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de la plupart des façades où se voient les statues équestres.La conclusion à tirer de ce simple rapprochement me paraît rigoureuse. A Moreaux les fondateurs, personnages religieux, brillent au fond du temple qu'ils ont construit ou doté, décorés des insignes de la puissance religieuse ; à Civray, à Melle, ces fondateurs laïques sont revêtus des attributs de l'autorité civile; toute la différence gît dans l'habit, mais la raison de faire était la même pour les uns comme pour les autres, je laisse à MM. Duval et Jourdain le soin de déduire les conséquences et de tirer la conclusion.

M. l'abbé Duval qui a fait lui-même la lecture de la dissertation de M. de Chergé demande la permission de présenter immédiatement quelques observations. Si M. Jourdain et lui se sont prononcés contre le sentiment de M. de Chergé, dont ils apprécient du reste, autant que qui que ce soit le zèle et le talent, ils ne l'ont pas fait sans protester qu'en définitive ils ne prétendaient pas décider en dernier ressort, déclarant positivement au contraire qu'ils laissaient ce soin aux archéologues auxquels les églises du Poitou sont familières.

Le seul argument nouveau, ajoute M. Duval, que M. de Chergé fasse valoir en faveur de son opinion est tiré de la découverte qu'a faite ce savant de la représentation de deux fondateurs sculptés aux deux côtés du portail de Moreaux. C'est un document précieux sans doute, et il faut féliciter M. de Chergé de l'avoir apporté dans la discussion; mais il s'en faut de beaucoup qu'il soit décisif. La question n'est pas, en effet, de prouver que les bienfaiteurs des églises ont quelquefois trouvé leur place dans le monument qu'ils avaient fondé ou enrichi: il ne faudrait pas savoir le premier mot de l'archéologie sacrée pour douter que la reconnaissance des peuples la leur ait accordée belle et glorieuse, au-dedans et au-dehors des églises, aux portails et dans les nefs, aux parois

richement sculptés, et aux étincelantes verrières. Ce qu'il s'agirait d'établir, c'est qu'on a représenté ces personnages, ecclésiastiques ou civils, comme sujet principal, au tympan des porches, et qu'on ait déshérité pour eux Dieu et les grandes scènes bibliques de leur place ordinaire. Tout le monde comprendra que cette distinction est capitale. Autre chose est qu'un donateur se tienne humblement agenouillé au pied de la verrière qu'il a faite et qu'il se lève des deux côtés du temple qu'il a bâti, autre chose qu'il trône et qu'il appelle les hommages des peuples dans le tympan, au lieu de J.-C. et des Saints. On a fait remarquer à M. de Chergé, qui n'avait du reste pas besoin de l'apprendre, qu'il n'y a pas d'exemple jusqu'ici que l'histoire profane ait laissé de traces sur le tympan des portails: M. de Chergé répond et prouve qu'on a établi des statues de fondateurs sur les côtés, dans le voisinage des porches. D'accord; mais M. de Chergé est trop bon logicien pour rien conclure de là contre l'opinion qu'il combat. M. Duval persiste à soutenir tout ce qu'il a avancé, de concert avec M. l'abbé Jourdain, touchant l'exclusion complète et absolue de la représentation des sujets profanes, ou fondateurs, dans les tympans.

Quant aux explications à substituer à celle de l'honorable ex-président des Antiquaires de l'Ouest, M. Duval rappelle encore qu'elles n'ont été produites par son collègue et lui qu'avec une extrême réserve. M. de Chergé veut bien reconnaître qu'une de ces explications est ingénieuse et ne manque pas d'à-propos; M. Duval l'en remercie, tout en s'étonnant que son habile antagoniste lui reproche d'avoir mis en avant plusieurs interprétations, c'est-à-dire d'avoir su douter, ce qui est toujours un mérite, surtout pour des archéologues qui expliquent les monuments à cent lieues de distance.

On dit que la punition d'Héliodore n'a été représentée nulle part; c'est un avantage que ce sujet partage avec les

statues des fondateurs. Mais il a de plus celui d'être biblique et parfaitement choisi. D'ailleurs, on commence à trouver que ce sujet n'appartient pas exclusivement au Poitou.

M. de Chergé ajoute que le personnage d'Héliodore ne se voit assurément pas sous les pieds de la statue équestre de St.-Nicolas de Civray, dont il a touché de ses propres mains toutes les pierres.-M. Duval répond qu'il n'en est pas ainsi du plus grand nombre des statues équestres, s'il faut en croire M. de Chergé lui-même.

M. Duval termine en déclarant qu'il est possible que les nouvelles études qui seront faites, ne donnent pas raison aux opinions émises dans la dissertation attaquée par M. de Chergé, mais il demeure convaincu que ces opinions approchent plus de la vérité que celle de l'archéologue distingué qu'il réfute.

M. Didron, secrétaire du comité historique des arts et monuments, prend la parole après M. l'abbé Duval. Il dit qu'il a proclamé le premier le principe que vient de soutenir le préopinant, savoir qu'il ne faut pas chercher l'explication des sculptures chrétiennes dans l'histoire profane. L'opinion de MM. Jourdain et Duval est donc conforme au système d'interprétation qu'il admet, et, à son avis, M. de Chergé est complètement dans l'erreur. Pour bien expliquer les monuments, il faut connaître, voir et comparer les monuments. La bible, les légendes ne suffisent pas, l'histoire encore moins. On fait de l'archéologie religieuse avec les églises, comme on fait de la botanique avec les plantes. Or, que nous apprend l'étude comparée des monuments sur les questions actuellement débattues? La cathédrale de Chartres a son portail du nord historié de l'ancien testament, son portail sud historié du nouveau. Dans ce dernier, le Sauveur occupe le porche du milieu; aux autres porches de chaque côté sont les martyrs et les confesseurs; les martyrs, les premiers témoins de J.-C.

à sa droite; les confesseurs, les témoins qui viennent après les martyrs, à sa gauche. Au tympan du portail des martyrs on a sculpté la lapidation de saint Etienne. Ce premier martyr du Christ personnifie tous ceux qui ont après lui versé leur sang pour la foi, il représente la première ère de l'Eglise. La seconde ère touche à la première, c'est celle des confesseurs: on les a enrégimentés au porche de droite sous saint Martin, de Tours. Saint Martin est un peu martyr par les travaux et les épreuves de son apostolat, il tient à l'ère qui finit, il ouvre celle qui commence. Cette disposition est reproduite ailleurs ; mais il arrive quelquefois que la place manque, comme à Paris par exemple; alors, ne pouvant donner satisfaction à tous les principaux saints d'un ordre, on choisit le chef. Ainsi, saint Martin représentera, seul, tout l'ordre des confesseurs. Or, on sait que saint Martin est toujours représenté à cheval, en costume de guerrier, au moment où il donne à un pauvre, d'Amiens, la moitié de son manteau. Sortons de notre France, nous retrouvons en Suisse le même sujet; en Grèce, le saint cavalier est reproduit sur une foule de monuments, notamment au portail occidental de la cathédrale d'Athènes. Mais en Grèce, ce n'est plus saint Martin le Thaumaturge des Gaules, ce sont les saints du pays, saint Démétrius ou saint Georges. De cet ensemble de faits, il faut conclure que les statues équestres du Poitou doivent représenter l'ordre des confesseurs, dans la personne de saint Martin. Le personnage qu'on a cru voir sous les pieds du cheval, est le pauvre d'Amiens, que l'humilité de son attitude a pu facilement faire prendre pour un homme terrassé. M. Didron rejette donc absolument l'opinion de M. de Chergé, et n'adopte qu'en principe celle de MM. Jourdain et Duval. La principale objection qu'il fait valoir contre le sentiment de ceux qui reconnaissent le personnage exterminateur de l'impie Héliodore, c'est qu'on n'a constaté nulle part et sur aucun monument l'existence de ce sujet.

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