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LES EUVRES DE MICHEL LEPELETIER

PUBLIÉES EN BElgique, en 1826, PAR SON FRÈRE,

Par M. CHALLE.

Quand on lit jusqu'au bout un livre parfaitement oublié, on y fait parfois des découvertes singulières. C'est ainsi qu'en parcourant dernièrement le volume publié à Bruxelles en 1825 par Félix Lepeletier, en plein règne de Charles X, sous le titre d'Euvres de Michel Lepeletier, pour justifier et exalter les opinions et les actes politiques de son frère, je suis tombé sur la description d'un phénomène glaciaire très étrange, qui s'est reproduit il y a deux ans, que tout le monde avait cru nouveau et sans précédents, et et qui avait alors tant ému le monde savant, que l'Académie des sciences, par l'organe d'un de ses membres les plus autorisés, avait cru devoir en donner l'explication scientifique. C'est le bizarre accident de gelée qui avait causé tant de désastres dans les arbres et les forêts du centre de la France, et notamment dans la forêt de Fontainebleau, dans l'Orléanais, la Sologne, l'Anjou et une grande partie du littoral de la Loire. Là, une pluie abondante, en tombant d'une région supérieure moins froide, avait trouvé une couche inférieure d'un froid assez intense pour se congeler sur la surface des arbres et y être subitement convertie en verglas qui, s'attachant aux branches, grosses et petites, les avait recouvertes d'un manchon de glace de plus en plus épais, et d'un poids si énorme que, cédant à leur masse écrasante, les arbres de toute taille, les gros surtout, penchés d'abord, puis accablés et entrainés, se fendaient, se brisaient avec un fracas effroyable et avaient couvert de leurs débris la surface des futaies et des taillis. Les bois, les parcs de cette région avaient tous perdu dans cette calamité dont on ne connaissait pas d'exemple, les arbres qui faisaient

leur gloire et leur valeur, et l'on n'évaluait pas à moins d'un tiers de la valeur de la superficie totale, les pertes de la forêt de Fontainebleau,

Or, ce phénomène si désastreux s'était déjà manifesté dans une région moins étendue, mais avec les mêmes caractères et la même dévastation, pendant l'hiver de 1788, dans les forêts du Morvand, mais le souvenir en était complétement perdu, ou tout au moins dénaturé. Voici comme il est écrit dans les notes de la vie de Michel Lepeletier, livre qui, proscrit en France à l'époque de sa publication, y a peu pénétré et y est très peu connu.

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« Il faut avoir vu à cette époque les effets de la glace sur les bois des environs d'Autun, et particulièrement dans la forêt de Montjeu, qui appartenait à Michel Lepeletier, pour se faire une ◄ idée de ce phénomène. Dans une nuit, il s'accumula sur les tiges • et les branches des arbres jusqu'a six à huit pouces de glace. « L'eau gelait à mesure qu'elle tombait. Toutes les branches « étaient brisées, partagées, beaucoup d'arbres aussi, par le milieu « du corps. Enfin ces futaies, quelques jours après, ressemblaient « à un champ de blé ravagé par la grêle. Dans la nuit où ce fléau épouvantable exerça ses ravages, on entendait, tout à la ronde, • des détonations très fortes occasionnées par les arbres qui se rompaient. »

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Il est probable que cet étrange et désastreux phénomène n'a pas été ressenti seulement dans le Morvand, et que les forêts de notre Puisaie en ont eu leur part. J'ai souvent entendu dans ma jeunesse le récit des dévastations causées par l'hiver de 1788 aux bois de la Puisaie et ce singulier effet des gros arbres qui se fendaient avec un bruit que l'on comparait à des coups de canon. Mais on attribuait ce phénomène à la congélation de la sève intérieure dans le corps de cet arbre, congélation qui, disait-on, s'y distendait comme la glace dans un bassin. Nous avons eu il y a deux ans de plus fortes gelées qu'en 1788. Le thermomètre est, en certains lieux, descendu de 6 à 7 degrés plus bas qu'à cette époque, et bien des arbres y ont péri. Je n'ai pas perdu pour mon compte, à Saint-Martin-sur-Ouanne, moins de trois cents pieds de gros arbres, tant fruitiers que forestiers. Mais on n'a entendu. nulle part les coups de canon de 1788, fracas qui ne provenait que du brisement et de la chute des arbres qui s'affaissaient et éclataient sous l'énorme poids de leurs manchons de glace. Ceux de 1879 gelaient sur pied silencieusement, n'éclataient pas, mais restaient debout, et parfaitement intacts.

Puisque j'ai commencé à citer ce livre, on m'excusera d'en dire autre chose, après la notice si remarquable de M. Pinard, dans

l'Annuaire de 1843, sur le contraste entre la moralité de sa vie. privée et ses doctrines révolutionnaires, en ce qui touche Michel Lepeletier, et ses rapports avec le département de l'Yonne.

Son père, président à mortier au Parlement de Paris, quoique irréprochab aussi dans la vie intérieure, était cité déjà pour son caractère exalté et violent et pour la sévérité inexorable des jugements qu'il rendait comme président de la Tournelle criminelle. C'était lui, disait-on, qui avait condamné à mort le chevalier de Labarre pour des impiétés et des polissonneries d'écolier. Son fils conteste le fait et dit que son père était absent lors de ce procès, mais il est démenti par le texte de l'arrêt, qui, sous la plume de Voltaire, a tant indigné le monde entier. Et, dans les grandes querelles du Parlement, qui firent exiler en 1772 tous ses membres, pour les remplacer par un autre Parlement, il était si notoirement le grand meneur de cette guerre, que le chancelier Maupou put dire à Louis XV: Sire, faites couper la tête au président de Saint-Fargeau, et je réponds du reste. Il éleva dans ses principes d'austérité son fils Michel qui, d'une intelligence très précoce, écrivait à huit ans et demi une vie d'Epaminondas, que publia son frère dans le livre dont j'ai parlé, et à douze ans, lisait couramment Perse et Juvénal. A dix-huit ans, il était avocat du roi au Châtelet, et, peu d'années après, avocat-général au Parlement, où, à vingt cinq ans il remplaçait, comme président à mortier, son père décédé. Son précepteur, Moutonet-Clairfons, a écrit de lui qu'il était doux, humain, bienfaisant, sans ambition, sans fiel, ennemi de la dispute, qu'il réunissait enfin toutes les qualités de l'esprit et du cœur. Tout cela était vrai dans sa vie privée. Mais ces dons heureux s'associaient chez lui à une austérité excessive, fruit peut-être des leçons et des exemples de son père. Félix Lepeletier parle vaguement et à mots couverts d'un serment semblable à celui d'Annibal, sous le nom de haine à l'arbitraire, que son père lui aurait fait prêter solennellement lors du grand exil du Parlement. Son portrait ne dément pas ce caractère. Son œil rigide et ses traits anguleux, la compression de ses lèvres, semblent déceler un esprit où, malgré le sentiment inné de justice, l'austérité est poussée à l'exagération,à l'inflexibilité dans l'étroitesse de ses idées, à l'intransigeance dans les convictions les plus fausses. Il avait hérité de son pére une admiration mal raisonnée pour ce que son frère Félix appelle la liberté romaine, et qui était plutôt la liberté sauvage des Spartiates. Nommé à l'Assemblée constituante par la noblesse de la banlieue de Paris, il n'avait pas voté la réunion des trois ordres, mais un peu plus tard il y adhéra. Après le 14 juillet et le décret du 4 août, qui abolissait les droits féodaux, il se

déclara ouvertement pour la Révolution, et bien que cette mesure lui enlevat quatre-vingt mille francs de son revenu, il adressa au doyen de la collégiale de Saint-Fargeau une lettre d'approbation empressée de la suppression de tous les priviléges seigneuriaux. Il est vrai que, comme le dit son frère, il lui restait encore trois cents mille francs de rente. Il parla peu à l'Assemblée constituante, mais il donna la mesure de la confusion étrange de ses idées dans son rapport sur un projet du code pénal. Pour introduire l'humanité dans le chaos de l'ancienne législation criminelle, il supprimait la peine de mort. Mais voici ce qu'il y substituait. Le cachot, la gêne, la prison et l'exposition publique avec carcan, même pour les femmes, puis la dégradation civique.

Le cachot, sans jour ni lumière, avec une chaine et une ceinture de fer, des fers aux pieds et aux mains, du pain et de l'eau pour nourriture, de la paille pour le coucher et une solitude absolue. Cette peine était subie pour trente-trois espèces de crimes. Elle était de douze ans au moins, et pouvait aller jusqu'à vingt-quatre

ans.

La gêne, avec solitude, dans un lieu éclairé, une chaine et une ceinture de fer, mais les pieds et les mains libres, du pain et de l'eau pour nourriture, de la paille pour le coucher, sauf adoucissement par le produit du travail. Une fois par mois le lieu de la gène devait être ouvert, et le condamné exposé aux regards du public avec ses chaînes. La durée de cette peine était de quatre ans à six ans.

La prison, avec solitude, et du pain et de l'eau, sauf aussi le produit du travail. Deux ans au moins de durée, six ans au plus, avec exposition aux regards du public une fois par mois.

L'exposition, avec les chaines du cachot et de la gêne, pendant trois jours, et, à chaque fois, six heures consécutives, et, successivement, dans la ville où le jury d'accusation aura été convoqué, puis dans celle où la peine serait subie.

La dégradation civique, avec deux heures d'exposition publique et de carcan.

Tout cela était justifié, dans son projet et son rapport, comme une amélioration des rigueurs de l'ancienne législation. Ajoutons, enfin, que, pour couronner l'œuvre, les lettres de grâce, de rémission, d'abolition, de pardon, de commutation de peines, étaient inexorablement abolies. Et notons, pour dernier trait, que dans ce code draconien, la peine de chaque crime ou délit est rigoureusement tarifée, sans qu'il soit permis en aucun cas au juge d'en retrancher un seul jour.

Hâtons-nous de dire que l'Assemblée rejeta, avec une sorte

d'horreur, cette œuvre monstrueuse comme une peine plus cruelle et plus hideuse que la mort même.

Michel Lepeletier fut ensuite nommé, par l'élection, membre du Conseil général du département de l'Yonne, qui le choisit pour son président, et il est juste de dire que dans cette administration, il montra toujours des sentiments de justice et de sagesse. Ce n'est pas, qu'en entrant dans cette Assemblée, il s'empreignit des idées de modération essentielles à un administrateur. Son discours d'ouverture repousse cette idée.

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Loin de nous, disait-il, cet engourdissement politique, ce poison destructeur de toute énergie, le froid modérantisme, alliage • monstrueux de la servitude et de la liberté, ce sentiment mixte que Solon punissait de mort dans Athènes, qu'en France tous « les partis flétrissent par le mépris, impuissant pour la chose ⚫ publique, fatal à celui-là même qui l'adopte, et dont les demi« moyens, épuisés bien avant le terme de la carrière, nous la font voir toute jonchée des débris de tant de réputations échouées, de tant de héros avortés, qui n'ont pu fournir la carrière de la « révolution tout entière. »

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Ainsi cette modération, qui était incontestablement dans son caractère privé, et qu'il apportait dans la pratique des affaires ordinaires, devenait à ses yeux un crime, lorsqu'il s'agissait du gouvernement de la France, de sa forme, et de la discussion de ses intérêts politiques.

Au mois de septembre 1792, il fut élu, dans l'Assemblée électorale qui se tenait à Sens, membre de la Convention. Un événement sinistre marquait cette élection. Un habitant de Sens avait été assassiné par des furieux à la porte du bureau électoral.

A la Convention il courut bien des bruits sur ses rapports secrets avec le duc d'Orléans, Philippe-Egalité. Son frère les nie. Mais ce qu'en a dit M. Chaillou des Barres, dans la notice sur le château de Saint-Fargeau, dans l'Annuaire de l'Yonne, donne à croire que sa famille avait, dans des documents privés, de fortes raisons de croire le contraire.

Pendant les premiers mois de cette Assemblée, il s'occupait de ce qu'il appelait un plan d'éducation nationale, que lui inspiraient, en faisant remonter la civilisation ac vingt-cinq siècles en arrière, les souvenirs de la République spartiate.

Il avait écrit le rapport de présentation et le projet de décret qu'il voulait remettre à la Convention. Son frère a publié dans son livre cette étrange et presque incroyable élucubration.

Tous les enfants, filles et garçons, devaient être, dès l'àge de six ans, enlevés à leurs parents et, dans chaque canton, réunis

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