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théâtre dans son château de l'Isle-Adam. On y jouait la comédie au moins une fois par semaine. Les chroniques du temps rapportent qu'au théâtre de l'Isle-Adam on joua Le comte de Comminges, le drame d'Arnaud qui fit pleurer toutes les dames.

Mme de Genlis, qui fut introduite au château de l'Isle-Adam sous le patronage de sa tante, Mme de Montesson, remplit plusieurs fois les fonctions d'actrice avec un talent remarquable.

Ce même prince avait fait construire un autre théâtre à l'île de la Cohue, pour les réjouissances des habitants de l'Isle-Adam; mais durant son séjour dans la chatellenie de l'Isle-Adam, le prince ne consacrait qu'une partie de son temps au délassement et au plaisir; comme il aimait l'étude, il passait de longues heures dans sa riche bibliothèque.

Dans son dernier voyage à l'Isle-Adam, notre prince, en vrai philosophe, se mit à réfléchir sur sa fin prochaine; du reste, sa santé qui déclinait lui faisait envisager la mort avec calme et sans effroi. Ce fut alors qu'il fit préparer son cercueil en plomb, dans lequel il ne craignit pas de s'étendre; il plaisanta même sur la gêne qu'il y éprouvait : suprême défi jeté à la mort qui s'avançait à grands pas. Déjà le peuple, qui l'aimait sincèrement, voyait avec tristesse sa santé s'altérer et sur le point de lui échapper.

Son Altesse, fatiguée par un travail incessant de corps et surtout par des excès de plusieurs genres, tombe en langueur : une fièvre continuelle épuise ses forces et lui inspire un profond dégoût pour tout ce qui pouvait prolonger son existence.

Sur les instances des princes du sang, notre auguste malade consent enfin à écouter les conseils des médecins qu'il avait jusqu'alors repoussés ; il reçoit avec les plus grands égards la visite de l'archevêque de Paris qui lui apportait les suprêmes consolations.

Il a fini avec la même fermeté qu'il a montrée dans toutes les circonstances critiques de sa vie. Quoique sûr de ne pas guérir de la maladie qui le consumait, il n'a pas perdu la sérénité de son esprit. Le 2 août 1776, il est décédé à Paris dans son hôtel du Temple ; son corps fut immédiatement rapporté en l'église de l'Isle-Adam et déposé dans un caveau provisoire en attendant la chapelle sépulcrale, que lui a fait construire, dans la même église, le comte de la Marche, qui prit alors le nom et les titres de prince de BourbonConti.

La translation du corps de notre illustre défunt eut lieu le 2 août 1777, jour anniversaire de son décès (1).

L'esprit élevé du Prince de Conti avait une grande clairvoyance : il prévoyait le naufrage prochain de la royauté. Les excès de

(1) Voir la Notice historique de l'Eglise de l'Isle-Adam.

Louis XV avaient préparé cette catastrophe, et les faiblesses du monarque régnant précipitaient la date de cette chute lamentable. Le commerce habituel qu'il entretenait avec les philosophes du jour et surtout l'insuccès des théories nouvelles, dont il était un ardent propagateur, achevèrent de jeter dans l'âme de ce Prince le scepticisme et le découragement trop souvent aussi il s'était mis en opposition avec les sages mesures que proposait le plus loyal des souverains. Lui aussi, comme les autres, répétait cette honteuse maxime: Après moi, le déluge! Ce blasphème politique indiquait bien l'énervement des âmes et l'abandon des devoirs les plus sacrés; le vrai patriotisme ne connaît point ces lâchetés, et son noble langage, toujours supérieur aux événements et aux dangers, aime à répéter, sans défaillance aucune, ces accents d'espérance et de triomphe :

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Le prince, toujours dominé par la crainte de la révolution qui s'avançait à grands pas, ne payait pas les grandes acquisitions qu'il fesait; il se contentait d'en servir la rente aux créanciers, laissant ainsi à son fils, le comte de la Marche, la charge énorme de payer ses dettes. C'est au milieu de cet étrange système d'administration domestique que la mort vint le surprendre le 2 août 1776.

Louis-François de Bourbon, prince de Conti et cinquième du nom, laissait pour unique héritier son fils légitime, issu de son mariage avec la duchesse d'Orléans, Louis-François-Joseph de Bourbon, prince de Conti, sixième du nom. Ce prince était plus connu de son vivant sous le nom de comte de La Marche. Il avait en outre deux fils recornus, qui sont le marquis de Bourbon-Conti et le chevalier de Bourbon-Conti, que le Père Prince se contenta de recommander à son fils.

Le comte de La Marche, par ordre de son père, et contre son gré, avait épousé, en 1759, Fortunée d'Este, sœur du duc de Modène, Charles-Hercule-Renaud. Cette princesse était née le 24 novembre 1731. De vieux souvenirs nous apprennent que cette auguste princesse ne reçut de son époux que de simples témoignages d'estime. Par suite, aucun enfant ne put sourire à cette triste union. Ce prince bizarre manqua à tous les égards dus à son épouse, la princesse de Conti, elle dut même quitter l'hôtel qu'elle avait habité depuis son mariage et se séparer de son époux; en voici la cause : le Père Prince avait eu de l'ancienne actrice, Coraline, le chevalier de Vauréal, lequel avait été reconnu et logeait dans son palais. Or le comte de la Marche, foulant aux pieds tous égards, exigea l'éloignement de son épouse, sous prétexte d'arrangements d'économie; mais la seule raison était qu'il avait résolu d'introduire dans son intimité cette actrice émérite de la Comédie-Française; il avait

même espéré la présenter d'abord à la princesse de la Marche et ensuite à la Cour; Louis XV accordait assez facilement cette faveur, mais notre vénérable princesse refusa avec hauteur, sans rien dissimuler de son mépris et de son dédain.

Le nouveau prince de Conti, aussitôt après la mort de son père, s'empressa de faire construire une chapelle sépulcrale pour recevoir les restes de l'illustre défunt. Le sieur Mérard, sculpteur, fut chargé du mausolée en marbre qui devait conserver et perpétuer la mémoire de notre prince et seigneur. Ce mausolée a été en partie détruit aux jours mauvais de la Révolution, mais depuis, il a été convenablement restauré (1).

Nous le disons avec regret, le comte de La Marche était d'un caractère difficile qui allait parfois jusqu'à la sauvagerie, ou du moins, il avait de la singularité et de l'insipidité, comme le disent ceux qui ont écrit sur ce prince; en un mot, c'était un personnage aussi drôle qu'original; cet être disgracié au physique comme au moral en porte déjà l'empreinte sur un petit portrait le représentant dans son enfance (2). Aussi nous ne devons pas être étonnés, si ce fils était dans une opposition complète avec son père; celui-ci était parlementaire, c'est-à-dire contre le roi, tandis que le comte de La Marche avait embrassé le parti de la Cour. Cette divergence d'opinions ne contribuait pas peu à éloigner le père de son fils.

La princesse de Conti, épouse de notre nouveau seigneur, était la personne du monde la plus sérieuse et qui devait s'attendre le moins à la question que lui adressa un jour Scipion, petit nègre de la duchesse de Chartres; mais laissons parler Madame de Genlis :

<< Nous avons au Palais-Royal un petit nègre qui fait nos délices, on l'appelle Scipion et il a sept ans ; c'est le pètit nègre des quatre parties du monde le plus caressé et le plus gâté. Il est de toutes les fêtes; il assiste à toutes les réunions; il règne dans le salon du Palais-Royal, au milieu du plus beau cercle, il marche à quatre pattes et fait la culbute sur le tapis; il casse tous les éventails qu'il peut attraper, il se glisse sous les chaises des dames, les déchausse très adroitement et s'enfuit, emportant leurs souliers. Il débite d'une manière très bruyante tout ce qui lui passe par la tête. L'autre jour, il s'approcha de madame la princesse de Conti et lui dit très gravement : « Madame, pourquoi donc avez-vous un si grand nez ? » Cette question faite à la princesse du monde la plus sérieuse et la plus imposante qui a le plus grand nez et devant quarante personnes, causa un étrange embarras. On voulut renvoyer Scipion, et il s'obstina à vouloir s'instruire et répéta sa question en disant

(1) Voir la Notice historique de l'Eglise de l'Isle-Adam.

(2) Ce portrait curieux occupe une place dans la belle collection du docteur Vanier.

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