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assister à la défaite de ses soldats, et au nombre des prisonniers tombés au pouvoir des vainqueurs se trouvait messire Thomas Kyriel, chevalier de grand renom, suivant les Chroniques contemporaines.

Pour éterniser le souvenir de sa victoire, autant que pour honorer la mémoire de ceux qui avaient succombé, le comte de Clermont en 1486, c'est-à-dire trente-cinq ans après l'action, fit ériger sur le lieu même de ses exploits, et sur les bords du ruisseau (1) dont les eaux avaient été rougies par le sang des combattants, une chapelle en l'honneur de Monsieur sainct Loys, chef et protecteur de la couronne de France, ainsi que le dit l'acte de fondation.

Entretenus par l'effet de ses pieuses libéralités, deux chapelains la desservaient, offrant chaque jour leurs prières au Dieu des armées en faveur des victimes du combat.

Cette fondation subsista jusqu'en 1789. A cette époque, devant la tourmente révolutionnaire qui entraînait avec elle trône et autel, le modeste, mais glorieux monument ne put trouver de grâce: vers 1793 il fut vendu comme bien national. Toutefois, la sainteté du souvenir qu'il était chargé de perpétuer et le respect général dont il était l'objet de la part de tous les habitants de la contrée, l'abritèrent contre les coups de ce génie destructeur qui, nouvel Alcyon, apparaissant au

(1) Ce fut sur l'emplacement actuel de la chapelle qu'eut lieu un des épisodes les plus importants de cette journée. Au commencement du combat, les Français avaient placé près du pont deux couleuvrines dont le feu fit pendant long-temps beaucoup de mal aux Anglais : ceuxci à la fin s'en emparèrent après une lutte acharnée; mais le Connétable qui accourait de Trévières, les enleva à son tour, ainsi que le pont occupé par l'atle gauche de l'armée anglaise; dès lors le sort de la bataille fut décidé. Une partie des troupes ennemies, sous les ordres de Mathieu God, battit en retraite sur Baycux, où elle s'enferma dans le château, abandonnant ainsi Thomas Kyriel qui succomba bientôt après une résistance désespérée.

milieu de nos orages politiques, devait, hélas! signaler son passage sur le sol de la France par la destruction de tant d'édifices dont les arts pleureront long-temps la perte ! La chapelle St.-Louis devint un magasin à bois; elle devait rester long-temps affectée à cette profane destination; mais enfin elle était sauvée (1). Pendant la durée de sa courte, mais magique puissance, l'Empire avait eu assez que de songer à la consécration de ses gloires sans en chercher dans le passé! Absorbé par ses luttes intestines durant tout le cours de son orageuse existence, le Pouvoir qui lui succéda, oublia aussi le monument commémoratif de la victoire remportée sur l'usurpation anglaise, monument qui, du reste, ne lui appartenait point, étant resté une propriété particulière. Ce ne fut donc qu'en 1832 que son dernier propriétaire, M. Duny, mu par un sentiment de généreux patriotisme, en fit hommage au Roi, qui, sur-le-champ, donna des ordres afin qu'une complète restauration vint sauver d'une ruine inévitable l'édifice élevé par l'un de ses ancêtres pour perpétuer la mémoire d'un des faits les plus glorieux de nos annales (2). La volonté royale a été obéie, et après des travaux exécutés avec une inconcevable lenteur, la chapelle Saint-Louis de Formigny enfin terminée a pu être inaugurée le 2 du mois de décembre 1845.

Si nous sommes heureux d'applaudir à la noble pensée, qui a voulu que l'édifice primitif continuât d'éterniser la mémoire de la délivrance du territoire, alors surtout que de nos

(1) La famille Sanrefus l'acheta dans un louable but de conservation. (2) Deux hommes de cœur et de talent de notre pays avaient évoqué, avant cette époque, chacun de leur côté, le glorieux souvenir de la bataille de Formigny. En 1824, M. Ed. Lambert publiait sur ce combat important un précieux mémoire aujourd'hui très-rare et dont la réimpression est fort à désirer. Dix ans plus tard M. de Caumont faisait élever, sur le théâtre de l'action, une colonne commémorative.

jours, avec prodigalité peut-être, s'élèvent de tous côtés des monuments somptueux destinés à immortaliser des faits d'armes dont beaucoup furent illustres sans doute, mais ne jetèrent sur la patrie qu'un reflet de gloire sanglant et souvent stérile, pourquoi faut-il que nous soyons obligé d'émettre ici le regret de ne pouvoir accorder nos éloges à la manière dont la volonté royale a reçu son accomplissement !...

Quelque pénible que doive être notre rôle de critique consciencieux, interprète fidèle de l'opinion publique, nous devons cependant le déclarer ici: les travaux de restauration, quoique fort dispendieux pour la liste civile, quoique s'élevant à un chiffre tellement considérable, que nous n'osons même l'enregistrer, ces travaux sont bien loin de porter le cachet de l'intelligente direction qu'on était en droit d'attendre sous tous les rapports, et ne révèlent, au contraire, que l'ignorance la plus complète des règles les plus simples de l'archéologie monumentale et des préceptes de l'art chrétien! Pourtant les difficultés étaient loin d'être grandes, la simplicité du monument en rendait la restauration facile pour quiconque connaît un peu l'architecture du moyen-âge, et pour rétablir les parties détruites, il suffisait d'interroger l'édifice lui-même et de rechercher les types manquants dans les monuments contemporains de notre localité qui en est si riche.

Restaurer un monument, nous disait dernièrement un homme dont le nom en pareille matière est une autorité compétente, M. Didron, secrétaire du comité des arts et monuments, restaurer un monument, c'est seulement en reconsolider les parties dont le temps a ébranlé la solidité ; c'est le rendre à son état primitif, en se gardant bien toutefois de porter la moindre atteinte à sa physionomie et à son caractère,

Nous n'avons pas besoin de faire ressortir toute la justesse de ce principe de l'esprit duquel il serait à désirer de voir animés ceux qui portent la truelle à nos vieux monuments.

Son complément naturel est que si l'on est obligé de modifier pour des besoins nouveaux quelques-unes des dispositions d'un édifice ou d'en rétablir des parties détruites, ces changements ou ces restitutions doivent être combinés et étudiés de telle sorte qu'ils paraissent sortir du même cerveau et de la même main qui ont procédé à l'édification primitive; c'est dans une œuvre d'art que l'unité est indispensable, et surtout dans une œuvre religieuse que l'harmonie doit se rencontrer; car l'œil ne saurait être distrait sans que l'esprit participe à ses distractions; elles sont donc aussi favorables au recueillement que leur absence lui est contraire.« Il ne faut ni oublier ni laisser oublier, a dit un brillant écrivain, qu'une église est un lieu de prière. et de méditation, un lieu plein de la présence de Dieu qui exclut l'idée de toute frivolité, de tout caprice de la mode; tout doit y être grave et solennel, et rien ne l'est moins que les bigarrures. »

Aussi qui ne comprendrait que porter atteinte à l'antique physionomie d'un édifice, soit en mutilant sans nécessité quelques-uns de ses détails, pour les remplacer par d'autres empruntés à un style différent, quand ils ne sont pas émanés d'une conception bizarre, soit en entassant anachronismes sur anachronismes dans son ornementation intérieure ; c'est faire violence à la pensée première qui le créa, c'est lui imprimer au front une tache indélébile!

C'est donc avec tristesse que dans les travaux de restauration de la chapelle Saint-Louis de Formigny, nous avons vu l'architecte qui y présidait s'écartant de ces données suggérées par le simple bon sens, dénaturer comme à plaisir le modeste, mais correct monument confié à ses soins pour n'arriver à produire qu'un édifice rajeuni, bâtard assemblage de divers styles architectoniques auquel nous préférerions une ruine imposante, parce que les ruines conservent encore des beautés mélancoliques et inspirent le respect!

Un examen approfondi du monument confirme pleinement cette sévère, mais juste assertion.

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Sur le milieu de la chapelle s'élève prétentieusement une campanile dont l'aspect à lui seul suffit pour indiquer chez son auteur l'absence de toute espèce de notions de l'architecture normande. En effet, cette campanile est couronnée d'une sorte de toit coupé en gradins, comme on en voit souvent dans

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