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CHRONIQUE.

M. Hallez-Darros, conseiller de préfecture de la Meuse, a envoyé à l'Institut Historique 1o un rapport par lui fait au ministre de l'agriculture et du commerce, sur la nécessité de fonder dans chaque localité des Annales communales; 2o des tableaux présentant les modèles qu'il propose pour l'exécution de ce projet.

Disons d'abord que ce projet nous a paru fort utile sous plusieurs points de vue. Il est impossible de ne pas reconnaître cette utilité en examinant les tableaux dont il s'agit.

Ils sont divisés en deux parties: la première comprend les documents statistiques à recueillir; la seconde est historique et se partage elle-même en deux sections, savoir: l'histoire de la Commune depuis son origine et les événements locaux les plus remarquables de chaque année, tels que les observations météorologiques, le mouvement du personnel de l'administration, les incendies, épidémies, épizooties, crimes et délits, etc.

La partie statistique contient douze chapitres, dont voici les titres: 1o Population, recensements, état civil, service militaire; 2° territoire, description, étendue, divisions; 3° communications, routes, chemins de fer, canaux; 4° biens communaux, nomenclature, bois communaux; 5° revenus et contributions; 6° consommations; 7° agriculture, classification des terres, culture, produit en nature, en argent, dénombrement des animaux utiles, etc; 8° industrie, usines et manufactures, arts et métiers; 9o commerce; 10° administration, organisation municipale, institutions de bienfaisance, service de santé; 11° culte; 12° instruction publique, primaire, secondaire, etc.

L'auteur expose avec raison qu'au moyen de ces tableaux, remplis dans chaque commune, et dont on ferait le relevé général au chef-lieu du département, le gouvernement posséderait les renseignements les plus précieux sur les produits agricoles et les ressources alimentaires existant en France, de manière à pouvoir remédier à temps par des achats et par d'autres moyens, au déficit causé par de mauvaises récoltes.

Mais pour que cet utile projet soit praticable, il ne faut demander aux communes rurales que les documents qu'elles peuvent fournir en les simplifiant le plus possible, car, dans ces communes, les maires et les instituteurs primaires sont peu habitués aux rédactions et n'ont pas beaucoup de temps disponible. Ils pourraient être aidés, il est vrai, dans ce travail statistique par le curé pour ce qui a rapport au culte, aux établissements de charité, et par quelques conseillers municipaux.

Quant à la partie historique, aux observations générales et aux résultats, ils devraient être réservés aux villes qui sont chefs-lieux d'arrondissement, Là on trouverait des personnes capables de rédiger les résumés statistiques que

le gouvernement aurait besoin de réunir et de consulter. Dans toutes les villes où il existe une bibliothèque publique, le bibliothécaire serait naturellement le secrétaire de la commission à former pour s'occuper de ce travail, sous la surveillance du maire qui en serait le président.

Maintenant que les esprits studieux s'occupent beaucoup des sciences historiques, que dans chaque ville on s'intéresse vivement aux événements qui se sont passés dans ses murs depuis son origine, aux grands hommes qu'elle a produits, et qu'on s'empresse d'honorer leur mémoire en leur élevant des statues, l'opinion serait partout favorable à ces travaux, et les nombreuses monographies qui en seraient le résultat deviendraient une des sources les plus précieuses et les plus authentiques que l'on puisse désirer pour l'histoire générale de notre pays.

Il existe en Orient une grande nation qui s'est attachée avec le plus grand soin à conserver et à recueillir les monuments de son histoire; cette nation, qui occupe un vaste territoire, c'est la Chine. L'institution que M. Hallez-Darros propose de fonder chez nous existe chez elle depuis un temps immémorial. Chaque ville possède ses archives, dans lesquelles se trouvent consignés année par année tous les documents auxquels on puisse avoir besoin de recourir pour en composer l'histoire complète et détaillée tant sous le rapport matériel et statistique que sous le rapport moral. Le gouvernement chino's ne néglige rien pour que ces archives soient tenues avec la plus grande exactitude, et il y puise les renseignements les plus précieux pour l'administration de cet empire immense et pour la répartition des ressources et des secours entre les différentes provinces.

Nous faisons des vœux pour que cette institution soit établie en France. De là elle s'étendrait sans aucun doute aux autres contrées de l'Europe qui ont déjà pris chez nous le modèle de bien d'autres fondations civilisatrices, et rien ne pourrait plus accélérer l'époque où elle serait adoptée, que la publicité des tableaux dont M. Hallez-Darros est l'auteur et que nous avons examinés avec le plus vif intérêt.

Il existe déjà dans un assez grand nombre de villes et autres localités des histoires ou monographies plus ou moins exactes, plus ou moins complètes. Ces ouvrages, parmi lesquels il s'en trouve d'excellents, ne seraient pas inutiles, tant s'en faut, pour les Annales communales qu'il s'agit d'établir partout. Après avoir été examinées, vérifiées de nouveau, corrigées ou complétées s'il y a lieu, ces monographies formeraient pour les temps écoulés, la partie historique des annales de la ville ou de la localité à laquelle se rapportent les traditions et les événements qui y sont relatés.

A.

A. RENZI,

Administrateur.

HUILLARD-BRÉHOLLES.
Secrétaire général.

MÉMOIRES.

INSURRECTION IRLANDAISE EN 1798.

INTERVENTION DES FRANÇAIS EN IRLANDE.

Au moment où le peuple irlandais, le plus malheureux peuple qui soit au monde, s'agite en vain sous le poids des misères qui l'accablent depuis huit cents ans, il ne peut être sans intérêt de raconter la déplorable histoire de l'insurrection de 1798. Puissent ces souvenirs du passé lui servir d'enseignements pour l'avenir, et l'empêcher de retomber dans les divisions qui ont perdu ses ancêtres et qui, l'année dernière encore, ont fait avorter la tentative prématurée de Smith O'Brien!

Lorsque la révolution française éclata en 1789, les germes féconds qu'elle apportait à l'Europe trouvèrent en Irlande le terrain tout préparé. Le comité catholique de Dublin, s'emparant des célèbres déclarations de l'Assemblée constituante, s'en appliqua les bénéfices, et résolut de revendiquer comme un droit naturel, et s'il le fallait, les armes à la main, l'abolition des lois qui condamnaient à l'ilotisme les trois quarts de la population irlandaise. Ce comité se mit en rapport avec un club presbytérien qui venait de se fonder, à Belfast, dans le but de réformer l'état politique du pays. Grâce à des concessions mutuelles, catholiques et protestants, confondus dans un même sentiment de nationalité, abjurèrent leurs anciennes dissensions, et de cette fusion naquit l'association des Irlandais-Unis qui, au moyen de clubs régis par les mêmes statuts, travailla résolument à la ruine de la domination anglaise.

Le principal chef du mouvement fut un jeune homme nommé Wolf-Tone, partisan déclaré des principes les plus avancés de notre révolution, et qui sut communiquer son enthousiasme aux Irlandais en leur faisant considérer les triomphes des armées de la république comme autant de victoires sur le despotisme en général. Quand les rois coalisés à Pilnitz eurent déclaré la guerre à la France, les Irlandais-Unis votèrent des secours à l'armée française, et à la nouvelle de notre première victoire sur le Rhin, la capitale de l'Irlande manifesta sa joie par une illumination générale. Une garde nationale se constitua et orna ses drapeaux de la harpe irlandaise surmontée du bonnet de la liberté. Les soldats de ce corps prirent l'habitude de s'appeler entre eux citoyens. Des banquets patriotiques réunirent côte à côte les hommes de toutes les classes et de toutes les opinions religieuses; et le clergé, s'appuyant sur l'exemple des républiques italiennes du moyen âge, n'hésita pas à déclarer que les catholiques étaient les fondateurs de la démocratie moderne.

L'Angleterre comprit qu'il ne s'agissait plus seulement, comme autrefois, de l'indépendance législative de l'Irlande, mais que les Irlandais-Unis ne voulaient rien · 168 LIVRAISON. AOUT DÉCEMBRE 1848.

TOME VIII.

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moins qu'une séparation radicale des deux États. Le ministère, que dirigeait Pitt, procéda avec son astuce ordinaire. Il exploita habilement, dans l'intérêt de sa politique, les violences révolutionnaires auxquelles le comité de salut public avait recours pour défendre la France contre les complots que l'or anglais ne se faisait pas scrupule de soudoyer. Il effraya les tièdes et releva le courage des ennemis de la cause irlandaise; une contre-association orangiste, appuyée par le parlement anglican et par les autorités constituées, organisa un système complet de calomnie et de persécution contre les patriotes. Les Irlandais-Unis résolurent alors de substituer à une association patente une affiliation secrète fondée sur le serment et l'obéissance passive à des chefs dont les noms n'étaient connus que d'un petit nombre. Un directoire exécutif de cinq membres fut établi secrètement à Dublin sur le modèle de celui de Paris, et s'appuya sur une série de comités secrets hiérarchiquement institués. En 1796 l'association avait de si nombreuses ramifications, qu'au premier signal Wolf-Tone pouvait compter sur trois cent mille hommes enrégimentés militairement et armés, soit de fusils, soit de piques. Tel était l'esprit d'ordre de cette grande foule, que, sur un simple arrêté portant que tout bon Irlandais devait renoncer à l'usage des liqueurs fortes pour priver le gouvernement des droits payés sur les boissons, le peuple se soumit sans murmurer et ne fréquenta plus les tavernes.

Malgré les forces imposantes dont disposait l'union, elle crut avoir besoin, pour triompher, d'un noyau d'armée régulière, et surtout du prestige attaché au nom de la France. Wolf-Tone fut choisi pour aller demander à Paris l'appui du Directoire, sous la condition expresse que les Français se présenteraient seulement comme alliés de l'Irlande et agiraient sous la direction des chefs irlandais. C'était le moment où Hoche venait d'achever la pacification de la Vendée. Ce général détestait le gouvernement anglais, dont il avait vu de près la duplicité et la froide barbarie à la triste affaire de Quiberon, et plusieurs fois il avait émis l'opinion qu'il fallait reporter le fléau de la guerre civile chez ceux qui cherchaient à l'éterniser chez nous. Aussi ce fut sur lui que le Directoire jeta les yeux pour tenter une descente en Irlande. Dans un entretien intime et familier, Wolf-Tone exprima la pensée que le nouveau gouvernement d'Irlande serait obligé de sévir contre les aristocrates qui ne méritaient aucune pitié. Hoche lui répondit : « L'abondance du sang répandu a fait à la liberté un mal immense et suscité des difficultés sans nombre à la république. Quand vous guillotinez un homme, vous vous débarrassez, il est vrai, d'un individu, mais vous faites de chacun de ses amis, de ses parents, un éternel ennemi du gouvernement. » Wolf-Tone, frappé de ce langage, estima qu'en cas de révolution il serait non-seulement plus humain, mais plus habile d'éviter toute réaction sanguinaire.

Le général se rendit immédiatement à Brest, où il poussa avec activité les préparatifs de l'expédition. Après avoir vaincu des obstacles de tout genre, il mit à la voile, le 14 décembre 1796, avec quinze mille hommes. A peine au large, ses vaisseaux furent enveloppés d'une brume épaisse qui semblait d'abord favoriser

l'expédition en dérobant sa marche aux escadres anglaises; mais à la brume succéda une violente tempête qui assaillit la division française, déjà parvenue dans la baie de Bantry et la dispersa. Hoche reconnut avec désespoir que toute tentative de débarquement était insensée, et qu'il ne devait plus songer qu'à ramener ses vaisseaux en France. Il y réussit après mille dangers. Dans cette lutte contre les éléments et contre les ennemis, notre marine fut héroïque comme toujours, et l'admirable résistance que le vaisseau les Droits de l'Homme opposa sur les côtes de Bretagne à deux bâtiments anglais, doit compter parmi les plus beaux faits d'armes de cette époque.

La lenteur que mit le gouvernement français à préparer une seconde expédition donna le temps à l'Angleterre de travailler à la ruine de l'union irlandaise; elle employa son arme favorite, la corruption. Quelques traîtres royalement payés lui livrèrent les plans de l'association, nommèrent les chefs et désignèrent les lieux de réunion. Les principaux membres du comité irlandais furent arrêtés et condamnés à la prison ou au gibet. Sous prétexte de saisir les armes cachées, on établit chez les suspects des garnisaires, moitié bourreaux, moitié soldats, qui se livrèrent à des excès inouïs, mirent les maisons au pillage, firent périr les propriétaires sous le fouet ou dans les tortures. Quant aux villages, on procédait tout simplement en brûlant ceux qui ne livraient pas une quantité d'armes déterminée, et après avoir fusillé un certain nombre d'habitants pris au hasard, les justiciers du roi d'Angleterre allaient opérer ailleurs.

Ces atrocités inutiles n'avaient réellement qu'un but, celui de pousser à bout les Irlandais afin de les faucher en masse sur le champ de bataille. Aussi, loin de prévenir une insurrection générale, l'Angleterre la provoqua. Il est fort douteux en effet que l'association ait donné le signal de la révolte, car les hommes qui la dirigeaient ne se dissimulaient pas que le moment était mal choisi pour une levée de boucliers.

Quoi qu'il en soit, en une seule nuit toutes les gouttières des maisons furent enlevées pour fondre des balles; les paysans coupèrent dans les forêts des manches de piques, dont ils s'armèrent après les avoir ferrées, et trois à quatre mille d'entre eux se portèrent sur Dublin, où les prisons regorgeaient de patriotes. Mais les précautions prises de longue main firent échouer cette première tentative. Les Irlandais-Unis ne purent pénétrer dans la ville, et durent se contenter d'intercepter ses communications avec les provinces du sud en occupant tout l'espace situé entre Dublin et les montagnes de Wiclow, pays où la population des campagnes sans asile et sans pain secondait le mouvement avec énergie. Le premier engagement régulier avec les troupes anglaises eut lieu sur la colline de Tara, lieu célèbre dans les fastes nationaux; et si les Anglais restèrent maîtres de la position, ce triomphe leur coûta cher; car les patriotes prouvèrent que, si leurs chefs morts ou incarcérés avaient été là pour diriger leur bravoure, la journée eût été fatale à la tyrannie.

Tels furent les débuts de l'insurrection de 1798. Elle avait été trop longtemps incertaine pour que le peuple eût foi en elle; accueillie avec froideur par les uns,

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