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C'est également sous ce même seigneur que la peste éclata dans la contrée. L'Isle-Adam eut beaucoup à en souffrir; ce fléau sévit en l'année 1663.

Ce vertueux prince de Conti mourut en 1666, laissant deux fils en bas âge.

Durant le veuvage et la tutelle d'Anne-Marie, le château de l'IsleAdam fut incendié. Tandis qu'on était occupé des travaux de réparations, la pieuse douairière se retira à Jouy-le-Comte, dans un petit pavillon qui était au chevet de l'église. C'est elle qui, après avoir bâti le presbytère de cette paroisse et augmenté le jardin, commença des travaux de réparation et d'agrandissement de l'église, interrompus par sa mort, arrivée en 1672.

Messire Jacques, curé de Jouy-le-Comte, fait le plus bel éloge de cette princesse en disant d'elle : Ipsa sibi elogium est.

Par le partage des domaines d'Armand de Conti fait entre ses deux jeunes enfants, la seigneurie de l'Isle-Adam échut à LouisArmand, comme fils aîné. Ce prince épousa, le 16 janvier 1680, Anne-Marie, fille légitimée de Louis XIV et de La Vallière. Il fut élu roi de Pologne à la mort de Sobieski, en 1697. Le célèbre Jean Bart conduisit le cortége royal; mais lorsque le prince arriva pour prendre possession du trône, il le trouva occupé par Auguste II. Ce prince est mort en 1709.

Louis Armand, prince de Bourbon-Conti, étant décédé sans postérité, François-Louis, son frère puîné, lui succéda dans tous les domaines de la seigneurie de l'Isle-Adam. Il épousa Marie-Thérèse de Condé dont il eut Louis-Armand, né le 10 novemhre 1695.

François-Louis, prince de Bourbon-Conti augmenta considérablement le domaine de l'Isle-Adam. Ce fut lui qui, désirant annexer le terrain occupé par les bâtiments de l'église et du prieuré, ruinés de vétusté, sollicita un échange. D'accord avec Monseigneur de Charnillard, évêque de Senlis, qui jouissait alors de la commende du prieuré de Notre-Dame, avec l'abbé de Saint-Martin de Pontoise qui avait la nomination du dit prieuré, et avec S. E. le cardinal de Janson, en sa qualité d'ordinaire de l'église de l'Isle-Adam, cet échange eut lieu contre le fief, maison, jardins et dépendances de M. Bardou de Valicieux. Ce domaine était situé en la grande rue de l'Isle-Adam. Outre cette importante transaction, le prince fit également restaurer le château et construire le pavillon à gauche, à la place de la grosse tour qu'il fit abattre. Ce vieux monument féodal que la jalousie des comtes de Beaumont n'avait jamais osé

800, prescrivait la gratuité dans les écoles des paroisses. Ce sont les laïques et non les religieux qui ont exigé à leur profit des rétributions scolaires. A défaut de pieuses fondations, ordinairement c'était le clergé qui faisait les frais de l'instruction des pauvres.

faire démolir, montrait avec orgueil les mille cicatrices que lui avaient faites les biscaïens et les boulets de l'ennemi!

Le xviiie siècle venait de commencer son cours avec la décadence des mœurs, les luttes du Parlement, les audaces de la philosophie, les attaques du trône et de l'autel et tous les coups de tonnerre, lugubres avant-coureurs de l'orage révolutionnaire.

Le 13 août 1717 naissait à Paris Louis-François de Bourbon, prince de Conti cinquième du nom. Il était fils unique de LouisArmand, prince de Conti, et de Louise-Elisabeth de Bourbon Condé. Il entra en possession de la seigneurie de l'Isle-Adam, à la mort de son père, le 4 mai 1727, et épousa, en 1732, LouiseHenriette de Bourbon, duchesse d'Orléans, qui mourut deux ans après, en mettant au monde Louis-François-Joseph, comte de la Marche, né le 1er septembre 1734.

Cet illustre seigneur de l'Isle-Adam, vulgairement appelé le Père Prince, moins pour le distinguer de son fils que pour lui donner un témoignage de reconnaissance et d'affection, était né avec les plus brillantes qualités qui l'ont rendu célèbre dans la guerre, les sciences, les arts et la politique. Un poète a résumé son éloge dans ce simple quatrain :

Des héros de son sang il augmenta l'éclat;
Mécène des savants, idole du soldat,
Favori d'Apollon, de Thémis, de Bellone,
Il protégea les arts et défendit le trône.

Notre vaillant prince et seigneur donna des preuves de sa valeur guerrière. En 1744, il gagna la bataille si meurtrière de Coni en Sardaigne, et prit la ville de Mons deux ans après. En récompense de ses services militaires, le Roi lui concéda six pièces de canon prises sur l'ennemi. Ces trophées ornaient l'avant-cour du château de l'Isle-Adam.

Le poète l'a dit : Notre prince guerrier était devenu l'idole du soldat qui avait combattu sous ses ordres et aidé à ses victoires. Jamais il n'oublia de tels services; nous pourrions en citer nombre de preuves, mais choisissons un seul exemple, il suffira pour attester le dévouement et la reconnaissance réciproques du général et du soldat.

Ce bon prince aimait à témoigner son attachement pour ses compagnons d'armes; il les traitait en amis et les recevaient dans son château de l'Isle-Adam.

Rappelons un fait singulièrement comique qui se passa en 1750. Un officier du prince de Conti, étant couché dans le château de l'Isle-Adam, sentit tout à coup enlever sa couverture; il la retire; on renouvelle la plaisanterie; tant qu'à la fin l'officier, ennuyé,

jure d'exterminer le mauvais plaisant, met la main à son épée, cherche dans tous les coins de la chambre et ne trouve rien. Étonné, mais brave, il veut, avant de conter son aventure, éprouver encore le lendemain si l'importun reviendra. Il s'enferme avec soin, se couche, écoute longtemps et finit par s'endormir; alors, on lui joue le même tour que la veille. Il s'élance du lit, renouvelle ses menaces et perd son temps en inutiles recherches. La crainte s'empare de lui; il appelle un frotteur qu'il prie de coucher dans sa chambre, sans lui dire, toutefois, pour quel motif. Mais l'esprit qui avait fait son tour ne paraît plus.

La nuit suivante, il se fait accompagner du frotteur à qui il raconte ce qui lui est arrivé, et ils se couchent tous deux. Le fantôme ne tarde pas à manifester sa présence. Il éteint la chandelle qu'on avait laissée allumée, les découvre lestement et s'enfuit; comme nos deux braves avaient entrevu dans l'ombre une façon de monstre difforme, hideux et gambadant, le frotteur s'écrie que c'était le diable et court chercher en la chapelle du château de l'eau bénite. Mais au moment qu'il levait le goupillon pour asperger la chambre, l'esprit le lui enlève et disparaît.

Les deux champions poussent des cris, on accourt, on passe la nuit en alarmes, et le matin on aperçoit, sur le toit de la maison, un gros singe qui, armé du goupillon, le plongeait dans l'eau de la gouttière et en arrosait les passants (1).

Il faut avouer que si cette grotesque aventure ne fit pas grand honneur à la bravoure du compagnon d'armes de notre prince et seigneur, du moins les habitants du château et du bourg de l'IsleAdam en eurent grande liesse. D'ailleurs, rappeler ce souvenir, c'est expliquer bien des faits analogues; à ce titre nous réclamons indulgence.

L'hospitalité était légendaire au château de l'Isle-Adam; c'était le rendez-vous des princes du sang; les philosophes du jour s'y rencontraient avec les savants et les artistes; en un mot, tous les gens d'esprit étaient assurés d'y trouver bon accueil.

Madame de Genlis nous apprend que chez M. le Prince de Conti, à l'Isle-Adam, chaque dame invitée trouve une voiture et des chevaux à ses ordres; elle est maîtresse de donner tous les jours à dîner dans sa chambre à sa société particulière.

La gaîté, l'esprit et la grâce, dans cette résidence princière, ne faisaient jamais défaut. Citons, pour exemple, une pièce de vers extraite d'une notice sur le marquis de Chauvelin, publiée par Gabriel Abry (Bruxelles, 1859).

M. le marquis de Chauvelin savait manier tout à la fois la plume

(1) Migne, Dictionnaire des sciences occultes, art. Esprits.

et l'épée, dit l'auteur; c'était un homme de goût qui aimait les lettres, s'y livrait avec succès, et recherchait ceux qui les cultivaient.

A une érudition étendue et une imagination des plus vives, il joignait une grande amabilité de caractère, beaucoup de finesse d'esprit, et surtout le mérite de l'à-propos, comme on peut en juger par l'anecdote suivante :

Compagnon d'armes du prince de Conti, il était devenu son ami et le visitait fréquemment dans sa délicieuse retraite de l'Isle-Adam. Un soir, dans un souper qui eut lieu dans cette quasi royale habitation, se trouvaient sept dames qui demandèrent au marquis de Chauvelin de faire des vers sur cette circonstance.

Si vous étiez trois, mesdames, dit-il, je vous comparerais aux Grâces; si vous étiez neuf, je vous appellerais les Muses; mais vous êtes malheureusement sept; il ne me reste donc qu'à vous comparer aux péchés mortels. Les dames trouvèrent la chose originale et acceptèrent de suite la proposition.

C'est ainsi que furent improvisés les quatrains suivants qui brillent par l'esprit autant que par l'amabilité. Chacune des pécheresses tira son péché par le sort.

La Luxure sortit la première et échut à Mme de Mirepoix :

Dût-il vous en coûter quelque peu d'innocence,

Un si joli péché doit-il vous alarmer?

Vous savez trop le faire aimer

Pour ne pas lui devoir de la reconnaissance.

La Gourmandise à Mme de Chauvelin :

En songeant à votre péché

Et vous voyant les traits d'un ange,

En vérité, je suis fâché

De n'être pas quelque chose qu'on mange.

La Colère à Mme de Courteilles :

Sans vous défendre de la colère,

Je vous obligerai, Chloris, d'y renoncer :
Il ne vous sera plus permis de l'exercer

Que contre ceux à qui vous n'aurez pas su plaire.

L'Avarice à Mme de Surgères :

Quoique votre péché paraisse un peu bizarre,

Si vous vouliez il deviendrait le mien.

Iris, si vous étiez mon bien,

Je sens que je serais avare.

L'Orgueil à Mme de Maulevrier:

L'orgueil vous doit un changement bien doux,
Jadis il passait pour un vice;

Depuis qu'il a le bonheur d'être à vous,
On le prendrait pour la justice.

La Paresse à Mlle de Circé :

A la paresse on peut bien se livrer,
Iris, lorsqu'on est sûr de plaire;
On fait bien de se reposer;
Il ne reste plus rien à faire.

L'Envie à Mme d'Agenois :

Peut-être, je suis indulgent,

Mais à votre péché, Thémire, je fais grâce.
Ne faut-il pas que je vous passe

Ce que j'éprouve en vous voyant? (1)

Pour achever l'éloge du marquis de Chauvelin et de son épouse, il convient de rappeler une pièce de vers que nous a conservée Bachaumont au tome vi de ses Mémoires :

Il était une fée aussi douce que belle,
Les arts formaient ses attributs,
On voyait marcher auprès d'elle

Et les talents et les vertus;

Mais des grâces surtout, elle était le modèle,
On admirait sa voix, son souris, son regard,
Cet air de fuir l'éloge et d'oublier ses grâces,
D'attirer comme par hasard,

Et sans l'avoir voulu, tous les cœurs sur ses traces.
Elle avait un époux, l'ornement de sa cour,

Grand guerrier, profond politique,

Possédant l'art de plaire, autant que la tactique,
Et qui servait la Gloire, Apollon et l'Amour.
Une autre fée encore habitait ce séjour,

(1) Ces quatrains rappellent le vaudeville que le marquis de Chauvelin avait fait dans l'un de ses soupers en 1733, et qui courut tout Paris. Sept dames admises à ce souper étaient représentées sous la figure des sept péchés capitaux. Mme la vidame de Montfleury représentait l'orgueil; Mme la marquise de Surgères, l'avarice; Mme de Montboissier, la luxure; Mme la duchesse d'Aiguillon, l'envie; Mme de Courteille, la colère; Mme Pinceau de Luce, la paresse. — Mémoires du C de Maurepas. — (Ed. et Jules de Goncourt, La femme au XVIIIe siècle).

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