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l'à-propos de cette gracieuse et pittoresque ornementation que d'en déchiffrer le sens et d'en mettre en lumière la véritable moralité. Il nous semble que les archéologues n'ont pas toujours été heureux dans l'interprétation qu'ils en ont essayée. L'opinion qui fait de ces hommes placés autour de la roue dans des conditions de fortune si diverses, les échevins de la cité arrivant au pouvoir municipal et le quittant pour redescendre dans la vie privée, ne repose sur aucune donnée solide et n'a plus aujourd'hui de partisans. Celle qui y voit un jugement dernier ne saurait être accusée comme la première, de méconnaître l'esprit du moyen-âge, mais ne se soutient pas non plus devant l'examen attentif de nos roues symboliques, dans lesquelles il nous est impossible de rencontrer aucunes des circonstances qui qualifient un jugement dernier, telles que la présence de Jésus-Christ, de la Vierge et de St.Jean, des anges et des démons, des élus à droite et des réprouvés à gauche, du paradis et de l'enfer.

En archéologie, comme en autre chose, on manque souvent une découverte pour l'avoir été chercher trop loin et pour avoir forcé les inductions. En procédant simplement, nous trouvons sur la façade méridionale de Notre-Dame d'Amiens, comme au pignon septentrional de St.-Etienne de Beauvais, comme en beaucoup d'autres lieux sans doute, le symbole si naturel et si connu de tout temps de la vicissitude des choses humaines et de l'action de la providence dans tous les événements de la vie; nous y voyons, en un mot, la roue de fortune dont le nom comme l'idée n'appartiennent pas moins au christianisme qu'à la mythologie, puisque St.-Jacques appelle notre vie une roue. Rotam nativitatis nostræ (Epist. III 6).

Notre opinion s'appuie principalement sur le caractère même des représentations dont nous parlons, sur la figure qu'affectaient les fenêtres circulaires du XIo. et du XII. siècle et

sur le nom qu'elles portaient, et enfin sur l'analogie de nos sculptures avec plusieurs peintures de nos manuscrits dont le sens ne peut être douteux.

En effet, la prospérité et l'adversité se dessinent parfaitement dans les personnages des roses d'Amiens et de Beauvais. C'est d'un côté la joie, l'espérance, l'ardeur de s'élever, c'est de l'autre la tristesse, le désespoir, la misère qui accompagnent la chute; c'est, au milieu, l'homme calme et heureux qui arrive au but, ou quelquefois le moteur même de ce cercle inévitable de biens et de maux qui élève les uns et précipite les autres.

On sait aussi que durant la période monumentale dite romane, les fenêtres circulaires présentaient exactement la figure d'une roue et qu'elles en portaient le nom. N'était-il pas naturel qu'en vertu de cette forme et de cette dénomination on s'attachât à l'idée qu'elles font naître et qui leur est connexe? Il nous paraît impossible qu'on ait pensé à sculpter des personnages autour d'une roue, sans avoir accueilli l'idée d'exaltation et de chûte dont la roue est le symbole. Nous avons déjà vu par le langage de St.-Jacques que le christianisme ne répugne pas à l'emploi de ce signe, et St.-Augustin nous enseigne qu'on peut bien attribuer à la fortune les événements de <«< ce monde, pourvu qu'on appelle de ce nom la volonté « même et la puissance de Dieu (1). »

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Une belle miniature d'une traduction française de la Cité de Dieu conservée à la bibliothèque d'Amiens, nous offre la représentation d'une roue historiée de quatre personnages; l'un monte, l'autre descend, le troisième est en bas, le quatrième aîlé et couronné meut la roue des deux mains. Or, le sens de cette figure est ici parfaitement déterminé par la place qu'elle occupe, puisque le chapitre auquel elle sert de titre

(1) De Civit Dei. lib. v. cap. 1.

traite de la Providence et que toutes les têtes des divers chapitres sont en rapport avec le texte qui y est contenu. C'est une roue de Providence ou de fortune. La date de ce manuscrit est à peu près la même que celle de notre rose méridionale d'Amiens.

Nous trouvons à la bibliothèque royale des exemples encore plus concluants. Une miniature d'un manuscrit in-folio (ms. 6877) intitulé les remèdes de l'une et l'autre fortune représente la fortune assise, portant la main à la manivelle de la roue autour de laquelle sont élevés et abaissés quatre personnages dont le premier occupant le sommet est couronné et porte un sceptre, comme à la grande rose d'Amiens. La fortune est figurée par une femme et son nom est inscrit à côté; sa peau est de couleur blanche. Dans une autre miniature du même livre elle est représentée avec la peau noire et sa roue ne porte que des individus culbutés. La première est à la fois la bonne et la mauvaise fortune, la deuxième la mauvaise seulement. Dans une autre figure appartenant à une traduction flamande du livre de consolatione (ms. n°. 6810). La fortune à deux faces, blanche et noire, les yeux bandés à l'une et l'autre façe, fait tourner la roue. Elle est la bonne fortune aussi bien que la mauvaise, mais toujours la fortune aveugle.

Il est donc bien évident que l'idée des roues de fortune ne s'est jamais perdue dans le cours du moyen-âge et tout porte à croire qu'en sculptant, comme ils l'ont fait, la circonférence des roses, les artistes de ce temps n'ont pas eu autre chose en vue. Ce que le miniaturiste enseignait au savant dans ses précieux vélins, le bâtisseur le disait aussi au peuple, dans le livre où il lisait le mieux, au fronton des églises.

Nous n'avons rien dit de l'opinion qui croit reconnaître dans la série des personnages des grandes roses la représentation des âges de la vie de l'homme depuis le berceau jus

qu'à la tombe. Nous ne croyons pas qu'on ait bien suivi à Beauvais et à Amiens cette gradation des âges. Cependant nous ne prétendons pas tellement restreindre le sens de nos roues de fortune ou de providence, que nous contestions qu'on ait pu les faire servir à figurer spécialement le bonheur de la jeunesse et de l'âge mûr par opposition au malheur de la vieillesse et de la décrépitude. L'idée fondamentale est partout la même, les circonstances d'un ordre plus ou moins secondaire ont dû varier selon les temps et les lieux. C'est la jeunesse ou la vieillesse, la prospérité ou l'adversité, la puissance ou la faiblesse, l'opulence ou la pauvreté, la grandeur ou la bassesse; c'est, en un mot, la providence rappelée par un grave et brillant symbole. La place qu'on lui a donnée au sommet des galbes, le plus près possible des voûtes, et souvent plus haut que les fenêtres elles-mêmes, cette place est bien choisie pour faire de ces hardies et sublimes percées, comme l'œil du ciel en même temps que la mystérieuse image de celui qui y règne et qui régit le monde avec douceur et avec force, et auquel enfin il faut chanter le cantique du royal psalmiste: Ordinatione tuâ perseverat dies, quoniam omnia serviunt tibi. C'est par la disposition de votre providence que le temps accomplit ses révolutions, parce «< que toute créature vous obéit. (Ps. CXVIII. 91).

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NOTICE

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L'ÉGLISE NOTRE-DAME DE SAINT-LO

(Sancta Maria de Castro Sancti Laudi.)

Par M. DUBOSQ,

Archiviste du département de la Manche.

Considérée dans son ensemble, l'église Notre-Dame de St.-Lo a quelque chose de monumental. Le portail surmonté de deux tours hautes, y compris les flèches, de plus de 200 pieds (1), présente un aspect grandiose et produit un très-bel effet; mais considérée de près et dans ses détails, c'est un monument irrégulier qui manque d'unité.

La cause de cette incohérence est due aux difficultés du terrain et à ce que l'édifice a été construit à différentes reprises.

Commencée dans les premières années du XIV. siècle sur l'emplacement de l'ancienne église, N.-D. fut agrandie, entre 1409 et 1430, de toute la partie connue sous le nom de chapelle St.-Thomas pour ce quelle nestoit pas assez grant qui peust suffire pour la grant multiplication du peuple dicelle.

(1) Hauteur des tours: du pavé de la rue au sommet du pyramidion, sous la croix, 68m. 80c.

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