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NOTE DE L'ADMINISTRATION

La REVUE CATHOLIQUE DE NORMANDIE termine avec ce fascicule sa trentième année et elle a l'ardent désir de vivre plus longtemps encore. Mais la vie chère d'un côté, la mortalité de l'autre, ont considérablement diminué le nombre de ses abonnés, à tel point que son existence en est gravement compromise, il lui faudrait 50 abonnés de plus!

En attendant qu'une propagande plus active que nous recommandons à nos fidèles amis atteigne ce but, nous les prévenons que, provisoirement, la Revue deviendra trimestrielle. Beaucoup de Sociétés savantes et de Revues ont dù en agir ainsi jusqu'à ce que les frais d'impression soient moins élevés. Grâce à ce moyen la situation financière sera rétablie et nous pourrons alors, soit ajouter une feuille [16 pages], soit revenir aux six livraisons annuelles.

LE CONSEIL D'ADMINISTRATION.

TOME XXX.

VI. - 1.

UNE ABBESSE BÉNÉDICTINE

DU XVIIe SIÈCLE

Mme Scholastique-Guyonne de ROUXEL DE MÉDAVY

Première Abbesse de Saint-Nicolas de Verneuil, 1627-1669

(Suite)

Renée de Médavy, sœur aînée de l'Abbesse, dont on a vu le mariage avec le marquis de la Londe, était déjà veuve quand nous la retrouvons au commencement de 1632.

Elle avait cinq enfants: Charlotte, qui va nous occuper, deux fils portant, comme leur père, le nom de François et deux autres filles Barbe et Catherine. Charlotte était née à Rouen, l'année même du mariage de ses parents et sa grand'mère maternelle, la comtesse de Grancey, avait été vraisemblablement sa marraine ; en tout cas son nom lui avait été donné. En grandissant, frêle et délicate, elle ne pensait toutefois qu'à vouer sa vie au Seigneur dans l'Ordre Bénédictin et la Maison de sa tante de Verneuil avait fixé son choix. Mais sa mère, malgré la vive affection qu'elle ressentait pour sa sœur, s'opposait formellement à ce dessein, affirmant que sa fille ne pourrait jamais supporter une vie aussi austère. Elle ne se refusait pas cependant à son entrée dans un autre Institut, sans doute chez les Visitandines, dont le Père de Lingendes s'occupait beaucoup; quant à saint Nicolas, il ne fallait pas lui en parler. La jeune Charlotte attendit le moment du Sei

gneur..

Sa mère l'ayant emmenée au Château de Grancey, elle alla se prosterner dans la Chapelle où sa tante Guyonne avait prié et où, rapporte Mme de Blémur, elle se retirait souvent dans une chambre habitée jadis par le saint Abbé de Clairvaux, son illustre et très saint allié. » Comme il était arrivé pour sa tante, sa vocation s'affermit et à son retour en Normandie, elle ne cherchait plus qu'une occasion favorable. Or, voici ce que narre

notre vieux récit. »

«En ce mesme temps (vers Mars 1632), Charlotte de Bigars, fille de François de Bigars, marquis de la Londe, et de dame Renée de Rouxel et, consequemment, petite fille de la Dame « fondatrice, laquelle elle aimoit fort, la vint voir. »

La Comtesse était alors gravement malade et Charlotte, comptant sur Dieu, espéra « mettre a execution le dessein quelle avoit de demeurer dans le Monastere pour prendre le sainct habit ide Religion, nonobstant toutes les opositions et contradictions que, peu avant, sa mere y aportoit, pour la laisser au monde «ou pour la faire estre dun autre Ordre. Mais Dieu fist voir si << absolument quil la vouloit de lordre de sainct Benoist quil «changea en un instant et lorsquon y pensoit le moins, le cœur << de la Dame sa mere qui condescendit a ses larmes et prieres, << en sorte quelle mesme pria la Superieure, sa sœur, et tante de « ladite fille, de laccepter en qualité de seconde fondatrice, afin destre exempte des austeritez, redoutant son peu de force, a «cause quelle estoit fort infirme estant au monde. >>

La marquise de la Londe promit de donner à sa fille 6.000 livres (1), auxquelles la comtesse de Grancey en ajouta 3.000. L'aïeule et la mère voyaient en cela le moyen d'aider la jeune fille à accomplir son vif désir, tout en lui assurant, par ce titre de bienfaitrice ou seconde fondatrice, une vie un peu plus douce qui n'entrait nullement, hâtons-nous de le dire, dans les desseins de Charlotte. Mais, trop heureuse d'obtenir enfin son admission, elle se garda bien de faire aucune objection, se promettant, par devers elle, de suivre la Règle comme les autres. Aine généreuse à la vérité, ne se souciant pas de sa faiblesse naturelle, mais comptant sur Celui qu'elle aimait par dessus tout, pour lui accorder les forces nécessaires.

Un si bel exemple ne tarda pas d'être suivi par une autre jeune fille de la famille de Médavy, Catherine de Pommereuil, fille de Charles de Pommereuil, Seigneur de Moulin-Chapel, et d'Anne de Vassy. Mme de Raveton, Gillonne de Pommereuil, devait être sa tante ou grand'tante; et, de plus, son arrière grand'père, Jacques de Pommereuil, mort en 1561, avait épousé Françoise de Hautemer, dame de Manerbe et de Bougy.

(1) 4.000 livres furent constituées en une rente de 285 livres, 15 sols. 4 deniers, le vendredy 19 mars 1632. (Tabellion. de Vern.)

Il arriva donc que, le 22 de may 1632, jour de la Trinité, damoiselle Catherine de Pommereul (1), laquelle avoit toutes « sortes davantages corporels pour ce plaire au monde et y estre << estimée, estant venue voir, avec une de ses parentes, la dame << fondatrice, de qui elle mesme estoit parente, fut tellement « touchée de Dieu, par une forte inspiration, quelle demanda «<lentrée de la religion ardamment; et, malgré celles de ses • parentes qui lavoit amenée, entra au monastere avec une gene<< reuse resolution de devenir une bonne Religieuse, sy Dieu lui << faisoit cognestre sa volonté par labbesse. Cest certainement ce

qu'elle fist et a perseveré en la Religion avec un grand courage, « a surmonté tous les obstacles et toutes les difficultées suscités par le diable, le monde et les parents. >

Justement, le Révérend Père de Lingendes était depuis quatre jours à Vern uil quand Mlle de Pommereuil franchit la clôture pour étudier sa vocation et if put, grâce à son expérience, lui être d'un grand secours. Après examen, ne doutant pas de l'appel divin sur cette âme d'élite, il l'engagea à suivre l'inspiration d'En Haut si vivement sentie.

Issue d'une famille très ancienne et née dans un château, la jeune fille, orpheline de mère comprit cependant dès son bas âge, le néant et la vanité du monde. Elle était enfant lorsqu'en décembre 1617, durant l'Assemblée des Notables tenue à Rouen, son père, sortant de l'Hôtel de l'Ecureuil pour se rendre chez le Roi, avait été assailli par six ou sept individus embusqués au Carrefour de la Crosse. Les laquais, qui, avec des flambeaux, accompagnaient leur maitre, le défendirent; mais cet attentat prouve qu'il avait des ennemis. Peu après, il était accusé du crime de fausse-monnaie par un certain Gabriel Cresson lequel, à la suite d'un meurtre, fut exécuté en 1622. Le Seigneur de MoulinChapel n'en fut pas moins poursuivi et il l'était encore (2) quand sa fille embrassa la vie monastique; elle était murie par l'épreuve;

(1) Pommereul, ancienne orthographe que portent tous les actes et souvent aussi, nos manuscrits; mais les généalogistes écrivent Pommereuil.

(2) De 1636 à 1639 il fut même détenu en prison pour querelle et duel avec un autre seigneur, auquel il fut condamné à verser 10,000 livres.

fait peu rare dans ces nobles familles, ce qui explique tant d'âmes d'élite, fuyant avec joie la demeure seigneuriale, si souvent troublée par les inquiétudes de toutes sortes, pour la vie calme du cloître.

Le Père de Lingendes était revenu « pour la consolation et <«<linstruction des Religieuses, donner les exercices spirituels,> d'autant que l'Evêque d'Evreux avait bien voulu se charger de la direction de la jeune Abbesse qui lui écrivait au besoin; cepen

dant, comme les affaires de la charge pastorale ne luy permet« toient pas de rendre le mesme secours aux Religieuses, il trouva «bon quelle prit des Peres de la Compagnie de Jesus, quelle se « servist de leur conseil et quelle les appelast pour faire faire les exercices de dix jours a la Communauté, lit-on encore dans Mme de Blémur, qui ajoute : « Le Père de Lingendes entreprit ce << travail avec un grand succez; en suite, on luy donna le Père

Jacquinot et le Père de Saint-Jure, tous personnages d'un « mérite singulier et d'une piété que personne n'ignore. » Ce furent eux qui lui apprirent « l'art de bien gouverner; elle y << devint si intelligente que, trois fois la semaine, elle faisait des <«< Conférences aux Sœurs et les dirigeait parfaitement. << Ce

soin, continue l'auteur, eut embarassé une autre supérieure, << mais la nostre dévorait toutes ses peines. » L'avancement spirituel de ses filles lui causait une telle joie, que, volontiers, elle eût donné sa vie pour l'augmenter encore.

Qu'on ne s'étonne pas du choix des Jésuites préféré à celui des Bénédictins l'Ordre monastique se relevait à peine par la Réforme de la Congrégation de Saint-Maur nouvellement établie par Dom Laurent Bénard. Les différentes Abbayes d'hommes ne l'adoptèrent que peu à peu; encore se faisaient-ils une loi de ne pas s'occuper de celles des femmes; il fallait donc, nécessairement, recourir à d'autres Religieux.

Mlles de la Londe et de Pommereuil profitèrent admirablement des instructions du Père de Lingendes et, à la Toussaint suivante, elles prirent l'habit avec deux autres Postulantes, dont l'une était Catherine le Doulx, fille de Claude le Doulx, sieur de Melleville, Maître des Requêtes à Evreux, et d'Anne Simon; Catherine était aussi petite-nièce de Claude de Sainctes, Evêque d'Evreux, et sœur de Jacques le Doulx, Official de la Cathédrale. Elle avait cinq ou six autres frères et sœurs, dont l'une, que nous retrouverons,

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