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toujours : « Je veux savoir cela. » On fut obligé de l'emporter en s'écriant: « C'est que je n'ai jamais vu un nez si long. »

En la seconde moitié du xvIIe siècle, la femme du monde surtout ne vivait que de désœuvrement et de frivolité; point de repos, point de silence, toujours du mouvement, toujours du bruit, une perpétuelle distraction de soi-même, voilà cette vie. (1)

L'esprit de la femme mondaine ne veut point avoir une heure de recueillement, de solitude où elle est menacée de retomber sur elle-même; il lui faut, à côté d'elle, sous la main, quelque chose de vivant, de bruyant, d'étourdissant. Il faut, pour lui tenir compagnie et l'empêcher d'être seule, le bavardage, les folies, les impertinences d'un page, d'un négrillon, d'un fou; le jeu, les cris, le tapage des animaux familiers. Ici c'est un singe, un sapajou qui prend le chocolat avec sa maîtresse, en face d'un perroquet à l'œil étincelant de jalousie. Là, le capricieux et sautillant écureuil court sur le damas d'une ottomane et grimpe à la rocaille d'un lambris. Les salons, les boudoirs, les chambres à coucher se remplissent de ces jolis angoras que Mme de Mirepoix installe sur la table de loto et qui poussent de la patte les jetons à leur portée (2). Quelle femme n'a pas eu son chien chéri, gâté, ce maître, ou mieux ce tyran de la maison ? (3) Et quelles éducations! Il semble que ces bêtes prennent, entre les mains de leurs maîtresses, quelque chose de leurs caprices, de leurs préférences, de leurs antipathies; ainsi, pour n'en citer qu'un seul exemple: La princesse de Conti dresse son chien à mordre son mari, bien faible représaille!

Cette excellente princesse, malgré la modicité de ses revenus était d'une générosité digne d'éloges. Mademoiselle Bagarotti, son amie, laissant en mourant beaucoup de dettes, son bien et son mobilier n'ayant pu suffire pour les acquitter, il restait quarante mille livres dont les créanciers se trouvaient frustrés. Madame la princesse de Conti ne voulant point que la mémoire d'une personne qu'elle avait aimée fût souillée d'une telle tache, s'engagea avec les créanciers à payer cette somme entière de quarante mille livres, et pour en acquitter immédiatement une partie, elle vendit quelques diamants. L'âme ne peut sans émotion entendre le récit de cet acte de bienfaisance; en donnant cette preuve si touchante d'amitié, elle n'avait pas perdu sa journée! (4)

Mais revenons à notre nouveau prince et seigneur, et cherchons dans les quelques années qu'il a passées au milieu de nous, le bien qu'il a fait et les titres qu'il a à notre reconnaissance? Disons enfin

(1) Ed. et J. de Goncourt, la Femme au XVIIIe siècle.

(2) Souvenirs par M. de Lévis.

(3) Lettres par Mme du Deffend.

(4) Mémoires du Cte de Maurepas.

3

ce qui lui a mérité le titre de Bienfaisant dont il a été honoré par ses contemporains.

Le prince de Conti, aussi économe que juste, désirait liquider les dettes très considérables que lui avait laissées son père, et qui pesaient en grande partie sur les acquisitions qu'il avait faites dans les dernières années de sa vie, car la presque totalité de ses revenus suffisait à peine à payer les intérêts de ses grandes acquisitions et à couvrir ses folles dépenses (1); il vendit, le 7 octobre 1783, à Monsieur, frère du roi, pour 11,000,000, tous ses domaines et propriétés. Par cette vente, le prince de Conti se réservait, sa vie durant, l'usufruit et jouissance de la baronnie et châtellenie de l'IsleAdam, avec toutes ses dépendances et ses chasses.

Il devient inutile de rappeler ici les grandes acquisitions et les travaux importants que fit notre prince depuis la mort de son père; le détail s'en trouve dans l'opuscule déjà cité de l'architecte André; mais nous ne pouvons pas omettre de parler des somptueuses écuries qui furent construites pour deux cent vingt-cinq chevaux. Elles occupèrent une surface de douze arpents, dont moitié pour les bâtiments et moitié pour les cours d'honneur et de service. La dépense s'éleva à sept cent mille livres. Le grand vent d'orage a soufflé et toutes ces constructions ont été renversées. Maintenant, un génie bienfaisant a changé l'aspect de ces lieux en les embellissant de cascades et de rivières, de bosquets au feuillage varié, et de nombreux massifs de fleurs.

Citons quelques faits en témoignage de la munificence de notre prince. Le peintre Bucourt avait exposé, en 1781, un tableau de genre, dont il semble avoir emprunté le sujet à une belle action de notre dernier seigneur, en voici le sujet : Un personnage noble et généreux ouvre sa bourse pour soulager une famille dont on vient enlever les meubles pour dettes. Le peintre Bucourt avait-il eu en vue la belle action de son Altesse, ou sa modestie a-t-elle empêché que le prince fût caractérisé plus spécialement? Dans tous les cas, cet acte honore le prince qui l'a fait, et le peintre qui en a perpétué le souvenir.

Pougues-les-Bains, aux xvie, xvie et xviie siècles, avait le privilège d'être le séjour des rois de France, des princes du sang et des grands seigneurs de la cour. Henri II, Henri III, Henri IV, Louis XIII, Louis XIV y amenèrent en carosse et brillant équipage le royal cortège de leurs coliques néphrétiques.

La mode et l'habitude de cette fontaine nivernoise se continua si bien qu'en 1765, Louis-François-Joseph de Bourbon, comte de

(1) Le Père Prince, voyant un jour passer son économe, dit en plaisantant: Voici l'homme le plus inutile de ma maison. Mémoires de Bachaumont.

la Marche, arriva en grand arroi avec sa cour nombreuse. Le prince commença, pour occuper ses loisirs, à accorder maintes grâces aux nobles mendiants qui présentaient des placets, et des aumônes abondantes d'argent et d'habits aux malheureux gueusant de la main.

Cette source de distraction, sans s'épuiser, finit par le lasser. C'est alors que, pour dissiper son ennui, il s'imagina d'employer ses loisirs à faire nettoyer, couvrir de pierres de taille et entourer de grilles une fontaine banale.

Chaque année, repris par ses coliques, il retournait régulièrement aux eaux bienfaisantes de Pougues; chaque année aussi, il essayait de charmer ses ennuis par de nouveaux actes d'agrément et de bienfaisance. C'est lui qui fit planter une magnifique allée de tilleuls de Hollande, qui subsiste encore, afin d'ombrager les buveurs aux jours de soleil; de plus, il construisit un long promenoir en bois de sapin avec cheminées en marbre pour abriter et chauffer les malades aux jours de pluie. Aussi gagna-t-il, par ces actes généreux, le surnom de Bienfaisant, qui lui est resté dans le Nivernais.

La Révolution éclata. Le prince de Bourbon-Conti ne revint plus à Pougues. Il eut assez à faire, en 1790, de prêter le serment civique et d'interdire à sa conduite les sympathies de son origine, ce qui néanmoins n'empêcha pas d'être, comme suspect, enfermé au fort Saint-Jean de Marseille.

Rendu à la liberté par le tribunal révolutionnaire, il fut obligé de quitter la France après le 18 fructidor, sur un ordre du Directoire, et, finalement, de s'exiler en Espagne.

Qu'il me soit permis, en terminant la longue et brillante liste de nos seigneurs qui ont répandu tant d'éclat et de bienfaits sur notre bien-aimé pays, d'ajouter une parole de remercîment et d'éloge aux autorités de l'Isle-Adam; car, apprenant que le prince de Conti était en passage à Paris, ils eurent l'empressement et la délicatesse d'envoyer une délégation au prince de Bourbon-Conti, dernier du nom, à l'effet de lui présenter les hommages de toute la population et de l'inviter à revenir à l'Isle-Adam, où il était sûr de trouver accueil. et protection. Mais c'est alors que, cédant aux événements, il crut devoir se retirer à Barcelone, où il mourut en 1814; avec lui finit la branche des princes de Bourbon-Conti.

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