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ce n'est qu'à partir de cette époque, où notre nationalité tend à se constituer, que l'on trouve dans les historiens contemporains, tels que Froissart, la distinction entre les Anglais et les Français, lorsqu'il s'agit de désigner ceux qui combattent pour les souverains d'outre-mer, et ceux qui suivent la bannière des princes de la Maison de Valois. Or la tradition locale a précisément adopté cette distinction en indiquant ici le Fort des Anglais, et les fosses creusées par les Français sur les bords d'un coteau voisin.

Un fait, dont mon guide a gardé le souvenir, vient en aide à mes conjectures, qui tendent à rapporter au quatorzième siècle la formation de ce fort de Voeuil. Il me raconte, d'après le témoignage de son ayeule, que dans une recherche faite au fond de l'une des fentes du rocher qui borde la partie occidentale de cette enceinte, on aurait trouvé un boulet de canon.

S'il est vrai qu'en l'année 1338 on se soit servi pour la première fois de deux ou trois canons à l'attaque du château de Puy-Guillaume en Auvergne, je trouve aussi dans les récits de Froissart, qu'en l'année 1372, où fut tout Poictou, Xainclonge et La Rochelle délivré des Anglois, les seigneurs avoient fait faire grans engins et canons. Ce qui pourrait porter à croire que le boulet trouvé dans les fentes du rocher de Vœuil, aurait été envoyé en signe d'adieu aux troupes anglaises, lorsqu'en ce temps elles se retiraient aussi des terres d'Angoumois.

Cette conjecture n'est peut-être pas inadmissible si l'on se rappelle les récits de Froissart, qui nous dit comment, en cette année 1372, le connétable d'Aquitaine pour les Anglais, après la retraite du célèbre prince de Galles, «<manda tantôt messire Henry Haye, séneschal d'Angou>> lesme, près de l'ost des François et du chastel de Sou

bise, là où y eut grand abbatis et plusieurs gens morts, <<< car les François ne s'en donnoient garde, là où furent pris, par beau faict d'armes, et le captal de Buch et mes<«<sire Henry Haye, et autres chevaliers d'Angleterre ; «< comment enfin les Bretons se départirent de Soubise «<et se hâtèrent de chevaucher vers Sainct-Jehan-d'Angely, pour se joindre avecques grans gens d'armes <<< que le connétable de France (Duguesclin) y envoya, puis chevauchèrent de là vers Angoulesme, qui se re<< tourna aussitôt Françoise. >>

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C'est de cette donnée que je veux partir, pour croire qu'après la défaite de Soubise et à l'arrivée des troupes envoyées de Poitiers, le reste de la garnison anglaise, qui occupait Angoulême depuis onze années, pouvait fort bien, en se retirant devant des forces supérieures, venir fortifier ce point d'observation et de défense, dont la position avantageuse lui permettait d'attendre des secours, et de soutenir les attaques des gens du pays, impatients de tirer vengeance des vexations de l'étanger. On se ménageait en même temps, sous la protection de cette terrasse méridionale, un refuge vers la Guyenne, qui tenait encore pour le prince anglais.

S'il est vrai, d'après nos annales et les lettres-patentes délivrées en ce temps par le roi Charles V, que les habitants d'Angoulême aient eux-mêmes pris les armes pour chasser l'étranger de nos murs, ils n'auront pas manqué de le poursuivre dans sa retraite, et c'est ce qui peut expliquer comment les fosses de Basager auront été creusées sur ce coteau, qui présentait un point d'attaque contre le fort de Voeuil aux gens qui arrivaient de la ville.

M. Desbrandes rapporte aussi que l'on retrouve sur le

territoire de la commune de Mouthiers, à onze cent mètres environ du camp de Voeuil, près du village du Rosier, deux tranchées parallèles séparées l'une de l'autre par un espace de trente mètres, dont la profondeur serait d'un mètre trente-trois centimètres. Je n'ai point visité ces ouvrages, mais je suis bien assuré que le vénérable annaliste dont j'invoque le témoignage, a pris soin, selon sa coutume, de faire les mesurages qu'il nous fournit, et je pense comme lui que ces tranchées pouvaient servir à placer les postes avancés aux abords du camp; ce qui vient à l'appui des vraisemblances que j'ai admises pour introduire dans le fort de Voeuil un faible corps de troupes anglaises, en lui prêtant l'espoir de tenir tête du côté de la ville à de vives attaques, et de ménager vers le midi l'arrivée d'un secours ou une retraite prudente.

Les souvenirs qui se rattachent aux dernières années du quatorzième siècle, ainsi qu'aux guerres des quinzième et seizième siècles, ne me font point abandonner cette conjecture.

On sait bien que durant le règne si tristement mémorable de Charles VI, les Anglais parcourent diverses provinces du royaume; mais l'ensemble des faits consignés à cette époque dans nos annales d'Angoumois, rend invraisemblable le passage d'un corps de troupes anglaises, assez peu nombreux et assez imprudent pour venir se renfermer dans ce poste de Voeuil au milieu d'un pays qui tient pour le parti français, et dans le voisinage d'une ville, réputée alors l'une des fortes et avantageuses du du royaume.

Voudrait-on, en dépit de la tradition, placer le camp de Vœuil sous une autre bannière que celle d'Angleterre? Il est vrai que l'on pourrait voir en l'année 1416 le sire

de Barbazan, capitaine renommé du parti d'Armagnac, s'avancer en notre pays, et détruire le château de La Roche-Chandry, situé en la paroisse de Mouthiers; mais ce chef de guerre n'a pas besoin de se mettre en défense dans un poste fortifié lorsqu'il parcourt l'un des apanages de la maison d'Orléans pour laquelle il a pris les armes, le château qu'il met en ruines lui offrait, en cas de péril, un asile plus sûr que ce camp retranché.

Quand le comte Jean de Valois, souverain héréditaire d'Angoumois, vient en aide à Charles VII, pour chasser de la Guyenne les derniers hommes d'armes d'Angleterre, ce n'est point ici qu'il les rencontre.

Ce n'est point non plus en ce lieu que, durant les guerres de religion, les princes protestants et les armées royales se cherchent et se tiennent en observation avant le siége d'Angoulême et le combat de Jarnac.

Quand Joyeuse va se faire battre à Coutras, la marche des brillantes compagnies de gentilshommes de cour qu'il entraîne à sa suite, n'est point tracée en Angoumois, mais à travers les campagnes du Périgord. Ne pensons pas que le prince de Béarn, qui passe chez nous en des occasions et en des fortunes si diverses, veuille se renfermer dans un poste où sa bouillante valeur serait à l'étroit.

Du reste, les marches et contre-marches de tous les corps de troupes, qui prennent part aux guerres dont l'Angoumois devient le théâtre à cette époque, sont signalées dans l'Histoire générale comme dans les Mémoires des contemporains, avec des indications si précises et si bien circonstanciées, qu'il n'est pas permis de croire que l'on ait omis l'établissement d'un camp ou d'un simple poste fortifié en ce lieu.

Cessant donc d'interroger les siècles passés, je remar◄

que en ce moment, d'après les indications de mon guide, les traces d'une fouille pratiquée récemment dans la chaussée méridionale à un endroit où se trouvent des pierres régulièrement établies et scellées à l'aide de mortier.

Il paraît que les propriétaires du terrain qui comprend le camp et les clôtures, ont appelé là un devin, qui, procédant à ses magiques invocations, a déclaré d'une voix solennelle que le veau d'or est caché sous la chaussée. Et comme il n'est pas en Angoumois un seul de nos anciens monuments, un seul amas de terres et de pierres qui ne récèle ce fameux veau d'or, l'un de ces propriétaires, habitant d'un village voisin, se met à l'œuvre pour faire cette recherche, en portant la pioche et un œil curieux parmi les matériaux qu'il déplace.

L'inutilité du travail de ce pauvre diable trouble bientôt sa raison, et il abandonne les fouilles avant qu'elles soient parvenues à quelque profondeur. Il faut plaindre le sort de cette victime d'une croyance par trop ardente, et regretter en même temps que son labeur ait été sitôt abandonné; car parmi les trésors qu'il cherchait, on pouvait rencontrer des médailles, des armes, des ustensiles qui auraient fourni quelques renseignements sur l'époque de l'établissement de ces terrasses, sur les noms des hommes de guerre qui ont fait halte en ce lieu.

Mais il y a lieu de craindre que l'archéologie n'ait que bien peu de profit à faire dans cette enceinte, que le temps efface par degrés et de telle sorte que le passant ne remarquera même plus ses derniers vestiges avant peu d'années.

Il m'a paru convenable cependant de soumettre aujourjourd'hui à la Société les observations que j'ai pu faire sur les lieux, et les conjectures que mes réflexions m'ont

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