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HISTOIRE DE L'ISLE-ADAM

Les origines de l'Isle-Adam

L'existence du bourg de l'Isle-Adam proprement dit, ne paraît pas remonter au delà du xe siècle, si l'on en excepte le vieux castel et ses dépendances, le prieuré et ses bâtiments, situés dans l'ile principale; mais le groupe des habitations primitives semble rémonter à l'ancienne Gaule, car son premier nom était Nogent. Cette dénomination est restée à la portion la plus ancienne et la plus considérable de la localité.

Il n'est pas sans intérêt pour l'intelligence du mot Nogent de rappeler ici ce qu'en dit le docte abbé Lebeuf dans son Histoire de l'Ancien diocèse de Paris (1):

« Les différents lieux du royaume qui portent encore le nom de Nogent ont été communément appelés dans les anciens historiens et dans les titres latins: Novigentum ou Novientum. M. de Valois écrit qu'il est constant que ce nom vient de la langue des anciens Gaulois, mais que sa signification est incertaine ou plutôt inconnue. Cependant quelques savants, sur ce que, dans plusieurs langues, le mot Nouveau est approchant le même, quant aux principales lettres qui le composent, ont cru pouvoir conjecturer que Nov signifiait aussi Nouveau dans le Celtique; d'autres pensent que cette syllabe Nov ou Nou a pu être usitée pour désigner un terrain gras ou

(1) L'abbé Lebeuf, Histoire du Diocèse de Paris, tome VI. Article: Nogent-surMarne.

trempé (1). Mais pour ce qui est de Gent ou Jent, personne que je sache n'a encore dit ce qu'on doit en penser. Je ne harsarderai rien non plus sur cette syllabe; ce que je puis dire est que certains territoires ont eu leur dénomination avant qu'on bâtit dessus, et l'ont communiquée aux villages ou bourgs qui y ont été construits depuis; d'autres, qui n'avaient point de dénomination, ont pris celles des villes ou bourgs qu'on y a bâtis. >>

D'après ce témoignage nous pouvons donc dire que ce nom celtique: Nogent, encore assez commun en France, signifie : habitations près de l'eau; tous les Nogent, en effet, se trouvent placés près les cours d'eau; c'est le chemin habituel que suivaient les conquérants du Nord, ajoute le même historien. Du reste ces peuplades ont laissé sur notre territoire une preuve authentique de leur passage.

Une barque, faite d'un seul tronc d'arbre, fut, dans les premiers mois de 1830, trouvée dans les fouilles exécutées, au bord de l'Oise, pour la construction de l'écluse de l'Isle-Adam, qui est à la pointe de l'Ile du Prieuré. Cette barque, dont le bois était devenu spongieux par suite d'un long séjour dans la terre d'alluvion, en fut retirée avec soin; mais de nombreux amateurs la dépecèrent avant qu'on eût le temps de s'y opposer.

« J'ai pu toutefois, dit M. Carro, recueillir auprès de M. Desfontaines, ingénieur chargé des travaux de l'écluse, des détails autorisant à considérer cette barque comme fort analogue, par ses dimensions et sa forme, à celle trouvée au pont d'Iéna. On y remarquait notamment une réparation indiquant des moyens de travail sans doute inconnus aux peuples primitifs. >>

Nous lisons ces intéressants détails dans une note mise au bas de la page 139 du volume des Mémoires lus à la Sorbonne dans les séances extraordinaires du Comité des Travaux historiques tenues, les 30, 31 mars et 1er avril 1864.

Quoiqu'il en soit, toutes ces localités désignées sous le nom générique de Nogent paraissent avoir existé antérieurement à la monarchie française, et même à la domination romaine. Leur nom et leur antiquité ne permettent pas de les confondre avec ces lieux qui étaient la demeure assignée à ces peuplades de prisonniers que les Romains introduisirent à diverses époques et qu'ils obligeaient à vivre du travail de leurs mains en défrichant des terrains incultes; peuplades qualifiées dans la Notice des dignités de l'Empire : les Lètes ou Gentils. (2)

(1) Ne pourrait-on pas trouver dans le mot Nogent la racine des mots : Noyer, la Noue?

(2) C'est l'empereur Constance Chlore qui introduisit dans les Gaules la colonie des Lètes.

On a la certitude, nous dit encore l'abbé Lebeuf, qu'il existait, aux environs de Paris, des Gentils Sarmates dont le Préfet résidait dans cette cité ou sur le territoire parisien, Præfectus Sarmatarum Gentilium, lit-on dans cette Notice. Ils demeuraient sans doute à Gentilly, comme semble l'indiquer l'étymologie de ce nom. (1)

Le monument le plus ancien que nous ayons trouvé de l'histoire de l'Isle-Adam, ou plutôt de Nogent, remonte au ixe siècle. Une charte du Cartulaire de l'Abbaye de Saint-Denis, datée de l'an 862, porte que la paroisse est tenue à une redevance pour le vêtement et la chaussure des moines (2), ce qui semble indiquer que dès lors l'église et la paroisse étaient desservies par les moines de SaintDenis. Ce qui confirme cette opinion c'est la vieille légende, perpétuée jusqu'à nos jours, qui nous apprend qu'on apportait de Saint-Denis des morts pour les inhumer dans le cimetière de Nogent. Alors il n'était pas rare de choisir, pour la sépulture des familles, des lieux qui entouraient les églises desservies par des moines qui en devenaient les gardiens. C'est bien ce qui explique ces vastes cimetières que l'on rencontre dans de très petites localités; cette simple remarque est la solution de ce problème. Du reste, cette pieuse coutume s'est conservée jusqu'à nos jours; citons en preuve les cimetières du Mont-Valérien et du couvent des Religieuses de Picpus, à Paris. (3)

(1) Hist. du Diocèse de Paris, passim.

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Chantilly vient de la même origine.

(2) Dom Doublet, Hist. de l'Abb. de Saint-Denis, tome II, page 794.

(3) J'ai moi-même signalé au Comité des Sociétés savantes l'existence d'un antique cimetière qui entourait l'église romane du village d'Arronville, canton de Marines (Seine-et-Oise). Ce cimetière, de 15 hectares de superficie et de 4 mètres de profondeur, contenait, dans ses couches superposées, des sépultures gallo-romaines, mérovingiennes et chrétiennes.

L'éloignement de toute population nombreuse, et le silence de la tradition sur des souvenirs de combats meurtriers ou de peste locale, m'ont forcé d'admettre une vieille légende conservée dans le pays, qui rappelle qu'autrefois on apportait les morts de Beauvais et des lieux environnants pour leur donner la sépulture dans ce vaste cimetière. Cette tradition semble confirmer celle de notre cimetière de Nogent. On sait, du reste, que c'est vers le ve siècle que les sépultures isolées ont cessé dans nos contrées.

Domaine de la Baronnie et Chatellenie

de l'Isle-Adam

Au commencement du XIIe siècle, le domaine de l'Isle-Adam était de peu d'importance; il ne consistait qu'en une baronnie et châtellenie comprenant le terroir particulier de l'Isle-Adam, Parmain et Valmondois, avec la mouvance de tous les fiefs. Ce domaine s'accrut successivement par suite d'acquisitions, d'échanges et d'héritages.

Indiquons sommairement ces principales augmentations en les attribuant à leurs auteurs.

Pierre de Villiers acquit de la baronne d'Ivry, pour la somme de 3,000 florins d'or, la terre de Valmondois, le 5 janvier 1360. Le même Pierre de Villiers acquit aussi la terre de l'Isle-Adam d'une demoiselle de Luzarehes devenue seule propriétaire, moyennant 500 francs d'or, suivant acte du 6 novembre 1364.

Jean de Villiers, fils de Pierre de Villiers, IIe du nom, réunit par sa femme au domaine de l'Isle-Adam les terres de Fontenelle et d'Amblainville.

Jacques de Villiers, héritier de la châtellenie de l'Isle-Adam, acquit le 2 juin 1470, de Charles de Beaumont, la terre de Nogentle-Tigneux (1), avec le lieu seigneurial appelé la Haute-Salle, où se trouvait un vieux château, plus 480 arpents en bois, pâturages et friches (2).

Charles de Villiers, évêque de Limoges, puis de Beauvais, qui possédait le domaine de l'Isle-Adam avec ses dépendances, fit diverses acquisitions, notamment de 87 arpents 67 perches de bois qui avait appartenu au Temple, suivant acte du 23 juillet 1524.

Anne de Montmorency, grand-maître et connétable de France, qui avait obtenu la nue-propriété de l'Isle-Adam de son cousin Charles de Villiers, acquit, par acte du 25 juin 1528, la seigneurie de Méry-sur-Oise. Il fit encore plusieurs autres acquisitions, notamment celle de Jouy-le-Comte, moyennant 9,000 francs, par sentence du Palais, du 3 février 1552.

François-Louis, prince de Conti, fit de nombreuses acquisitions, entre autres, en 1696, 117 arpents de bois du seigneur de Balaincourt; en 1701, la seigneurie de Chambly; en 1707, les bâtiments

(1) Je n'ai trouvé que dans l'opuscule de M. André ce surnom attribué à notre Nogent; je n'ai pas cru devoir le supprimer.

(2) Il ne faut pas confondre ce vieux château de la Haute-Salle avec le château de Cassan qui était un autre fief.

et clos de M. Bardou de Valicieux qu'il échangea contre le prieuré de Notre-Dame de l'Isle-Adam, sis en face de son château.

Louis-Armand II, fils du précédent, qui, pendant toute sa vie, fit de nombreuses acquisitions de maisons et jardins, tant pour agrandir les dépendances de son château de l'Isle-Adam, que pour éloigner les propriétaires dont le voisinage pouvait gêner ses projets.

Louis-François Bourbon-Conti, durant sa longue vie, augmenta si considérablement le domaine de l'Isle-Adam qu'il deviendrait fastidieux d'en essayer le dénombrement; il suffit de renvoyer le lecteur au travail consciencieux de M. André, architecte des princes de Conti, auquel nous sommes redevable, nous aimons à lui en témoigner toute notre reconnaissance, d'une grande partie des renseignements sur les accroissements successifs du domaine de l'IsleAdam (1).

Louis-François-Joseph de Bourbon-Conti, comte de la Marche, fils unique du précédent, fit de très-importantes acquisitions et de non moins considérables dépenses dans le but de restaurer ses châteaux, de construire des écuries et d'améliorer ses chasses. Le détail intéressant de ces œuvres se trouve dans l'opuscule dudit M. André.

Ce prince vendit, le 7 octobre 1783, à Monsieur frère du roi, moyennant la somme de 11,000,000 francs, tous ses domaines. Il s'était réservé, durant sa vie, l'usufruit en jouissance de la baronnie du château de l'Isle-Adam, de toutes ses dépendances et de toutes ses chasses.

La Révolution est venue interrompre l'action de cette vente, et la jouissance de cet usufruit.

La force prime le droit, ce ne sont pas seulement les Barbares du Nord qui ont fait entendre ce cri sauvage; chez nous, les révolutionnaires le réduisent en pratique en foulant aux pieds les titres les plus sacrés des personnes et des propriétés! Dans l'antiquité payenne nous voyons Saturne dévorer ses propres enfants; mais notre civilisation moderne nous apparaît encore plus féroce! Craignons les revendications; les tyrans d'aujourd'hui pourraient bien devenir les victimes de demain !

(1) Chronique historique des différents propriétaires des Domaines de l'IsleAdam, Beaumont-sur-Oise, Chambly, Auvers, etc., etc. — Paris, imp. Richomme; 1809.

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