cherche depuis un instant à glisser ici : la Ville consentirait-elle à aliéner, à donner surtout pour rien, un seul des tableaux, des manuscrits, des émaux, des œuvres d'orfèvrerie antique dont elle est propriétaire et que nous gardons pour elle dans ces enceintes? Y consentirait-elle quand même on lui assurerait de ces choses le plein usufruit et la jouissance perpétuelle, incessible et insaisissable?

La réponse jaillit de la question.

J'en conclus, qu'à plus forte raison il est impossible, radicalement impossible, que la Ville se détermine à aliéner jamais, à donner pour rien, le premier, le plus inestimable de ses joyaux, le splendide écrin qui les renferme et les protège tous. Cela est impossible à une Administration qui a, comme la nôtre, le sentiment du beau et l'intelligence des vrais intérêts du pays, impossible à une Administration qui comprend que, pour la foule et pour la famille municipale tout aussi bien que pour les individus, la suprême jouissance ne tient pas seulement au droit d'user, mais réside dans le sentiment de la propriété.

Non, Messieurs, la propriété de notre Musée n'échappera pas aux mains de la ville d'Amiens; Amiens aura son Musée de Picardie, comme Paris a les Musées de France.

Je ne suis pas prophète ni fils de prophète, je suis encore moinsic moniteur de notre édilité; et cependant il me semble que le jour

approche, et il sera un des jours de gloire pour les représentants que nos suffrages ont portés à l'Hôtel-de-Ville, le grand jour approche où Amiens pourra compter un palais parmi ses édifices communaux, et inscrire à son frontispice, au-dessous de cette immortelle dédicace Musée Napoléon 111, cette autre dédicace immortelle aussi Musée communal.

Mais votre Président nouveau, Messieurs, voit bien autre chose encore dans votre blason que le mot Patriam au nom duquel il revendique avec vous, pour votre ville natale ou d'adoption, la propriété et la communalité du Musée; il y voit, ayec son honorable prédécesseur et ami M. Salmon, le but le plus essentiel et le plus large de votre institution: l'Etude, Nosce.

La question du Musée, si grande et si importante qu'elle soit, a eu cependant cet inconvénient, on vient de nous le dire, de venir se placer comme un obstacle entre nous et ce but.

Encore quelques' efforts de persévérance et de circonspection, et l'obstacle aura disparu, et nous serons rentrés dans les conditions de calme, de paix et d'entière liberté d'esprit nécessaires aux travaux scientifiques.

Quelque prochain, toutefois, que soit ce jour, ne l'attendons pas pour nous remettre au travail. Préparons, je vous en prie, une année féconde; et hâtons nous de semer malgré les derniers retentissements de l'orage.

C'était seulement pour vous dire cela que j'avais pris ma plume. Vous trouverez que je me suis écarté, mais non égaré.

Aussi bien est-il vrai que vous n'avez pas besoin d'être exhortés au devoir des pacifiques études ni par le texte de votre blason, ni par la robe que j'ai l'honneur de porter, ni par une mercuriale plus ou moins autorisée. Votre écu, c'est vous qui l'avait fait; la robe des hommes de paix et d'étude c'est vous qui lui donnez ici un rang et une autorité qui surpassent de beaucoup, je vous assure, tous les

rêves de mon ambition; la mercuriale, je n'en saurais faire de plus éloquente ni de plus digne de vous que celle qui retentit tous les jours au fond de votre conscience de savants et de vos cœurs amis des choses sérieuses.

Ecoutons ensemble toutes ces voix. Et, qu'au jour, où nos honorables collègues de la Commission ministérielle de construction en vous remettant le colossal monument fruit glorieux de leur intelligence et de leur dévouement, viendront nous dire avec un sentiment de bien légitime satisfaction leur Exegi monumentum, ils nous trouvent, nous, en plein travail de construction d'un monument plus digne encore d'intérêt, s'il est possible, et dont on peut dire, si parfait qu'il soit toujours, qu'il n'est jamais fini. J'ai nommé les Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie. Leur place est marquée dans toutes les bibliothèques de l'Europe savante; qu'elle ne soit jamais vide. Les matériaux abondent, que les ouvriers ne manquent pas. Mon premier devoir aujourd'hui est de faire appel à leur bonne volonté, à leur zêle, à leur amour des découvertes et de l'érudition. Remuer la poussière des manuscrits, fouiller nos vieux quartiers et le sol que d'autres générations et d'autres peuples ont foulés, étudier la vieille Cathédrale orgueil de notre province et nos églises de villages fécondes aussi en trésors cachés, déchiffrer les monnaies, dire l'âge des œuvres d'art antique, manier la plume, le ciseau, la palette, le compas, tout cela, Messieurs, est œuvre de science; et oncques n'est mieux appliquée la loi d'une légitime et pacifique égalité que lors qu'est donné le titre de Société savante à ces familles d'hommes sérieux s'occupant de choses fort diverses, mais où s'exerce très-efficacement l'intelligence et, quelquefois le génie.

A l'œuvre donc, Messieurs, un temple est fait; faisons un autre temple; Faisons un petit temple dans le grand temple », comme dit Bossuet, ou plutôt, pour me reprendre comme se reprend l'aigle

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