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REVUE GÉNÉRALE DE CLINIQUE ET DE THÉRAPEUTIQUE

JOURNAL DES PRATICIENS

DIRECTEUR M. Henri HUCHARD

RÉDACTEUR EN CHEF M. Charles ÉLOY

Comité de Rédaction : MM. BAR, E. BARIE, BÉCLERE, BROCQ, DEMELIN, DU CASTEL. GINGEOT, Charles Mauriag, Picqué Al. RENAULT, RIEFFEL, SCHWARTZ

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Sur l'emploi de Paristol daás le traitement de l'ichthyose infantile. par M. le Dr DESCROIZILLES

Médecin de l'Hôpital des Enfants Malades

Le 19 mai dernier, je voyais entrer dans le cabinet de consultation de l'hôpital une fille de 14 ans et demi, Léontine C..., grande, bien constituée et réglée depuis plusieurs mois déjà. Cette jeune personne venait nous demander un avis au sujet d'un état squameux de la peau, dont elle croyait avoir été affligée de tout temps. Elle jouissait d'une fort bonne santé, à tous les autres points de vue, et ne désirait nullement entrer à l'hôpital. J'insistai au contraire pour qu'elle s'y fît soigner, parce que j'espérais sincèrement l'améliorer, dans de notables proportions, à l'aide d'un traitement qui m'avait dernièrement réussi. Après mûre réflexion, elle revint me trouver le lendemain, 20 mai, et fut admise au n° 34 de la salle Dechaumont (1).

L'altération cutanée, dont elle se plaignait, s'étendait à une grande portion de la superficie du tégument. Sur la partie antérieure de la poitrine et sur le centre, ainsi qur le dos tout entier, on voyait de nombreuses lamelles épidermiques, de couleur grisâtre, polygonales, mais ne dépassant, dans aucun cas, deux ou trois millimètres d'étendue, assez minces pour être transparentes, presque partout, et régulièrement juxtaposées, à la façon des ardoises d'une toiture. Malgré leur peu d'épaisseur, ces écailles adhéraient fortement aux couches sous-jacentes et le frottement n'en détachait que de petits fragments. On retrouvait cette même modification de la peau au niveau des quatre membres, en avant et en arrière; elle ne faisait défaut qu'aux mains et aux pieds, ainsi qu'aux aisselles, aux coudes, aux poignets, aux creux poplités et aux régions tibio-tarsiennes. A peine perceptible à la partie inférieure du cou, elle disparaissait totalement au-dessous du menton. Sur le cuir chevelu et la face, l'enveloppe cutanée présentait ses caractères normaux. On ne constatait, sur aucun point, ni teinte érythémateuse, ni éruption vésiculo-pustuleuse, papuleuse ou croûteuse. Il n'y avait ni (1) Société médico-pratique, octobre 1891.

prurit, ni douleur, et la transpiration ne se produisait, chez cette jeune fille, que dans des conditions exceptionnelles.

Je ne pouvais pas avoir d'hésitation sur le diagnostic; il s'agissait certainement d'une ichthyose. La sècheresse absolue de la peau, l'absence de démangeaisons, la disposition régulière des squames, leur très grand nombre, leur consistance, leur absence à la tête, aux extrémités, aux grands plis articulaires, étaient des caractères fort nets, dont je ne pouvais méconnaître la valeur. S'il eût été question d'un pityriasis, les écailles auraient été beaucoup plus petites et plus fragiles. Le psoriasis est disposé par groupes ou par macules distinctes, et ne recouvre pas, comme dans le fait dont je parle, de vasnomie. Cette ichthyose était d'ailleurs fort ancienne; tes surfaces avec une complète uniformité de physio

elle existait aussi chez la mère et les deux frères de Léontine C...; elle ne présentait aucune de ces particularités d'aspect qui la font désigner quelquefois sous le nom de cornée, de nacrée ou de serpentine. On n'avait à aucune époque cherché à y porter sérieusement remède, on conseillait seulement de temps à autre quelques démangeaisons, par suite de son ichthyose, la jeune bains sulfureux ou amidonnés. N'éprouvant jamais de personne, bien que contrariée d'avoir une peau rugueuse, pensait qu'il fallait en prendre son parti et ne s'était présentée à la consultation que dans le but d'obtenir quelques cartes pour se baigner de nouveau, mais non dans l'intention d'essayer une médication quelconque. On a vu qu'elle n'est entrée dans mon service qu'avec répugnance.

Je donne des soins, depuis longtemps, à deux sœurs âgées, actuellement, l'une de 17, l'autre de 15 ans, et toutes deux affectées d'ichthyose de temps immémorial. J'avais, sans aucun profit, tenté de différents moyens, chez ces deux jeunes filles, pour atténuer leur difformité tégumentaire, quand, dernièrement, l'idée m'est venue de conseiller qu'on leur fit des applications de pommade à l'aristol. Cette préparation m'a, plus d'une fois, donné des résultats satisfaisants, dans ces eczémas secs, fréquents, comme toutes les variétés d'éruption eczémateuse, chez les jeunes sujets; je pensais qu'il en serait peut-être de même dans l'ichthyose et que, de toute façon, la tentative ne pouvait avoir d'inconvénient. Toutefois, je ne m'attendais pas à l'heureux effet que ce nouveau traitement a produit chez les deux sœurs. Trois ou quatre frictions ont suffi pour les débarrasser toutes les deux, dans l'espace d'une semaine, des squames qu'aucun des autres topiques n'avait modifiées. Je me trouvais donc encouragé à faire d'autres essais de

l'aristol relativement à l'ichthyose, et je me suis empressé de profiter de la possibilité, qui m'était offerte, de mettre mon projet à exécution.

de parents négligents ou inexpérimentés. Quant à moi, j'ai eu à traiter un assez grand nombre d'ichthyosiques, âgés de moins de quinze ans, et appartenant, pour la plupart, au sexe féminin. Sur plus de la moitié de ces jeunes sujets, j'ai obtenu une modification plus ou moins prononcée, avec différents procédés thérapeutiques, mais de préférence avec la glycérolé d'amidon, les bains d'amidon, l'huile de cade. D'habitude, l'améoration survenait assez vite, c'est-à-dire au bout d'un mois ou six semaines; d'habitude aussi les squames se sont formées de nouveau quelques mois après leur disparition.

Dès le 22 mai, on a commencé à pratiquer des onctions sur toutes les parties rugueuses de la peau, avec une pommade composée de neuf parties d'axonge et d'une partie d'aristol. J'ai recommandé qu'on fit ces onctions vigoureusement et longuement, tous les jours plutôt deux fois qu'une. En même temps, je prescrivais des bains d'amidon, deux ou trois fois par semaine, et j'administrais à l'intérieur dix gouttes de teinture de Fowler, par période de vingt-quatre heures. Le 25, le tégument des bras et des avant-bras, celui des épaules et de la partie supérieure du dos, étaient presque totale ment nettoyés et nous constations le retour complet à l'état normal, deux ou trois jours plus tard Du 27 mai au 1er juin, la même amélioration se produisait aux membres inférieurs et aux régions lombaires, l'état squameux ne persistait, bien qu'avec une atténuation notable, que sur l'abdomen. Entre 1 ombilic et le pubis, sur les parties latérales plutôt que sur la ligne médiane, on apercevait de nombreuses stries raboteuses, de teinte brunâtre, et tout indiquait qu'elles ne disparaîtraient pas, ou qu'elles ne s'effaceraient que partiellement. Sur toutes les autres parties du corps, le succès était évident; en outre, la santé générale était excellente. Jusqu'au 15 juin, on a continué, à l'extérieur, les applications de pommade d'aristol au dixième ; à l'intérieur, l'arsenic sous forme de liqueur de Fowler. Le 15 juin, la jeune fille nous a quittés, pour aller à l'asilo de convalescence d'Epinay. A cette date, la peau était souple à peu près partout; comme il fallait s'y attendre, on distinguait encore, de chaque côté et un peu au dessus du pli de l'aine, quelques stries pig-passé sous mes yeux, était de 10 pour 100 pour les deux mentaires, légèrement squameuses à leur superficie.

Je ne terminerai pas cette observation sans rappeler qu'on a traité l'ichthyose de bien des façons différentes; parmi les nombreux moyens expérimentés, il me suffira de citer l'huile de cade, la glycérine, la vaseline, l'acide citrique,le goudron, l'emplâtre mercuriel, l'huile de croton, l'huile de foie de moruc, l'acide tartrique, l'acide pyrogallique, les bains savonneux ou alcalins, le bains de vapeur, le séjour aux eaux de Saint-Gervais, d'Uriage, de Schlangenbad, de Louèche. Souvent on a employé les tissus imperméables, quelquefois même on a eu recours à la curette. A l intérieur, on a prescrit, soit les préparations arsenicales, soit les toniques, qui semblent fréquemment indiqués, en effet, parce que beaucoup de jeunes ichthyosiques sont en même temps lymphatiques ou chloro anémiques. Bien des médecins expérimentés considèrent l'ichthyose comme incurable; ce pessimisme est peut-être exagéré, surtout quand il s'agit d'individus très jeunes. Toutefois, il faut reconnaître que, si l'on obtient de bons résultats, ils sont le plus souvent transitoires, mais il est probable aussi que, l'anomalie cutanée se manifestant, en général, dès les premiers temps de l'existence, il serait beaucoup plus facile d'y remédier pour toujours, ou pour une très longue période, si l'on cherchait à détruire l'état squameux, dès qu'on peut le constater, au lieu de ne tenir aucun compte de cet état pendant des années entières, comme le font beaucoup

Je n'ai donc pas le droit d'affirmer que, dans le cas actuel, j'ai obtenu une guérison définitive. Il est presque certain au contraire que, dans quelques mois, l'état du tégument comparé à la peau de poisson redeviendra ce qu'il était antérieurement chez les trois jeunes personnes auxquelles je viens de faire allusion, Ce que j'ai voulu signaler à l'attention des médecins, c'est la rapidité avec laquelle l'aspect de la peau s'est transformé, dans les trois cas, sous l'influence de l'aristol. Au bout de cinq ou six jours, la métamorphose était évidente, et lo topique avait agi sans donner lieu à aucune irritation locale, sans occasionner de démangeaisons. De nouveaux essais sont à coup sûr indispensables pour affirmer la supériorité de l'aristol sur les autres agents pharmaceu tiques que l'on peut opposer à l'ichthyose; il est à désirer que ces essais se multiplient et, pour mon compte, je ne négligerai aucune occasion de recueillir de nou veaux faits, à l'appui de ceux que j'ai cru devoir faire connaître au public médical.

La dose d'aristol employée dans les trois faits qui ont

premiers, et 5 pour 100 pour le troisième, par rapport au corps gras; il est très probable qu'il conviendrait de varier suivant les circonstances. Toutefois, d'après quelques essais relatifs à des cas de psoriasis, et dans lesquels j'ai, sans succès décisif d'ailleurs, mis aussi l'aristol à contribution, je suis porté à croire qu'il vaut mieux l'employer en petite quantité, qu'à plus de douze ou quinze pour cent, il devient irritant, et offre plus d'inconvénients que d'avantages. On a pu voir aussi que j'ai prescrit la liqueur de Fowler à mes trois jeunes ichthyosiques. L'utilité de la médication interne, vis-à-vis de l'ichthyose, a souvent été mise en doute; je suis de ceux qui considèrent le traitement général comme efficace dans cette dermopathie, et je recommanderai toujours, en semblable conjoncture, soit l'arsenic, soit l'huile de foie de morue et les autres corps

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HYGIÈNE THÉRAPEUTIQUE

De l'hygiène des syphilitiques
Accidents secondaires et tertiaires (1)

Les boissons, habituellement employées dans la consommation, sont le vin et la bière.

Les vins sont toniques et stimulants d'autant plus que l'alcool y abonde davantage. Mais leur action d'ensemble dépend des divers principes qui entrent dans leur constitution: acides et sels divers, tannin, matières colorantes, bouquet. On doit conseiller de préférence aux syphilitiques ceux qui sont légèrement acidulés et contiennent des quantités modérées d'alcool, de sucre, de matière colorante et de tartre; tels sont surtout les vins de Bourgogne et de Bordeaux. Ces derniers, plus riches en tannin, sont préférables au Bourgogne.

Les vins des environs de Paris désaltèrent bien; mais ils sont chargés d'acides et imparfaitement fermentés. Il en résulte souvent des rapports aigres et des coliques intestinales. Ces vins ne sauraient donc convenir aux estomacs faibles.

Les vins du Midi, du Languedoc et du Roussillon, par exemple, la plupart des vins d'Espagne et de Portugal contiennent une trop forte proportion d'alcool.

Quant aux vins blancs légers, les estomacs délicats les digèrent aisément; ils ont donc des indications parti culières.

Il faut être très sobre en revanche des vins blancs mousseux, du Champagne particulièrement, qui produit promptement l'ivresse et alanguit l'estomac, en raison de la quantité considérable d'acide carbonique qu'il contient. On sait en effet que cet acide, qui active la sécrétion du tube disgestif, ne tarde pas, s'il est continué, à fatiguer l'estomac et diminuer l'appétit.

Du reste, un article de ce genre ne peut donner que des indications générales. Aussi l'avons-nous intitulé: hygiène des syphilitiques, et non de la syphilis. On ne saurait trop répeter, en effet, qu'il faut avant tout envisager le malade et se préoccuper beaucoup moins de la maladie. C'est donc au médecin à varier ses prescriptions selon chaque cas particulier, en ayant toujours présente à l'esprit la nécessité d'entretenir le bon fonctionnement du tube digestif.

C'est en partant de ce principe que d'autres boissons alimentaires peuvent également être conseillées aux syphilitiques. Ainsi la bière est un excellent breuvage qui agit par l'alcool, les matières sucrées et salines, les substances amères qui entrent dans sa composition. Elle a l'avantage de stimuler l'appétit et de favoriser l'embonpoint. Mais il importe qu'elle ne soit pas trop alcoolique. On conseillera done de préférence les bières de Paris, les bières blanches, mais non point le faro de Bruxelles ni le porter des Anglais, boissons très alcooliques et très concent ées.

Nothnagel et Rossbach pensent que la bière doit être a 'ministrée aux anémiques, à ceux dont l'estomac est

(1) Fin. Voir page 669, no 43.

alangui et encore aux individus très nerveux, qui, en raison de leur excitation cérébrale, ne peuvent sup. porter ni le vin ni l'alcool.

Le cidre que l'on obtient par la fermentation du jus de pommes ou de poires, « poiré », est une boisson médiocre. Nouveau, il est lourd et indigeste. Un peu plus fermenté, il agit comme les vins mousseux. Plus tard, enfin, il contient une plus forte quantité d'alcool et a l'inconvénient des boissons trop fermentées. Le médecin ne le permettra donc qu'avec parcimonie.

A côté de l'abus de l'alcool s'en place un autre qui généralement marche conjointement avec lui. C'est celui du tabac. Je n'ai pas à m'occuper ici des effets généraux de cette substance. Ses périls ont été singulièrement exagérés. En matière d'hygiène chez les syphilitiques, il n'y a à considérer que son action sur le tube digestif et principalement son influence topique sur la cavité buccale.

Le fumeur à outrance devient un dyspeptique. Le tabac, après avoir stimulé, par l'entremise du grand sympathique, les fibres lisses de l'estomac, les frappe secondairement de parésie. En même temps, il y a chez la plupart des fumeurs insuffisance de la salive, qui est rejetée en abondance pendant la combustion du tabac. Par le fait des liens nerveux qui unissent entre elles les diverses sécrétions digestives, les sucs gastrique et pancréatique se tarissent. Il en résulte anorexie, ten. dance à la dyspepsie atonique et épuisement par le fait du rejet de la salive. L'anorexie dépend surtout de ce que le tabac a la propriété d'engourdir la sensibilité de la muqueuse digestive. Les soldats et les matelots, qui fument et chiquent souvent avec excès, le savent bien; car c'est le moyen auquel ils ont recours pour tromper leur faim.

Quoi qu'il en soit, ce n'est pas précisément en raison des troubles que le tabac provoque du côté du tube digestif qu'il faudra en interdire l'usage aux syphilitiques. I est exceptionnel en effet de rencontrer des malades qui fument au point de nuire à leur estomac. A ceux-là, bien entendu, la modération devrait être recommandée.

Mais, il s'agit de le proscrire en raison de ses effets désastreux sur la cavité buccale et l'arrière-gorge. On sait que le tabac peut être mâché, prisé ou fumé.

Aujourd'hui, le nombre des chiqueurs est restreint. L'habitude de la chique ne se rencontre guère que chez les matelots et quelques ouvriers qui ont autrefois servi dans la marine. Si le médecin avait à traiter un syphilitique adonné à cette funeste coutume, il devrait immédiatement la lui interdire. Chez le chiqueur, la bouche et l'haleine deviennent puantes; les dents se rongent peu à peu; les lèvres, les joues, les gencives, la langue, le pharynx deviennent le siège d'une phlegmasie chronique. Que d'alcool il faut pour éteindre ce feu là ! ajoute M. Pécholier dans son remarquable article: « Tabac » du Dict. encyclop. des sc. médic. Il y a plus: ou le chiqueur avale sa salive empestée ou il la crache en abondance, ce qui est une cause de dépérissement et de dyspepsie. Ainsi donc, appel et fixation des syphilides dans le locus minoris resistentiæ, débilita

tion du sujet, telles sont les funestes conséquences de l'habitude de la chique.

Il ne faudrait pas croire que la prise, qui au premier abord semble être une satisfaction inoffensive, n'ait pas de sérieux inconvénients chez le syphilitique. Le danger sera plus grand chez le priseur invétéré que chez le néophyte. Au début, on se contente de quelques atomes de tabac; mais plus tard, on engloutit de vrais monceaux d'une poudre noire, qui imprégnée de mucus nasal, retombe sur les moustaches, la barbe et les vêtements pour les souiller. La sensibilité émoussée de la muqueuse réclame des quantités toujours croissantes. La pituitaire s'épaissit, devient le siège d'eczéma, d'ulcérations, parfois même de polypes. L'odorat peut se perdre. Par continuité de tissu, la peau du nez rougit; le canal nasal, les voies lacrymales, la trompe d'Eustache s'irritent. La poudre, franchissant les fosses nasales postérieures, enflamme le pharynx, le larynx et jusqu'à l'œsophage et l'estomac. Par l'analyse chimique, on a pu retirer de la nicotine des organes des gros priseurs. Est-il alors surprenant que des syphilides érosives, papulo-érosives et ulcéreuses se développent et persistent au niveau de la pituitaire de ces endurcis, qui n'ont pas le courage de renoncer à leur funeste habitude, parce qu'elle est un agréable stimulus de leur cerveau et leur apporte un précieux concours à la pensée et à la mémoire? En outre la localisation du virus en ce point est toujours chose fâcheuse. Rien n'est plus rebelle que la cicatrisation des pertes de substances, quelle qu'en soit l'origine, qui siègent sur la pituitaire. La muqueuse, reposant immédiatement sur un tissu fibreux très dense, qui fait corps avec le cartilage ou avec l'os, il n'y a aucune tendance à la réparation. Nous dirons donc aux priseurs de fraîche date, entachés de syphilis, n'allez pas plus loin; renoncez radicalement, puisque chez vous l'habitude n'est pas invétéréo. Nous recommandons expressément aux autres d'user le moins possible, leur représentant la ténacité des syphilides pituitaires et en outre le danger qu'il y aurait à exposer leur pharynx à une irritation secondaire.

Arrivons maintenant au point le plus important de ce chapitre, à celui qui regarde les dangers de la fumée de tabac. Si le chiqueur surtout et le priseur sont rares aujourd'hui, le fumeur constitue une grosse majorité. Eh bien qu'arrive-t-il chez le fumeur à outrance? Une irritation de toutes les parties constituantes de la cavité buccale, de l'arrière-gorge, du larynx, de l'œsophage et de l'estomac. Le ptyalisme peut être aussi abondant que chez les chiqueurs. La pharyngite granuleuse est habituelle. Enfin, on a observé la surdité et une toux laryngée incessante.

La substance, presque uniquement malfaisante dans la fumée de tabac, est la nicotine. Heubel, Schlæsing, Dragendorff et Valentin Rosé l'ont mis hors de doute. N'y en a-t-il pas d'autres? Kissling, à Brême, qui a institué des expériences pour le savoir, a trouvé dans la fumée divers principes vénéneux : l'oxyde de carbone, le sulfure d'hydrogène, l'acide prussique et la picoline, corps isomère avec l'aniline. Mais ces substances sont

en très faibles proportions et d'ailleurs leur extrême volatilité permet de les négliger au point de vue de leurs dangers réels. Gréhant avait bien tenté d'effrayer les fumeurs en cherchant à démontrer les périls que leur faisait courir l'oxyde de carbone. Mais le fait n'est pas exact. Le Bon, reprenant les expériences de Gréhant, est arrivé aux résultats suivants: pour produire une quantité nuisible d'oxyde de carbone dans une chambre cubant 30 mètres, et où l'air ne se renouvellerait pas par des fissures, il faudrait y fumer trente pipes, vingtcinq cigares de 10 centimes ou deux cent cinquante cigarettes. A ce moment, la chambre contiendrait un nuage tellement épais qu'on serait obligé d'ouvrir toutes les fenêtres.

Ce n'est donc que par la nicotine que le tabac est nuisible. Il résulte en effet d'expériences dues à un chimiste distingué de Poitiers, Malaport, qu'il en passerait par la bouche d'un fumeur environ 9 0/0 du poids du tabac consominé par lui.

Aussi la bouche d'un syphilitique qui fume est-elle la proie de lésions spécifiques de toutes sortes. Durant la période secondaire, on y rencontre toutes les variétés de syphilides; plus tard, la glossite avec ses diverses modalités, des fissures, des rhagades très douloureuses qui sillonnent profondément la langue, gênent l'usage de la parole et la mastication et empoisonnent véritablement son existence. M. Fournier a parfaitement décrit ces lésions multiples, qui affectent la langue du syphilitique, adonné à la passion du tabac, lésions dont l'ensemble constitue ce qu'il a justement denommé glossite métisse.

Ce qu'il faut savoir, ce qu'il importe de répéter sans cesse au malade, c'est que s'il n'a pas le courage de mettre le cigare ou la cigarette de côté, il s'expose, dès le début de la période secondaire, à des poussées confluentes de syphilides buccales, à une ténacité désespérante des lésions, à des récidives presque fatales et cela en dépit du traitement le mieux institué, le plus régulièrement suivi, le plus longtemps continué. Croyant qu'il se mercurialise insuffisamment, il doublera les doses, au risque même de provoquer une stomatite grave et de détériorer ses voies digestives. Mais ses efforts seront vains; il n'aboutira que le jour où il aura proscrit le tabac et permis aux topiques légèrement caustiques et à la médication interne d'accomplir leur œuvre bienfaisante.

S'il persiste, malgré les exhortations de son médecin, c'est alors qu'il verra se développer, principalement à la langue, des lésions désormais irrémédiables. Renonçant plus tôt, il était en droit de tout espérer de la médication. A cette période, il n'y a plus rien à faire, même quand le tabac est mis radicalement de côté. Que tenter en effet sur des tissus chroniquement altérés dans leur texture, désorganisés, sclérosés, couverts de cicatrices, toujours prêtes à s'ulcérer à la moindre cause d'irritation. Ce n'est qu'à grand'peine que l'on arrive à soulager le malade porteur de lésions de ce genre. Mais le guérir, d'une façon même incomplète, on n'y parvient jamais.

La situation peut devenir plus grave encore. Gare

aux malheureux syphilitiques, prédisposés au cancer! C'est une épée de Damoclès, dont la menace est constante. La langue change alors d'aspect, l'épithélioma, sollicité loco dolenti, se substitue à la syphilis et l'intervention chirurgicale s'impose avec toutes ses conséquences prochaines et éloignées.

Que devrons-nous donc prescrire au syphilitique qui a l'habitude de fumer? S'il est jeune et qu'il ait encore peu usé du cigare ou de la cigarette, il faut l'arrêter net sur la pente, l'adjurer de renoncer complètement, et même pour toujours, sauf de rares exceptions, à son funeste penchant, en prévision des accidents que nous avons longuement énumérés plus haut et qu'il sera bon de lui faire connaître.

Est-il au contraire un fumeur endurci? S'est-il créé un besoin irrésistible? Ne peut-on espérer que des concessions, encore bien difficiles à arracher? Voici les recommandations qu'il importera de lui faire. Nous les empruntons au Dr Pécholier:

1o Ne jamais fumer à jeun ou avant les repas, de crainte de dyspepsie, non plus que dans sa chambre à coucher;

2° Ne pas consommer plus de deux ou trois cigares par jour ou leur équivalent en pipes ou en cigarettes: un cigare après chaque repas.

3o Choisir des pipes à longs tuyaux ; interposer entre le cigare et la cigarette d'une part, les lèvres et la bouche de l'autre un tube en arabre et en bois. Cette recommandation est plus utile encore pour la cigarette, dont le papier laisse trop souvent à désirer.

4° Jeter cigares et cigarettes dès qu'ils auront été aux trois quarts fumés. La raison en est que la nicotine, qui ne se vaporise qu'à 250°, se redépose promptement, dès qu'elle a franchi le fourneau incandescent.

5 Cigares ou cigarettes, enfin, ne doivent pas être rallumés, à moins qu'ils ne viennent de s'éteindre. Car la nicotine, qui s'est déposée par le refroidissement, est attirée directement dans la bouche et y produit les désordres que l'on connaît.

Pour en finir avec les prescriptions fondamentales à édicter aux syphilitiques, il nous reste à dire quelques mots des soins de propreté et du surmenage physique et intellectuel.

Déjà, dans un premier article publié cette année dans le numéro 20 de la Revue de Clinique et relatif à l'hygiène du syphilitique au début de sa maladie, pendant la période du chancre, j'ai insisté sur la nécessité de prendre des soins minutieux de propreté. Par la malpropreté, disais-je, le chancre syphilitique, qui a une tendance naturelle vers la guérison, persiste au delà de ses limites ordinaires et peut même se compliquer d'accidents imflammatoires.

Les recommandations d'alors trouvent encore mieux leur application aux périodes secondaire et tertiaire de la maladie. Chez les femmes surtout, dont les seins sont souvent volumineux, dont les organes génitaux sont généralement baignés par des liquides plus ou moins irritants, une minutieuse propreté est absolument de rigueur. Que voit-on autrement, des syphilides suintantes dans le creux axillaire, dans le sillon plus ou

moins profond qui sépare les seins des téguments de la paroi thoracique, des syphilides végétantes énormes au niveau de la valve et au pourtour de l'anus. Ces productions entravent la marche, gênent la défécation, exhalent une odeur infecte et font des malades un objet de répulsion.

Chez les hommes qui marchent beaucoup et transpirent aisément des pieds, il n'est pas rare de trouver entre les orteils des syphilides érosives ou ulcéreuses, qui exalent aussi une puanteur excessive.

Comment prévenir ces accidents et y remédier, quand, par suite de la négligence ou de la misère, ils se sont produits?

Deux moyens possèdent une efficacité merveilleuse : la balnéation et l'isolement des parties malades.

Les bains constituent assurément un procédé excellent. Il s'agit, bien entendu, de bains généraux tièdes, d'eau simple ou additionnée d'amidon ou de son. En détergeant la surface de la peau dans sa totalité, ils la débarrassent des impuretés, qui peuvent irriter les parties malades et prédisposer à l'exubérance des lesions. Ces bains devront être fréquemment renouvelés; le mieux sera d'en prendre trois par semaine, d'une durée moyenne de trois quarts d'heure chacun.

Quant aux bains de Barèges, à l'hydrothérapie et au traitement hydro-minéral, ils s'adressent à des indications spéciales, qui ne relèvent plus de l'hygiène, mais de la thérapeutique et sur lesquelles nous n'avons pas à insister ici.

Chez la femme spécialement, indépendamment des bains, des injections vaginales d'eau boriquée tiède ou de solution de chloral à la dose de 2 0/0 doivent être faites matin et soir.

Quand la vulve surtout est couverte de syphilides, ses parties constituantes, je le répète, doivent être tenues avec une propreté méticuleuse, sous peine de voir les lésions devenir végétantes et acquérir des proportions, qui, dans certains cas, deviennent gigantesques. Il y a plus, au voisinsge des parties malades, des végétations véritables peuvent se développer, par le fait même du défaut de propreté, devenir confluentes et acquérir également des proportions énormes.

L'isolement des surfaces malades est non moins important que la balnéation. Qu'il s'agisse de l'homme où de la femme, il faut se garder de laisser en contact des lésions suintantes. Autrement c'est le meilleur moyen de les entretenir, de les aggraver et même de provoquer des troubles fonctionnels, la gêne de la marche par exemple, quand les syphilides occupent les intervalles des orteils.

Pour réaliser cet isolement, il suffit d'une simple poudre inerte ou légèrement astringente, telle que l'amidon, la poudre de lycopode, de talc, de tannin ou encore une légère couche d'ouate antiseptique, ces simples moyens sont à la fois prophylactiques et curatifs, le cas échéant, et on est étonné de la rapidité avec laquelle ils agissent, quand on les emploie avec méthode et régularité.

J'ajouterai que la poudre ou l'ouate doivent être renouvelées tous les jours, après avoir, au préalable, lavé et asséché les parties.

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