Page images
PDF
EPUB

DISCOURS

PRONONCÉ LE 20 NOVEMBRE 1844,

A L'INSTALLATION

DE LA SOCIÉTÉ.

PAR M. CH. DE CHANCEL, PRÉSIDENT.

MESSIEURS,

Celui qui provoqua la première réunion de cette Société eut une noble et patriotique pensée; et Dieu aidant, elle doit devenir féconde en résultats heureux, parce qu'elle vient à propos.

Depuis bon nombre d'années, des hommes, amis de notre pays, ont recueilli isolément des documents sur l'histoire locale du département de la Charente. Il n'est pas un de nos concitoyens, même parmi les moins lettrés, qui ne se soit enquis, en mainte occasion, de l'origine et de la destination ancienne des monuments que l'on rencontre encore sur notre territoire, malgré le travail des ans et les ravages des révolutions sociales. On peut entendre aussi des plaintes s'élever chaque jour contre la

négligence, qui laisse tomber en ruines ce que d'autres pays pourraient nous envier. Les expressions de l'étonnement et du dépit ne sont pas moins vives à la vue des réparations maladroites qui tendent à défigurer l'œuvre des vieux âges, à dissimuler mal à propos les marques d'une antiquité vénérable.

Mais les études des hommes de labeur demeuraient incomplètes, à défaut de renseignements, qui, à l'insçu de celui qui pouvait les utiliser, se trouvaient, tout près de là parfois, en la possession d'une personne insoucieuse des progrès de la science; les plaintes du public devenaient stériles, parce qu'aucun agent intermédiaire n'était institué pour les recueillir et pour les transmettre à l'autorité, qui pourrait veiller à la conservation de nos anciens titres et rendre à nos monuments leur caractère primitif.

Les exemples cependant ne manquaient pas en ce siècle pour démontrer tout ce que peuvent produire des associations dont le but est utile et bien indiqué.

Un appel nous a été fait, et nous y avons dignement répondu, en nous mettant à l'œuvre dès le jour même de notre première réunion. La formation d'un Bureau provisoire, la nomination de la commission chargée de la rédaction d'un projet de Règlement, ont fourni les preuves de notre bonne volonté.

A la seconde séance une assemblée plus nombreuse a franchement abordé la discussion de nos Statuts, et aussitôt après leur adoption, en exécution même des articles qui indiquent le mode de formation du Bureau, vous avez daigné m'appeler aux fonctions de Président, sans trop considérer peut-être si je réunissais les conditions nécessaires pour répondre dignement à votre honorable confiance.

Cependant les hommes distingués que vous avez pris soin de choisir pour la formation du Bureau seront en aide à votre Président, qui trouvera aussi de zélés collaborateurs désignés comme conservateurs de notre Musée.

Vous venez, Messieurs, d'entendre la lecture de la lettre de M. le Ministre de l'Intérieur, portant approbation de votre Règlement; et la Société archéologique et historique de la Charente se trouve constituée.

Dès ce moment notre Société doit reconnaître que la présence de M. le Préfet de la Charente et celle de M. le Maire d'Angoulême à ses premières réunions lui ont donné l'assurance que la bienveillance éclairée de ces dignes magistrats secondera ses travaux.

Déjà le Conseil général du département, répondant, par ajournement motivé, à une demande de fonds que nous avons dû lui adresser, a promis de prêter attention à nos études, afin de constater un jour leurs utiles résultats par ses utiles encouragements.

Veuillez donc permettre à votre Président de vous soumettre, en cet instant, quelques réflexions sur l'objet de votre association, sur les études que l'histoire et les monuments du pays peuvent vous offrir.

Et d'abord, qu'il soit bien entendu que si j'ai répondu à l'honneur que vous avez daigné me conférer, c'est sous la condition que ce fauteuil de la présidence n'aura rien d'académique; et sur ce point je vais expliquer toute ma pensée.

Si j'ai fait parfois quelques études qui ont eu pour objet les souvenirs de notre pays, si l'on a pu me voir à la recherche des monuments qui ont fait l'ornement de cette province, si j'ai recueilli, depuis plusieurs années, des renseignements sur divers changements que l'existence

sociale de nos pères a dû subir, par suite des premiers progrès de la décadence et du rétablissement successif de la civilisation, mes faibles facultés ainsi que mes loisirs ne m'ont point permis de suivre, dans les hautes régions de la science, les illustres chefs de nos écoles historiques, ni d'entreprendre avec eux la profonde investigation de nos antiquités nationales.

C'est le modeste explorateur d'une étroite localité, qui prendra pour objet des causeries qu'il viendra parfois renouer avec vous, nos communs souvenirs, nos découvertes de chaque jour. Nous ferons là, sans façon, notre profit des idées que pourront nous fournir nos devanciers et même nos contemporains; en considérant que dès qu'elles ont acquis, par leur mérite, certain degré d'autorité, les pensées d'autrui entrent dans le domaine public : ce qui fait que le plagiat en histoire n'est pas au nombre des délits, pourvu toutefois qu'on l'exerce sur les hommes riches et puissants.

Trouvant même, dès ce moment, l'occasion de m'emparer d'un mot célèbre prononcé, dit-on, par le Béarnais devant l'assemblée des notables à Rouen, je déclare, pour ma part, que j'apporte ici. moins de belles paroles que de bonnes volontés.

Cela dit, j'entre en matière; et afin d'éviter, dès l'abord, l'obstacle que rencontrèrent jadis les présomptueux entrepreneurs d'un édifice fameux, qui est demeuré inachevé, il convient, selon moi, de s'entendre sur la signification des mots les plus usuels que nous pourrons employer dans nos relations, et en particulier sur le double titre que nous avons adopté.

Nous sommes constitués en Société Archéologique et Historique.

Or, le premier de ces titres, qui ne dissimule point son origine toute pélagienne, a une physionomie scientifique capable d'effrayer les personnes qui, dans leurs modestes études, veulent éviter tout ce qui sent le collége et l'académie.

Il faut bien avouer cependant que, suivant la définition donnée par M. Louis Bâtissier, auteur d'un bon ouvrage sur cette matière, l'archéologie comprend l'étude de l'antiquité d'après les productions de l'art et les écrits des auteurs; que, d'après Millin, en son Dictionnaire des BeauxArts, c'est l'application des connaissances historiques et littéraires à l explication des monuments, et l'application des lumières que fournissent les monuments à l'explication des ouvrages de littérature et d'histoire.

On a dit aussi que l'archéologie, élevée depuis peu à la dignité de science, tend à explorer les monuments, pour reconnaître leur âge, leur style, leur destination, à expliquer les institutions des civilisations qui ne sont plus; qu'elle embrasse ainsi un immense domaine, qu'elle exige des connaissances aussi variées que profondes, puisqu'il s'agirait de rechercher, à l'aide de son flambeau, les mœurs et les croyances des peuples, en interrogeant, de par cette autorité, les annales des générations passées, en reconstituant les familles au sein de la cité, les réunions saintes dans leurs temples et dans les mystères de leur culte, en faisant ressortir enfin les hommes et les évènements de la poussière de leurs tombes et des ruines de leurs mo

numents.

Voilà des définitions qui auraient besoin de longs commentaires, des explications qu'il serait bon d'expliquer, une sorte de fantasmagorie qui pourrait éblouir le regard le mieux exercé à de merveilleuses apparitions. Mais ce sont

« PreviousContinue »