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vingt-deux membres de la Commission des Arts montèrent joyeusement en voitures et au trot de six chevaux prirent, dans l'ordre suivant, la direction de la route de Marennes: un omnibus, une calèche, un second omnibus. Nous autres menu fretin, nous étions entassés dans les deux omnibus tandis que les membres du Bureau se prélassaient dans la calèche. C'était justice : à tout seigneur tout honneur.

De braves cultivateurs, debout sur les bords de la route, nous regardaient passer avec un étonnement qui se fût changé en admiration, s'ils eussent connu le mérite de ceux que recélaient les flancs de nos véhicules, et assurément nous leur eussions, à travers les nuages de poussière soulevés par nos équipages, apparu comme de véritables demi-dieux. Hélas! Il n'en fut rien; je crois même, amère déception, qu'ils nous prirent simplement pour des invités de qualité se rendant à quelque noce de village.

A quatre kilomètres de Saintes, à gauche, près de la route, nous apercevons le domaine de Rousselet, ancienne maison de campagne des prieurs de Saint-Eutrope. A côté, de grands bois nous dérobent le Chantreau. C'est là que notre Vice-Président mène la vie d'un sage des temps antiques; c'est là qu'il reçoit, avec la bonne cordialité que nous lui connaissons, les nombreux amis toujours heureux de passer quelques heures sous son toit hospitalier.

Voici La Clisse. Faut-il arrêter, demande l'automédon qui préside aux destinées de la première voiture? Filez, répond du fond de la calèche la voix de notre Président. Je le regrette; car si l'église de La Clisse n'attire pas l'attention de l'archéologue, elle possède un bon tableau de Vincent. Vincent et Bragny sont, parmi nous, les précurseurs des Omer Charlet et des Bouguereau; ce sont deux illustrations de notre contrée. Il y a encore, dans nos églises de villes

et de hameaux, plusieurs tableaux de ces artistes. J'en ai remarqué un, de Vincent, dans la cathédrale de Saintes et j'en connais un autre qui orne le maître autel de la belle église de Lonzac. Il sera parlé de Bragny dans la suite de ce rapport.

Sur le mur de l'ancien presbytère de La Clisse on lit l'inscription suivante en caractères gothiques :

C'est grant pite quant argent faut à gens qui voulet volonties.

C'est grand pitié quand l'argent manque à ceux qui en ont besoin. Quel fait rappelle cette singulière inscription? Je l'ignore; mais n'est-ce pas l'histoire de bien des gens qui, faute d'argent, se réfugient dans une philosophique résignation?

En sortant de La Clisse, nous avons, à notre droite, une anse du golfe santonique dont la falaise très apparente est maintenant baignée par les eaux du marais de l'Arnoult; à notre gauche, le domaine de Belle-Vue, propriété de la famille Potier de Pommeroy et celui de Forest, ancienne gentilhommière ayant appartenu aux Saint-Mandé et habité maintenant par un de nos collègues, M. Joseph Bouyer. Bientôt nous arrivons à notre première station.

Corme-Royal n'est pas le premier bourg venu; les ruines de villas gallo-romaines trouvées çà et là attestent sa haute antiquité; quelques-unes de ses maisons sont fort anciennes et son église mérite d'être étudiée, surtout la façade, belle page d'architecture que nous avons lue avec tout l'attrait qui s'attache à ces remarquables constructions des XIe et XIIe siècles dont est couvert le sol de notre Saintonge.

Le portail se compose de trois arcatures; celle du milieu était seule ouverte primitivement; elle est maintenant murée et on pénètre dans l'église par une porte ouvrant sur

une nef latérale. L'arcature principale n'a plus que trois voussures; les autres sont noyées dans le mur construit pour éviter l'effondrement de la façade surchargée par le clocher. Ce mur a l'inconvénient de boucher l'ancienne porte d'entrée. Dans son ensemble la façade est du roman saintongais très pur. Je n'indiquerai que certains sujets traités par l'habile sculpteur qui, dans les premières années du XIIe siècle, l'a décorée si richement.

Dans la principale voussure du milieu sont représentés au centre, Dieu le Père, ou le divin époux; à droite, quatre jeunes filles, dans l'attitude du recueillement, portant des lanternes, et élevant les regards vers l'époux de leur choix; quatre autres jeunes filles, la tête inclinée, au visage attristé, ayant aussi une lanterne à la main, mais renversée, occupent le côté gauche. Faut-il voir là l'Eglise et la synagogue? N'est-ce pas plutôt la parabole des vierges sages et des vierges folles? Mais pourquoi le sculpteur n'en a-til reproduit que huit, au lieu de dix indiquées par le texte évangélique ? J'ai retrouvé la même représentation sur la belle façade romane de l'église de Saint-Macaire, dans le Bordelais, avec cette différence que les dix vierges y sont sculptées.

On voit, dans la seconde voussure, des chevaliers et des évêques paraissant adorer Notre-Seigneur. Parmi eux, on distingue parfaitement un chevalier accompagné de sa dame. Ne serait-ce pas Geoffroy-Martel, fondateur de l'abbaye, avec Agnès sa femme? La troisième voussure se compose de rinceaux, de fleurons et d'entrelacs, parmi les quels seize petits personnages sont montés les uns sur les autres ou se tiennent par les pieds; les plus élevés paraissent enlacés dans les enroulements d'une liane véritable guirlande humaine qui ne manque ni de grâce ni de naïveté.

L'arcature de droite montre un chevalier et trois

statues de femme dont l'une est celle de sainte Catherine ; celle de gauche, deux évêques et deux chevaliers. Sur le soubassement sont sculptés cinq personnages couchés, assez bien conservés, et au-dessus du portail, se trouve un ange paraissant saluer un personnage dont la place sur la muraille est encore très visible. Ce groupe devait représenter la scène de l'Annonciation. D'autres figures existent encore, mais trop dégradées, pour qu'on puisse établir sur leur compte la moindre conjecture.

Le clocher qui domine cette belle façade est du XVe siècle, bien qu'il n'ait jamais été achevé ; son poids est un danger pour l'édifice et le travail de désagrégation qui s'opère lentement fait craindre de voir s'écrouler dans un avenir peu éloigné une œuvre qui mérite d'être conservée avec le plus grand soin.

L'intérieur de l'église a été à peu près reconstruit au XVII siècle et, du premier édifice, il ne reste que des bases de colonnes et les premières assises des murs d'enceinte. C'est une église à deux nefs d'inégale longueur. L'abside circulaire a été remplacé par un chevet droit, lors du remaniement. Ces travaux terminés en 1624, date inscrite sur une clef de voûte, ont été exécutés sous Françoise de Foix, abbesse de Saintes, de 1606 à 1666. Non seulement ses armes sont sculptées à une des clefs de la voûte principale, mais encore on la voit figurer elle-même dans un tableau de la Sainte-Famille au bas duquel on lit : « Fr. de Foix, âgée de 53 ans. » A còté sont peintes ses armes qui sont : Ecartelé aux 1 et 4 d'or à 3 pals qui est de Foix; aux 2 et 3 d'or à deux vaches passantes de gueules, accornées et clarinées d'azur qui est de Béarn. Ce tableau est signé : ARTIGUE PAIN (sic) 1636.

Notons un magnifique chapiteau corinthien, en marbre blanc, servant de bénitier, mais dont les feuilles d'acanthe

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